Conversation secrète est la première Palme d’Or de Francis Ford Coppola. Ecouter et se taire ! Son hommage à Antonioni est magistral.
Synopsis : Harry Caul est un professionnel de l’écoute. Il enregistre des conversations sur contrat, froidement, sans jamais s’impliquer. Cette obsession a des conséquences sur sa vie privée, il se montre distant jusqu’à la paranoïa avec ses collègues, et même son amie. Seul l’intéresse le travail bien fait. Mais les choses changent lorsqu’en espionnant un couple pour le compte d’un homme d’affaires, Harry suspecte qu’un crime pourrait être commis
L’homme de l’ombre
Critique : Conversation secrète appartient aux œuvres les plus méconnues de Coppola. Son succès discret à l’époque (à peine 234.000 entrées en 1974, quand Le Parrain, 2 ans plus tôt dépassait les 4 millions !) est à l’image du contenu même du film qui s’introduit dans les habitudes d’un spécialiste de la mise sur écoute, un homme seul, sans vie, parfaitement invisible, capable de s’immiscer de façon spectaculaire, dans le quotidien de chacun. Un homme de l’ombre pour un film de l’ombre, malgré une Palme d’or en 1974, loin de celle tonitruante d’Apocalypse Now cinq ans plus tard.
Traité de nos jours, Conversation secrète aurait donné naissance à un biopic sur une personnalité autour du Watergate. Coppola n’en voulait pas. L’affaire éclata alors que le film était en plein tournage, donnant de la voix à cette Amérique de la paranoïa, où les mises sur écoute et les manipulations politiques sous Nixon étaient légion, pour déstabiliser l’adversité.
Le personnage de Gene Hackman, dans une retenue exemplaire, est donc un plombier, un pro de l’écoute, de l’espionnage. Sa profession le confine à une extrême solitude, inlassablement soulignée par la musique sobre, une partition de piano de David Shire et une musique jazzy qui révèle ses états d’âme, baignant dans le blues du protagoniste.
Paranoïa et persécution
Cette solitude tourne peu à peu à la psychose. Incapable de gérer le rapport à l’autre, il semble vivre par procuration des sentiments d’amour, lorsqu’il distingue chez les victimes d’espionnage la flamme de la passion ou des émotions. Alors qu’il réagit au risque de mort de deux de ses contrats filés, par le bouleversement, celui de ses habitudes, de son flegme professionnel, il s’immisce dans l’interdit (interagir, ressentir), jusqu’à devenir lui-même la proie d’écoutes.
Dans ce film éminemment « sonore » où le travail sur le son devient obsessionnel, on retrouve indéniablement l’influence d’Antonioni, celui de Blow Up où un photographe, témoin artistique d’un meurtre dans un parc, sombre dans l’obsession visuelle. Aussi, Conversation secrète ne peut qu’évoquer également les Brian De Palma à suivre, notamment Blow Out où Travolta incarnait un ingénieur du son, préoccupé par l’enregistrement d’une mort peu accidentelle, rembobinant la bande pour trouver l’indice illuminateur qui va révéler le fin mot d’une autre histoire de manipulation.
Conversation secrète évoque Friedkin et De Palma dans ses expérimentations
Dans un final que le Friedkin de Bug n’aurait pas renié, où Gene Hackman embrasse la folie en s’adonnant pleinement à son sentiment de persécution, Coppola, aidé par son monteur et ingénieur du son, Walter Munch, inocule le trouble chez le spectateur. Avec les caméras de l’époque, moins favorables aux trouvailles techniques, Coppola maîtrise les cadres (l’ouverture en plongée sur le parc, avec une caméra qui se rapproche peu à peu sur les victimes de l’espionnage, encore un hommage à Blow Up), se joue des décors, comme pour nous emprisonner dans les lacs de décors parfois étroits propices aux sentiments infectieux d’oppression.
1974, l’année Francis Ford Coppola
Au final, Conversation secrète donne le blues et, nonobstant son rythme un peu lent, demeure l’un des grands films de son auteur.
Souvent oublié des spectateurs malgré sa prestigieuse Palme, le drame humain parano ressort en France adoubé par Carlotta en 2000 et 2010, puis en blu-ray chez Pathé Vidéo, en 2013. Nommé aux BAFTA, Golden Globes ou aux Oscars en 1975, il semble avoir eu un seul défaut… Etre sorti la même année que Le Parrain 2 qui justement allait rafler la mise cette même année dans ces différentes cérémonies.
Voir le film en VOD
Les Palmes d’or sur CinéDweller
Les sorties de la semaine du 1er juin 1974
Design : Rosebud Advertising Corp – © 1974 Paramount Pictures Corporation. All Rights Reserved. ©Zoetrope Corporation. All Rights Reserved.
Le test blu-ray (édition 2013)
En 2013, Pathé enchaînait les sorties Coppola, avec trois titres dont la Palme d’or de 1974, le très discret, mais très fréquentable Conversation secrète…
Complément : 3/5
Les suppléments sont moins conséquents et enrichissants que sur les deux autres sorties blu-ray orchestrées par Pathé. Pour vraiment gagner en informations sur ce film, il faudra découvrir les commentaires audio de Francis Ford Coppola présents sur la galette, qui permettent vraiment d’approfondir cette œuvre secrète. Sinon, vous n’aurez rien sur les scandales politiques de l’époque ou les influences prégnantes de Coppola, notamment le Blow Up d’Antonioni !
- Gros plan sur Conversation secrète : 8min durant lesquelles Coppola s’entretient sur le tournage avec Gene Hackman et exprime sa vision du personnage.
- Dans No Cigar (2’20) Coppola évoque les origines de cette histoire, fantasme d’un jeune artiste de 17 ans qui imaginait la solitude d’un homme d’un certain âge. Il en avait fait un court métrage en noir et blanc, dont il nous dévoile ici quelques images.
- Essai avec les comédiens Cindy Williams et surtout Harrison Ford.
- Entretien contemporain entre le compositeur David Shire, et le cinéaste qui reviennent sur le tournage, l’approche musicale singulière, la texture particulière du film sur un plan sonore, entre les notes de piano pour souligner la solitude du personnage de Gene Hackman et l’électronique, pour les moments obsessionnels, voulus par Walter Murch.
- Entretien de Gene Hackman sur le plateau, le 12 février 1973. 40 ans déjà. C’est bref, 3’44 : il livre ses impressions sur la musique, ses relations avec Coppola, réalisateur à la mode du moment (Coppola sortait du Parrain)…
- Le San Francisco d’Harry Caul, l’époque et aujourd’hui 1973 & 2011 est une suite de mises en parallèle, sur fond de musique empruntée au film, des différents lieux de tournage, plan pour plan. Sans commentaire, l’exercice d’une poignée de minutes, aussi plaisant soit-il, est un peu vain.
- Dictée du scénario par le réalisateur, incluant des scènes inédites ou non filmées. Une manière originale de remplacer les sempiternelles scènes coupées.
- Film annonce
- Et supplément commun aux trois éditions HD distribuées le 6 novembre 2013 , la présentation de Coppola de son œuvre et de son approche artistique devant les étudiants de la Fémis, à l’occasion de la sortie du piteux Twixt (23mn).
- Deux pistes de commentaires audio. Au choix ceux de Coppola ou de Walter Murch, monteur et ingénieur du son, fidèle du réalisateur (et réalisateur en 1985 de la suite du Magicien d’Oz pour Disney !).
Image : 3 / 5
Master de qualité dans l’ensemble, la restauration permet une colorimétrie renforcée, même si le contraste est un peu sombre. Certains plans ne bénéficient pas tous du même soutien technologique. La texture de l’image demeure favorable, notamment pour les gros plans de personnages, mais reste perfectible.
Son : 3 / 5
Le DTS HD Master Audio proposé sur 5 pistes nous convainc moins. Certes, la partition de piano de David Shire gagne en ampleur, avec une spatialisation des notes, mais la piste originale souffre d’un léger souffle, également présent en VF. Il ne faut pas s’attendre à une spatialisation effective, l’œuvre ayant été tournée en mono en 1973. En VO, les voix savent se détacher avec une certaine clarté, sans pour autant être cristallines.