Gros échec commercial à sa sortie, Lacenaire est un biopic sympathique, mais qui souffre d’une narration chahutée. Heureusement, les acteurs sauvent les meubles.
Synopsis : Evocation de la vie, du procès et de la mort de Lacenaire, célèbre bandit et homme de lettres du XIXe siècle immortalisé par Carné et Prévert dans Les Enfants du paradis et à qui l’on doit, à travers ses Mémoires, un témoignage et une appréciation particulièrement modernes sur son temps.
Le crime est un art
Critique : Fasciné depuis le début de sa carrière par les criminels – on se souvient entre autres du Trio infernal en 1974 – le réalisateur Francis Girod décide de raconter la vie de Pierre François Lacenaire, célèbre assassin qui a défrayé la chronique au début de la monarchie de Juillet (1830). L’escroc meurtrier a, par ses allures de dandy, mis en scène son procès et construit sa propre légende en écrivant des Mémoires qui ont connu un grand retentissement dans la France du 19ème siècle. Modèle parfait de l’assassin romantique, le personnage a également connu un regain de notoriété grâce au triomphe du film de Marcel Carné Les enfants du paradis (1945) où il était incarné par Marcel Herrand.
Le producteur Ariel Zeitoun, qui a déjà financé La banquière (1980), Le grand frère (1982), Descente aux enfers (1986) et L’enfance de l’art (1988) de Francis Girod, débloque une somme que l’on imagine conséquente pour redonner vie à la France du 19ème siècle, avec pléthore de décors et de costumes. Il semble avoir dépensé sans compter tant la reconstitution s’avère luxueuse. Il est important de signaler le soin extrême apporté aux costumes, mais aussi à la photographie (superbe travail de Bruno de Keyser), faisant du long-métrage un vrai régal pour l’œil.
Des fragments d’une vie tumultueuse
Le scénario écrit par Georges Conchon – malheureusement décédé avant la sortie du film – tente d’éviter l’académisme en se livrant à une déconstruction chronologique qui peut désarçonner. Effectivement, Lacenaire n’est pas tant un biopic classique qu’une évocation d’un homme et d’un caractère sous forme de kaléidoscope. Certes, les auteurs évoquent bien toutes les étapes majeures de son existence (l’enfance chez les religieux, la période à l’armée, les premiers larcins, les meurtres, le procès et l’exécution publique), mais dans le désordre. Ils ont ainsi recours à une narration heurtée fondée sur le flashback. Toutefois, ceux qui se souviennent ou lisent ses mémoires ne sont jamais les mêmes tout au long du métrage, entraînant parfois une certaine confusion.
Sans doute conscients de l’aspect fluctuant de la narration, les auteurs finissent durant la deuxième heure par abandonner toute forme de logique. Finalement, en ne cherchant plus de justification narrative, Francis Girod semble libéré d’un certain poids et livre les meilleures séquences d’un film désormais uniquement guidé par sa propre logique interne.
Beaucoup de théâtralité pour mieux coller au personnage
Il faut également un petit temps d’adaptation au spectateur pour apprécier la prestation de Daniel Auteuil. Celui-ci semble en faire trop et ne cesse de déclamer ses tirades comme sur une scène de théâtre. On comprend progressivement qu’il s’agit d’un cabotinage volontaire, illustrant parfaitement le don de Lacenaire à sans cesse se mettre en scène. Ainsi, son procès est l’occasion pour lui de faire son show devant un public médusé. Les auteurs filent d’ailleurs la métaphore théâtrale à de nombreuses reprises.
Cette logique se retrouve également au sein du casting, composé en grande majorité de pointures de la scène française. On pense naturellement à Jean Poiret, Jacques Weber, mais aussi Patrick Pineau, tous excellents. Pour peu que l’on apprécie un jeu un peu daté (celui des années 30-40 en l’occurrence), Lacenaire devient un vrai bonheur. Il ne faut donc aucunement chercher ici un style de jeu moderne, mais bien plutôt déclamatoire.
Un film bancal qui s’est rétamé au box-office
A mi-chemin entre une reconstitution historique pointilleuse et une esthétisation théâtrale qui correspond au personnage évoqué, Lacenaire ne trouve pas toujours sa voie et s’avère donc un film bancal. Certes, l’ensemble claudique à de nombreuses reprises, mais possède de vraies fulgurances qui en font tout le prix et l’intérêt.
Sorti au mois de décembre 1990 en pleine crise du cinéma français, Lacenaire a bénéficié d’une promotion intensive qui n’a servi à rien. Le film n’entre qu’à la septième place du box-office parisien lors de sa semaine inaugurale, avec seulement 29 912 entrées dans les 24 salles le programmant. Visiblement, la contre-programmation n’a pas fonctionné – il était osé de sortir un film sur un criminel pour Noël. En fin de carrière, Lacenaire n’a attiré que 287 923 spectateurs sur toute la France. Au vu du budget que l’on imagine conséquent, il s’agit d’un cuisant échec qui a éloigné Francis Girod des plateaux de cinéma pour quatre longues années.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 19 décembre 1990
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© 1990 StudioCanal / Affiche : Pascal Boissière (photographe) – Anahi Leclerc (affichiste). Tous droits réservés.