37°2 le matin, le choc passionnel de l’année 1986. Beineix adaptait Djian et offrait à toute une génération son film culte. Portée par la présence volcanique de Béatrice Dalle, cette histoire d’amour fébrile est un vrai choc charnel et passionnel à (re)découvrir dans sa version longue pour goûter à la mélancolie amère des années 80.
Synopsis : Zorg rencontre Betty et c’est l’amour fou, la passion comme elle n’existe que dans les livres. Justement, des livres Zorg en écrit, et Betty est persuadée qu’il mériterait d’être publié. Est-ce le refus des éditeurs qui la font sombrer dans la dépression ? Ou bien l’étroitesse d’esprit de ceux qui ne supportent pas leur amour dévorant ? Betty devient de plus en plus incontrôlable…
Génération Betty Blue
Critique : Véritable phénomène à sa sortie en 1986, 37°2 le matin a été vite estampillé le film de toute une génération. Les crises d’hystérie et de folie de la jeune Béatrice Dalle, qui campait avec Betty son premier personnage au cinéma, son amour fusionnel pour Zorg, interprété par un Jean-Hugues Anglade investi d’une mission dramatique, l’issue tragique de leur romance, les mythiques plages de Gruissan, la complicité festive entre les acteurs, tout cela nourrissait les fantasmes et les passions d’une jeunesse avide de rébellion et d’émotion. Sur la douce musique de Gabriel Yared, qui signa là l’un des plus beaux thèmes des années 80, le charme opéra à fond. Et opère toujours vingt ans après.
L’histoire, intemporelle, n’a pas pris une ride. Un récit de jeunesse qui pourrait être encore d’actualité. L’amour de nos deux tourtereaux, seuls au monde, prêts à s’aimer jusqu’à la mort aussi tragique soit-elle, peut être perçu comme naïf, mais révèle la pleine conscience des insuffisances de leur monde. Simplement, mais avec toute la fougue des récits charnels et incarnés, Beineix résumait les paradoxes d’une jeunesse abîmée par le système. Universalité, quand tu parles aux jeunes, le succès est éclatant…
37°2 le matin, le cinéma d’un homme libre
Avec 37°2 le matin, le jeune prodige de Diva, œuvre phénomène qui s’était bâti une carrière sur la durée et avait été un succès international, en particulier américain, revenait en France, après deux ans à essayer de monter l’adaptation de Demain est une autre nuit, aux USA. De la polémique cannoise autour de La lune dans le caniveau (avec Nastassja Kinski et Depardieu) qui avait été hué en 1983, Beineix en a gardé une amertume et une méfiance à l’égard du système français. Il monte d’ailleurs sa propre société de production, Cargo Films, refusant qu’on lui dicte ses choix si singuliers et jusqu’au-boutistes. De sa renommée internationale, l’auteur à juste titre intransigeant gagne l’assurance de ne pas perdre d’argent sur 37°2 le matin. La Fox, chargée des préventes à l’international, fait un excellent boulot, le distributeur Gaumont avance de l’argent, il bénéficie de l’avance sur recettes, en plus de ses apports personnels et ceux de la productrice Claudie Ossard, issue de la publicité.
37°2 le matin, œuvre passionnée et passionnelle, lui offre la liberté totale et deviendra son plus grand succès, le remettant sur les rails après le cuisant flop du flamboyant La lune dans le caniveau. L’auteur aborde le roman de Djian en faisant des coupes autour des personnages périphériques. Le roman est trop dense. Il aborde la narration différemment qu’avec ses précédents films, demeurant dans cette esthétique propre au trio eighties qu’il formait avec Besson et Carax ; il assagit sa mise en scène, sans pour autant l’affadir. L’éclairage de 37°2 n’est plus criard et esthétisant, mais d’une douceur exigeante. Les décors y sont plus sobres et réalistes, tout en se nourrissant de la lumière propre à la région d’Occitanie qu’il sublime. Le talent visuel du réalisateur est toujours éloquent, notamment quand il s’agit de retranscrire la douce chaleur estivale de Gruissan ou les couleurs en mi-teintes d’un crépuscule (cf. l’affiche césarisée). Le génie m’as-tu-vu que certains dénigraient, les effets visuels brillants que d’aucuns qualifieraient de clinquants et creux, s’exprime désormais à travers une réalisation sans excès, se faisant le miroir d’émotions exacerbées et signifiantes. Exit la froideur ou l’austérité de La lune, Beineix filme la rage de la passion, la fébrilité des corps, la sensualité nue, frontale et naturelle, et donne tout son sens au titre emblématique que Djian avait initialement choisi pour son ouvrage.
37°2 le matin à découvrir absolument en version longue
Des deux versions du film, la version intégrale, dit longue par rapport au montage cinéma et proposée aux spectateurs en salle en 1991, a un montage à découvrir absolument. Le long métrage gagne une heure, au sens propre et figuré, car il profite de chaque rallonge et de rajout de scènes. On y retrouve des personnalités attachantes des années 80, comme Jessica Forde ou Simon de La Brosse, coupés du montage cinéma original. Tout vient ici attiser la flamme destructrice qui consume les deux protagonistes. Leur histoire, sublimée, gagne en intensité. 37°2 le matin, version longue, c’est plus d’orgasme, de félicité, de peurs, de désespoir et de douleurs. Mais Beineix, poète plaisantin, y ajoute de l’humour (la scène du braquage) sans que cela n’alourdisse le propos. La scène amuse dans un contexte dramatique lourd.
Paradoxalement, la version longue paraît plus limpide que la courte, qui souffre d’un déséquilibre flagrant entre les trois parties bien distinctes qui composent sa progression. Les scènes parisiennes qui interviennent dans la partie centrale sont dans la version salle beaucoup moins charismatiques car vidées des éléments décalés (la scène du commissariat par exemple où Zorg essaie de convaincre le commissaire de relâcher Betty). Dans le montage alternatif de trois heures, les scènes parisiennes sont plus acceptables, car réellement drôles et furieuses. Elles sont même indispensables quand il s’agit de distancier Zorg et Betty du reste de la société et de leur imposer la grisaille d’un monde qu’ils rejettent alors qu’ils aspirent à l’évasion (comme le souligne la littérature de Zorg, écrivain amateur en quête d’un éditeur).
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Béatrice Dalle et Jean-Hugues Anglade passionnément
L’autre grande force de 37°2 le matin réside dans les seconds rôles, tous plus pittoresques et décalés les uns que les autres. Les errances de Zorg et Betty les amènent à croiser des personnages pas piqués des vers : Clémentine Célarié, à la fois bouleversante et hilarante en épouse frustrée à la limite de la nymphomanie, Vincent Lindon en flic poète, Dominique Pinon en surfeur dealer, Gérard Darmon en amoureux au cœur d’or… Ces figures enrichissent un récit déjà gros du charisme dévorant de Béatrice Dalle et Jean-Hugues Anglade, qui ne pouvaient qu’éclater en tant qu’acteurs après de telles compositions. Béatrice Dalle, découverte, comme Sandrine Bonnaire pour A nos amours de Pialat, par Dominique Besnehard, dévore l’écran. Sa fougue n’est pas seulement exaltée par sa jeunesse, mais par la personnalité déjà indomptable de cette femme enfant qui cannibalisera tous ses rôles. Elle y est magnifique. A l’étranger d’ailleurs, le film portera le doux nom de son personnage, Betty Blue.
La fusion et entre les personnages s’accorde à l’exaltation des spectateurs qui partagent l’amour, l’euphorie, l’ivresse et la souffrance des protagonistes. L’alchimie était là pour un énorme succès, non pas populaire, mais véritablement générationnel, puis que 37°2 le matin possède l’ADN du cinéma culte.
Beineix réalisait en 1986 son film le plus accessible, et probablement son œuvre la plus recommandable pour les spectateurs désireux de découvrir ce géant du cinéma français. Le triomphe fut total (3 632 326 spectateurs), mais malheureusement, les César, malgré une dizaine de citations, lui préféreront Thérèse d’Alain Cavalier. Cette année, en compétition, l’énorme Jean de Florette de Claude Berri, Mélo de Resnais et Tenue de soirée de Blier, avaient tous leur chance. On notera une ressortie estivale à succès, en 1991, du film en version longue sur des écrans provinciaux et parisiens bien sélectionnés.
Critique de Frédéric Mignard