Introspection fine et complexe des affres du couple, Josepha est le premier film en tant que réalisateur du regretté Christopher Frank. Un petit succès des années 80, nommé aux César de la Meilleure première œuvre, à ne pas oublier. Elle compte parmi les grands rôles de l’inoubliable Miou-Miou.
Synopsis : Rien ne va plus entre Joséphine et son mari Michel, tous 2 comédiens de second plan en mal d’engagement. Josépha ne pardonne pas à Michel une aventure extra-conjugale et elle est fatiguée de jouer dans des théâtres miteux, devant une poignée de spectateurs. Josépha et Michel s’éloigne progressivement, mais irréversiblement l’un de l’autre. Joseph accepte de partir tourner une comédie légère en province, tandis que Michel a trouvé un rôle de boulevard.
À Vittel, Josépha rencontré Régis, un éleveur de chevaux, homme calme et solide qui lui apporte sécurité et équilibre. Michel essaye en vain de la ramener à lui. Pour josépha, la page est tournée.
Pourtant, lorsqu’une chance s’offre à Michel, à qui, en dernière ressource, on a offert le rôle de Macbeth, Josépha sera là pour obliger Michel à donner le meilleur de lui-même, à éclater, enfin.
Elle retournera ensuite vers Régis.
Critique : Beaucoup l’ont oublié, mais Josepha a été nommée doublement aux César. Pour Miou-Miou, superbe dans le rôle d’une femme trompée et meurtrie dans sa naïveté d’humaine, et surtout pour Christopher Frank dont son premier long métrage était tout simplement nommé comme Meilleure Première Œuvre.
Il faut dire que Christopher Frank, connu alors comme scénariste, est un nom qui compte dans la première moitié des années 80. D’origine anglaise, il est avant tout écrivain et dramaturge. Sa carrière est le miroir d’un savoureux mélange de talents qui se retrouvent dans Josepha, drame conjugal porté sur l’art dramatique tout court. Une adaptation de l’un de ses romans qui était lui-même obsédé par le théâtre. Christopher Frank adore ce milieu dont il déboulonne pourtant le mythe via des coulisses rarement représentées à l’écran. L’échelle anonyme et vide des théâtres désertés sert de peinture réjouissante et originale à son discours sur un couple qui bascule.
A la fin de sa décennie de trentenaire, Josepha est un petit succès de librairie qui va forcément être portée par le succès du film au cinéma. Christopher Frank a tout pour se réjouir. Vingt jours avant la sortie du film réunissant Miou-Miou, Claude Brasseur et Bruno Cremer, Christopher Frank, étoile montante, figure parmi les noms des étoiles nommées aux César. On retrouve le scénariste des Moutons enragés de Michel Deville et de L’important c’est d’aimer d’Andrzej Zulawski, nommé au César du meilleur scénario pour Une étrange affaire de Pierre Granier-Deferre. Il dirige des stars, dont Miou-Miou qui a porté seule des films de société sombres, voire glauques, sans l’aide de quiconque au sommet de l’affiche. La Femme flic, La dérobade – que Christopher Frank a d’ailleurs scénarisé -, ou encore La gueule du loup, c’est elle, seule sur l’affiche à porter toute la noirceur du monde. L’actrice qui vient enfin de tourner une comédie (Est-ce bien raisonnable de Georges Lautner), perd vite le sourire dans Josepha dont elle joue le personnage éponyme.
Josepha, le film, sort dans ce contexte qui lui est favorable, avec une promotion digne, et tristement, fait historique, affublé de l’un des derniers projets de l’illustrateur René Ferracci qui décède lors d’une opération chirurgicale le 25 février, quinze jours avant la sortie de Josepha…
Cette affiche est essentielle pour comprendre la dynamique du film, celle d’une division fatale, de la séparation inéluctable d’un couple, autour d’une vie de chien, canin canon qui a l’amour fidèle, lui, et l’insouciance joyeuse de l’animal domestique. Ce chien est une métaphore du film (le meilleur ami de l’homme était surtout celui de l’épouse trompée) et l’articulation centrale, pivot adroit d’une affiche complexe où le portrait pyramidal des trois protagonistes dans la partie supérieure évoque des émotions contraires et/ou complémentaires entre ces personnages.
Josepha, dure dans sa douleur, déterminée malgré l’inconsistance de ses sentiments qui s’entrechoquent, domine le visuel promotionnel, comme elle est le film. A la droite – comme droiture et rigueur- de son portrait, la dignité, l’alternative représentée par Bruno Cremer, le menton levé, amant vers qui elle se tourne pour des raisons contraires (attraction, vengeance, désir de stabilité, de rigueur…). Et puis, à gauche – comme maladroit -, l’époux piteux et contrit, dans l’ombre, grimaçant, mais humain, que l’on ne cherchera jamais à juger, nous spectateur, pour son année d’infidélité auprès d’une attachée de presse (ironie de Christopher Frank face au métier le plus girouette du milieu artistique ?).
Ce premier film est bon ; il est juste dans sa réalisation. Sa mise en scène scrute parfaitement l’espace pour y poser des personnages loin d’être stériles dans leurs positions. Chaque acteur agit au service d’un auteur double, qui se partage entre le travail manifeste du cinéaste et la tache adroite du dramaturge qui ne se défausse pas du regard café-théâtre dont Miou-Miou elle-même vient et dont elle n’a aucune difficulté à endosser le rôle vertigineux, celui de la mise en abîme.
La musique bouleversante de George Delerue, qui décèdera dix ans plus tard, arme chaque image d’une dimension dramatique qui étoffe un peu plus un sujet conjugal de l’intime, plus littéraire que cinématographique, qui démontre toute la richesse du cinéma français des années 80.
Les sorties de la semaine du 10 mars 1982
Box-office et sortie VHS de Josepha
Josepha sera plutôt bien reçu, à la fois par la critique et le public.
En première semaine, le film sort dans six villes en France. Ce n’est pas une sortie totalement nationale, mais pour une fois, Paris n’a pas l’exclusivité.
Dans la capitale et sa périphérie, Josepha peut compter sur 22 salles. Si évidemment, Les Sous-doués en vacances, qui débarque dans 33 cinémas, cartonne avec 170 341 entrées P.P., Josepha entre en 3e position. Bien sûr, elle se fait flinguer par la suite du Justicier dans la ville, avec Charles Bronson, qui comptabilise 103 000 spectateurs dans 29 cinémas. Mais le drame intimiste et conjugal, avec Claude Brasseur et Miou-Miou, réussit tout de même à attirer 72 178 spectateurs sur seulement 22 sites. Les salles sont pleines. Le distributeur CCFC peut se satisfaire d’un beau taux de remplissage. Aucune salle ne le programmant à Paris Intramuros réalise moins de 2 800 spectateurs par écran. Au Gaumont Colisée, ce sont pas moins de 9 721 curieux qui le plébiscitent. Le film remplit le Gaumont Convention avec 4 838 spectateurs, mais également le Nation avec 4 256 tickets vendus. Et que dire des 7 934 spectateurs du Montparnasse 83 ? D’autres cinémas l’affichent avec la même adhésion du public, comme le Gaumont Richelieu, le Gaumont, les Halles, le Pathé Français/Mayfair/Hautefeuille, la Fauvette…
En 2e semaine, Josepha se maintient relativement bien, recensant un total de 52 621 spectateurs. Certes, le film perd une place puisqu’en 3e position déboule le classique de la littérature britannique enfin porté à l’écran, La maîtresse du lieutenant français. Les Sous-doués 2 de Claude Zidi caracole toujours en tête. Et le Justicier dans la ville N°2 impose encore sa loi en deuxième position.
En 3e semaine, Josepha est encore très active avec pas moins de 44 528 spectateurs. Dans les cinémas en intramuros de la capitale, aucune salle n’affiche moins de 1 000 spectateurs par écran. Au Gaumont Colisée, on peut encore comptabiliser 5 442 tickets vendus. Au Montparnasse 83, ce sont encore 4 807 spectateurs qui viennent se heurter à ce drame conjugal sur fond de théâtre. Comme quoi, le bouche-à-oreille est plutôt positif.
Dans un contexte où chaque semaine, de très nombreux films débarquent sur les écrans, et notamment de grosses productions françaises, Josepha tient, tout simplement. Lors de cette 4e semaine, elle doit affronter des titres comme L’étoile du Nord, T’empêches tout le monde de dormir, Le cadeau, Boulevard des assassins…Il s’en passe des choses au sommet. Mais l’effrontée n’en a que faire. Malgré la diminution de sa combinaison, la femme trompée flirte avec les 25 000 entrées, soit un total de 193 000 spectateurs à Paris. Josepha tiendra pendant 9 semaines et, en fait, quand elle est retirée de l’affiche à l’issue de cette exclusivité, elle peut se satisfaire de résultats encore satisfaisants. Le drame conjugal n’est plus programmé que dans un seul cinéma, le Gaumont Colisée, où ce sont encore 1 461 spectateurs qui lui accordent toute leur attention. Les spectateurs ne semblent pas vouloir oublier Josepha.
1982, c’est l’année de la démocratisation des magnétoscopes. Les éditeurs vidéo ont encore la possibilité de pouvoir éditer des œuvres qui viennent juste de sortir en salle, sans avoir à se plier à une législation sévère qui leur imposera un an d’attente entre le moment où un film se présente sur le grand écran et celui de son exploitation en vidéo. Ainsi, l’éditeur Proserpine propose Josepha en mai, à peine 2 mois après la distribution en salle, à la fois en VHS et dans son support concurrent, la V2000. L’éditeur, qui propose, parallèlement, un grand nombre de films de Chantal Akerman, obtient un vrai succès. Selon le Vidéo Parade du mensuel de la vidéo, Vidéo 7, Josépha serait le 3e titre le plus demandé entre le 15 mai et le 15 juin 1982. Un exploit quand on analyse la richesse des sorties mensuelles. La petite Miou-Miou est grande derrière Midnight Express et La Guerre du feu. Pourtant, d’autres nouveautés s’infiltrent dans le classement, comme La guerre des polices en 7e place ou Le choix des armes en 9e place, Coup de torchon, qui entre 11e, et Croque la vie 13e. L’Étoile du Nord déboule en 14e position ; Beau-père est 19e… Quel beau monde.
Josepha, film réussi, c’est aussi l’attraction d’acteurs omniprésents qui suscitent l’envie. Claude Brasseur est populaire, Cremer aussi. Miou-Miou est une vraie vedette nationale depuis Les Valseuses, en 1974. On a beaucoup entendu parler de Josepha qui sera également un joli succès à la télévision dans les années 80, lors de son inévitable première diffusion.
CCFC, distributeur historique vieux d’au moins un demi-siècle est sur la fin en 1982, mais dispose encore de belles cartes pour l’année 1982 : Les maîtres du temps (505 000), Le retour de Martin Guerre (1 262 000), Le Père Noël est une ordure (1 582 000), Les Misérables de Robert Hossein (3 828 000)… On peut être fier du cinéma français de cette première moitié de décennie 80. Pourtant, ne pensons pas que Josepha fut une belle expérience pour tout le monde. Claude Brasseur, par exemple, se sentira trahi par le résultat à l’écran. Dans le numéro de mars 1984 du Mensuel de cinéma Première, alors qu’il revient sur sa carrière lors d’une interview fleuve, il ose et critique ouvertement le choix du réalisateur. Il se dit trahi par le montage cinéma de Josepha, notamment d’une décision de Christopher Frank de couper une scène finale essentielle, qui se trouvait dans le roman initial et le scénario, et qui a été tournée. Cette scène change complètement le sens de la fin du film. On peut comprendre son amertume. Même si, au final, pour notre part, le métrage s’achève de façon belle et satisfaisante. Même les Américains seront sous le charme, puisque Josepha, en septembre 1982, sera exploité dans quelques salles urbaines. Oui. Le film jouit d’une belle réputation. Pourtant, en 2024, le film a été oublié de la plupart des cinéphiles. Il est passé de mode. Un peu comme les films de son réalisateur, Christopher Frank, qui connaîtra pourtant en 1984 un doublet historique avec Femmes de personnes et L’année des méduses. 1984 sera l’année de sa vie, mais aussi celle de ses deux ultimes succès en tant que cinéaste, après le gadin avec Spirale (Richard Berry, Claire Nebout et Tchéky Karyo), prototype de film annihilé par la crise du cinéma, en 1987. Et que penser de son retour derrière la caméra en 1993, avec le thriller Elles n’oublient jamais, avec Thierry Lhermitte. Rien, évidemment.
Mots clés :
1982, César 1983, Cinéma français, Films sur le couple, Le divorce au cinéma, Les chiens au cinéma, Les affiches de René Ferracci, Film sur l’adultère
Le Test Blu-ray de Josepha
Très certainement inédit en France en DVD, Josepha appartient au cinéma français oublié car passé de mode. Heureusement, StudioCanal le propose en 2024 dans une édition Blu-ray de qualité au sein de l’excellente collection Nos Années 80. L’éditeur nous avait envoyé Rue Barbare, qui en était issu et dont nous avions fait le test dans la longue tradition historique de CinéDweller, avec un retour pointilleux sur l’histoire du film et de sa place au sein du cinéma français. On vous recommande cet article dossier. D’autres titres appartiennent à cette collection : Le téléphone sonne toujours deux fois!!, Pour 100 briques t’as plus rien, et Une étrange affaire. Une initiative excellente.
© 2024 StudioCanal SAS
Compléments & packaging : 3.5 / 5
Comme pour Rue Barbare, on retrouve un design écartant l’affiche originale pour se satisfaire d’une photo symbolique du film. Le cliché est signifiant et synthétise complètement ce projet tout à fait conseillable. On regrette toutefois que le fourreau et la jaquette soient identiques. Il aurait fallu proposer aux amateurs de format physique une jaquette alternative, en recto-verso. Pourquoi pas avec l’affiche de René Ferracci ? Cela aurait été un bel hommage pour celui qui est décédé 15 jours avant la sortie officielle de Josepha, en février 1982.
Au niveau des bonus, la présentation de Jérôme Wybon, proposé éventuellement avant le visionnage du film, met l’accent sur l’auteur réalisateur Christopher Frank. Il annonce aussi le plus beau morceau des bonus, la présence d’une interview de Bruno Cremer, de près de 40 minutes, et de l’intention de l’acteur de ne plus tourner avec le sulfureux Jean-Claude Brisseau. Passionnante, cette interview rare d’un artiste pudique qui n’aimait pas se livrer aux journalistes, est riche, mais a la pudeur de ne jamais rentrer dans les secrets qui lient à jamais un artiste et le cinéaste. D’autres interviews, plus courtes, viennent enrichir cette œuvre trop méconnue : reportage sur le tournage (5mn), interview d’époque des trois acteurs, dont une de l’excellente Miou-Miou (10mn). On a tout regardé, mais on vous laisse le plaisir de la découverte, avec ce plaisir de la diction d’une époque révolue, mais ravivée par la magie de cette opération 80 que StudioCanal et Jérôme Wybon ont décidé de nous faire revivre.
On apprécie la présence de la bande-annonce d’époque, très juste, parfaitement montée, avec la musique de Delerue. Elle était vendeuse.
Biographies +
Christopher Frank, Miou-Miou, Claude Brasseur, François Perrot, Bruno Cremer, Pierre Vernier, Catherine Allégret, Nadine Alari, Jacques Boudet, Anne-Laure Meury, Jean-Pierre Rambal