Beau mélodrame sur fond de thriller, J’ai épousé une ombre s’appuie sur une prestation grandiose de Nathalie Baye, au sommet de son immense talent. Madeleine Robinson lui donne avantageusement la réplique.
Synopsis : Hélène, enceinte, abandonnée par son ami Franck, prend le train. Elle sympathise avec un jeune couple Bertrand et Patricia. Patricia est aussi enceinte et elle se rend dans le Sud pour être présentée à ses beaux-parents. Le train déraille et Hélène se réveille à l’hôpital, elle a accouché d’un petit garçon qui a été déclaré sous le nom de Bertrand.
Un thriller noir qui tire surtout vers le mélodrame
Critique : Considéré comme un cinéaste capable de mener un film vers le succès grâce à La guerre des polices (1979), Robin Davis a ensuite tourné Le choc (1982) qui réunissait Alain Delon et Catherine Deneuve. Toutefois, le long-métrage, très perfectible, a été une déception au box-office. Pas de quoi entamer le potentiel d’un réalisateur qui semble décidément à l’aise dans le polar. Soutenu par le producteur Alain Sarde, Robin Davis choisit de s’emparer d’un roman noir de William Irish (pseudonyme de Cornell Woolrich) intitulé I Married a Dead Man, publié en 1948 aux Etats-Unis et l’année suivante en France sous le titre J’ai épousé une ombre.
Adapté au contexte français, le roman est donc fortement modifié par Robin Davis et son coscénariste Patrick Laurent, d’autant plus que le livre a déjà fait l’objet d’une adaptation cinématographique aux Etats-Unis. Il s’agissait de Chaînes du destin (Leisen, 1950) avec Barbara Stanwyck, qui s’inscrivait alors pleinement dans la veine du film noir. Comme Robin Davis l’a signalé dans plusieurs entretiens donnés à l’époque, son but était surtout de renforcer l’aspect mélodramatique de l’intrigue. Il avait en fait le désir de s’affranchir du genre du thriller et souhaitait donc surtout mettre l’accent sur les relations entre les personnages. Si suspense il y a, il doit découler de la tension psychologique qui pèse sur les protagonistes.
Nathalie Baye, au sommet de son talent
Débutant dans le Nord industriel français, J’ai épousé une ombre commence effectivement comme un drame classique, avant qu’un terrible accident de train (toujours efficace de nos jours) vienne redistribuer les cartes. Par la magie d’un quiproquo qui serait désormais impossible – mais les tests ADN n’existaient pas en 1983 – la jeune femme abandonnée par l’odieux Richard Bohringer se trouve recueillie par une famille riche du Bordelais. Par la grâce d’une usurpation d’identité – thème décidément central dans la filmographie de Nathalie Baye depuis Le retour de Martin Guerre (Vigne, 1982) – la jeune mère va connaître une promotion sociale fulgurante, tout en découvrant la chaleur d’un foyer aimant. Malheureusement, le passé finit toujours par resurgir et le mensonge initial finira par être éventé.
Fondé sur un postulat de départ hautement improbable, J’ai épousé une ombre a le grand mérite de rendre crédible une intrigue assez fantaisiste. La suspension d’incrédulité fonctionne à plein grâce à l’interprétation grandiose de Nathalie Baye que Robin Davis ne voyait pourtant pas dans le rôle initialement. Convaincu par les capacités d’incarnation de la jeune star du Retour de Martin Guerre (1982) et de La balance (Swaim, 1982), Robin Davis lui offre finalement un rôle en or dont l’actrice s’empare avec un talent fou.
Un film qui fait la part belle aux acteurs, tous formidables
Elle nous fait partager tous les doutes, mais aussi les angoisses et la bonne foi initiale de son personnage par la magie des regards. Alors en pleine ascension avec son César du meilleur second rôle féminin obtenu au printemps 1982 (pour Une étrange affaire) et en attendant son César de la meilleure actrice pour La balance en 1983, Nathalie Baye est clairement au sommet de sa jeune carrière. Dans le même temps, elle fait aussi la une des journaux people depuis qu’elle vit une passion amoureuse avec Johnny Hallyday, qui est d’ailleurs venu à plusieurs reprises sur le tournage du film. Histoire de confirmer cet élan formidable, la jeune star sera encore nommée au César de la meilleure actrice en 1984 pour ce rôle.
Face à l’éblouissante Nathalie Baye, Francis Huster et Richard Bohringer sont tout à fait au niveau, même s’ils demeurent dans leur zone de confort. Ils se font finalement voler la vedette par Madeleine Robinson qui livre une prestation formidable. Sa complicité évidente avec Nathalie Baye fait tout le sel du film et leur numéro de duettistes est pour beaucoup dans le plaisir ressenti lors de la projection.
Un gros succès, largement mérité
Réalisé de manière classique par Robin Davis, sublimé par un très joli thème musical de Philippe Sarde, J’ai épousé une ombre est donc un thriller mélodramatique attachant qui séduit encore de nos jours. A l’époque, il fut un très gros succès avec 2 536 305 entrées sur l’ensemble du territoire français, se hissant à la 17ème place du box-office annuel. Devant le succès obtenu par le long-métrage, Johnny Hallyday est même entré en studio pour enregistrer une chanson éponyme sur la musique de Philippe Sarde et des paroles de Jean-Loup Dabadie. Contrairement au film, la chanson ne fut pas un hit, d’autant qu’elle ne figure pas dans le long-métrage, puisque mise en boîte après sa sortie.
En l’état, J’ai épousé une ombre peut être considéré comme le meilleur film de Robin Davis. Galvanisé par ce beau succès, le réalisateur a obtenu d’Alain Sarde un chèque en blanc pour tourner le projet de son choix. Davis a opté pour Hors-la-loi (1985), film sans vedette qui a permis de révéler Clovis Cornillac, Isabelle Pasco et Wadeck Stanczak, mais a surtout été un gros échec commercial. Mais ceci est une autre histoire…
Note : Si la chanson de Johnny Hallyday n’est pas présente dans le film, les fans des Gipsy Kings pourront retrouver le groupe au cours d’une séquence. A l’époque, le groupe s’appelait encore Los Reyes, mais ils interprètent déjà la chanson Djobi, Djoba qui deviendra un tube seulement en 1988.
Critique de Virgile Dumez