Iconoclaste et farouchement hors norme, Little Big Man, classique absolu d’Arthur Penn, prend à revers tous les clichés du western avec humour et sensibilité. Du plaisir à l’état pur.
Synopsis : Un journaliste vient recueillir le témoignage de Jack Crabb, 121 ans, dernier survivant de la bataille de Little Bighorn qui vit la victoire des Indiens sur les troupes du général Custer. Le vieil homme se met à raconter l’histoire de sa vie : le massacre de ses parents par les Indiens pawnees, son adoption par les Cheyennes où il reçut le surnom de « Grand Petit Homme », puis son retour parmi les Blancs en pleines guerres indiennes…
Critique : Après le triomphe rencontré par son Bonnie and Clyde (1967), le cinéaste Arthur Penn peut s’attaquer à n’importe quel projet porteur. Il choisit donc de revenir au genre qui l’a fait connaître du grand public et des critiques, à savoir le western (son premier film Le gaucher était déjà une relecture personnelle de la mythologie de l’Ouest). Encouragé par les détournements audacieux des Italiens, Penn signe un des modèles du néo-western en s’acharnant à déboulonner un à un tous les clichés et idées reçues sur cette période. A la manière d’un Candide, son « héros » traverse toute l’histoire de la conquête de l’Ouest par les Américains blancs au détriment des Peaux Rouges. Lors d’une première heure souvent hilarante, les scénaristes tournent en dérision le machisme des pistoleros, l’imbécilité chronique d’une population ignare et l’hypocrisie de la société bourgeoise et chrétienne (Faye Dunaway nous offre un grand moment de cinéma dans le rôle d’une Mrs Robinson obsédée par le péché de chair). Enfin, avec beaucoup de clairvoyance, les auteurs stigmatisent aussi bien la brutalité de certaines pratiques indiennes que les exactions des Blancs.
La deuxième heure, bien que toujours décalée dans sa façon de décrire les mœurs du 19ème siècle, se fait plus grave et donne lieu à des séquences chocs que l’on n’est pas prêt d’oublier. De l’extermination radicale et massive du village indien par des soldats fanatisés jusqu’à la sanglante bataille de Little Big Horn, le cinéaste nous prouve à maintes reprises son immense talent de conteur et de faiseur d’images. Peu à peu, l’ombre de la mort et de la désolation plane tandis que la neige se tache inexorablement de sang. D’un pessimisme rare, le métrage s’achève sur le visage de ce centenaire se tenant la tête entre les mains, fatigué de la vie et dégoûté des hommes.
Porté par l’interprétation magistrale de Dustin Hoffman et de Richard Mulligan (qui compose un Custer aux antipodes de celui incarné autrefois par Errol Flynn dans La charge fantastique de Raoul Walsh, Little big man souffre parfois de quelques erreurs de montage, mais balaie en quelques séquences cultes nos réticences. Il s’impose comme une relecture profondément originale des grands mythes de l’Ouest, à une époque où l’Amérique doutait de plus en plus de ses principes fondateurs (le parallèle entre l’extermination des Indiens et celle des Vietnamiens était sans doute dans l’esprit du metteur en scène). Malgré son aspect iconoclaste, ce petit bijou a remporté un gros succès à sa sortie, ce qui n’est que justice.
Critique de Virgile Dumez
Affiche originale de Little Big Man © Ferracci, LPC/Jean-Claude Labret. Tous droits réservés / All rights reserved
1970. L’heure est à la réinvention du western et surtout à la réécriture des grands mythes de l’Ouest, avec réalisme, violence et rectification de point de vue sur l’orientation de l’histoire américaine. Celle-ci est enfin prête à voir sur le grand écran le génocide indien abordé, avec le relâchement du Code Hays et l’avènement d’un nouveau code de classification. Même si l’anglais demeure dans la bouche des peuples indigènes, la victimisation du peau-rouge et la brutalisation de l’homme-blanc rééquilibrent enfin les points de vue après des décennies de cinéma-héroïque dont John Wayne s’était fait le chantre. Le Soldat bleu de Ralph Nelson et Little Big Man d’Arthur Penn, en sont les exemples concrets. Chez la nouvelle vague de cinéastes américains on retrouve ainsi le besoin irrépressible de traiter par les conflits fondateurs l’engagement américain au Vietnam, pour dénoncer les boucheries sans gloire et les piètres manipulations du gouvernement qui n’a plus la main sur les médias.
Little Big Man, par le réalisateur de La Poursuite infernale et Bonnie & Clyde, ultime grand film d’Arthur Penn, sera un carton mondial, aux antipodes de l’Amérique qui pleurait sur le mélo mou d’Arthur Hiller, Love Story, qui l’empêchera de prendre la première place du box-office aux USA. Toute l’ambiguïté de la jeunesse se retrouvait incarnée – une fois de plus – par l’immensité du Little Big Man, Dustin Hoffman, alors omniprésent à l’écran dans son éternel rôle d’antihéros, à l’aise dans une œuvre atypique, alliant l’horreur de la guerre dépeinte et humour satirique. Il y incarnait cette fois-là un jeune homme au parcours atypique, orphelin à cause d’une tribu d’Indiens sanguinaire, puis adopté par une autre tribu salvatrice, et donc forgé au ciment américain, un melting pot culturel dévoyé et sauvage dans les grandes plaines.
Little Big Man s’impose une fois de plus comme l’une des plus grandes références de son époque et comme un lien essentiel entre l’Amérique et son histoire.
Little Big Man en coffret Ultra Collector Carlotta (2016) – © 2016 Carlotta. All Rights Reserved.
Le coffret Ultra Collector propose un packaging luxueux, double DVD et blu-ray avec un ouvrage d’Arthur Penn de plus de 160 pages, où de nombreuses photographies couleurs ont été incluses. Il rejoint les éditions limitées éditées à 3000 exemplaires de Body Double de De Palma, L’Année du Dragon de Cimino, et Panique à Needle Park de Jerry Schatzberg.
Les suppléments audiovisuels sont canoniques. Présentation par le critique Philippe Rouyer de la pertinence historique du film. 25mn particulièrement enrichissantes pour comprendre les enjeux de pareille œuvre en 1970. Un making-of de 26mn permet à Arthur Penn de se confier sur son travail. Ce travail inestimable est signé par le photographe Elliott Erwitt. Dustin Hoffman, juvénile, toujours filmé par Erwitt, présente les défis de son rôle, de son évolution au fil des âges. Toujours aussi anti-establishment, le Hoffman est admirable. Bandes-annonces d’époque, et celle de la reprise HD 2016 viennent clore ce bel exercice.
Texture cutanée réjouissante, contraste resplendissant dans les moments chauds du film… l’œuvre est revigorée par une extension de ses beautés que quelques menus défauts, très rares, ne viennent jamais diminuer.
Respect du Mono d’origine, à privilégier en VO HD Master Audio, pour une acuité retrouvée. La VF peine à retrouver sa juvénilité, afin de conserver le doublage d’origine que de nombreux fans ne sont pas prêts à abandonner.
Test blu-ray de Frédéric Mignard
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Arthur Penn, Faye Dunaway, Dustin Hoffman, Thayer David, Martin Balsam, M. Emmet Walsh, James Anderson, Richard Mulligan