Film curieusement oubliée malgré une belle réception à sa sortie, La Bête de Guerre est une œuvre qui évite tout schématisme, âpre et violente.
Synopsis : Pendant la guerre d’Afghanistan, en 1981, une troupe de soldats soviétiques, commandée par un homme très dangereux, se perd dans le désert. Les hommes, en pleine mission de destruction de villages et d’élimination de civils, deviennent alors les cibles des habitants, armés pour se défendre…
La bête de guerre : la nuance dans les deux camps
Critique : L’argument du deuxième long-métrage de Kevin Reynolds, avant le succès de Robin des Bois, Prince des Voleurs (1991), est des plus simples : en Afghanistan durant la guerre, un tank russe détruit un village puis se perd et se fait prendre en charge par des Moudjahiddins. Comme le souligne le film, c’est David contre Goliath, mais on sait ce qu’il advint dans le texte biblique. Sauf qu’à la place d’un récit manichéen que le sujet semblait appeler, La Bête de Guerre développe en parallèle les deux camps en faisant reposer la dramaturgie sur des oppositions fortes : les rebelles sincères, avides de vengeance contre les pilleurs, le soldat russe compréhensif qui essaie de rester humain face au chef brutal et féroce. Et cette opposition se nuance elle-même grâce à des personnages secondaires : soldats hésitants, femmes revanchardes, entre autres, ce qui donne une complexité louable au film et relance sans cesse l’action.
Dès le début, le spectateur est happé par la dureté (la séquence de l’Afghan écrasé par un char est terrible) et, grâce à un scénario et un montage des plus habiles, sera conduit vers une fin relativement inattendue sans décrocher : les rebondissements s’enchaînent selon un rythme savant, réservant suffisamment de surprises pour captiver et suffisamment de « temps morts » pour explorer des psychologies complexes. Ainsi les dilemmes se multiplient-ils, avec comme fondement la question de la conscience : faut-il toujours obéir ? Qu’est-ce que trahir ? Comment vivre avec un passé oppressant (même le méchant a droit à sa justification, en rapport avec sa lutte contre les nazis) ? Loin d’être clairement posées, ces questions surgissent au fil du métrage, incarnées par des personnages forts et construits, remarquablement interprétés.
Arrête ton char, bidasse
Dénoncer l’absurdité de la guerre n’est pas vraiment nouveau. Trouver un angle sinon inédit, du moins inhabituel, est plus difficile ; dans quelques séquences, La Bête de Guerre y parvient : la plus belle sans doute est celle dans laquelle les occupants du char se sentant menacés déclenchent un déluge de feu, avant de se rendre compte qu’ils ont abattu des cerfs. Plus profondément, le lien entre les deux protagonistes officiellement ennemis, préparé par les discussions avec l’Afghan « collaborateur », décrit finement la possibilité pour deux cultures opposées de se rencontrer. Dès lors, l’ennemi n’est plus forcément celui que désigne la guerre.
Spoiler
On pourra chipoter ici ou là, trouver la tentative d’amplifier le récit, de le tirer vers la Bible assez maladroite : le tank transformé en « Bête », David et Goliath déjà cités, mais aussi le héros « crucifié » et qui finit par une élévation, tout cela semble balourd dans un film aussi concret, aussi matériel. En revanche, l’utilisation des décors, ces paysages âpres et minéraux, participent de la réussite cinématographique d’une œuvre oubliée, réapparue en blu-ray chez ESC en 2022. Elle mérite amplement d’être redécouverte.
Sorties de la semaine du 8 septembre 1988
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