Premier chef d’œuvre d’Arthur Penn, Miracle en Alabama évite le piège de la mièvrerie et livre l’un des meilleurs films sur le handicap. Bouleversant.
Synopsis : Helen Keller a 12 ans. Elle ne voit pas, n’entend pas et présente tous les symptômes d’une déficience mentale. Ses parents font appel à Annie Sullivan, éducatrice aux méthodes révolutionnaires, et elle-même mal-voyante. Les premiers contacts entre l’enfant et l’éducatrice sont difficiles et parfois violents.
Une histoire vraie connue de tous les Américains
Critique : Helen Keller (1880-1968) est une véritable institution aux Etats-Unis où sa destinée fait partie des incontournables de la scolarité. Effectivement, cette petite fille sourde et aveugle a réussi à s’émanciper et à devenir une écrivaine majeure grâce aux bons soins de son éducatrice Anne Sullivan qui est parvenue à entrer en communication avec elle par l’emploi de la langue des signes. Cette histoire étonnante a été contée par Helen Keller elle-même dans son livre autobiographique intitulé en France Sourde, muette, aveugle : histoire de ma vie, publié en 1903.
En 1957, le dramaturge William Gibson choisit de s’inspirer de cette œuvre fondatrice et des lettres échangées avec Anne Sullivan pour écrire Miracle en Alabama qui doit faire l’objet d’une dramatique télé d’une durée de cinquante minutes. Pour cela, il obtient le concours du réalisateur Arthur Penn et le programme est diffusé en direct le 7 février 1957. Le retentissement est tel que William Gibson opte pour une adaptation théâtrale qui arrive sur les planches de Broadway en 1959, avec dans le rôle de la gamine handicapée l’étonnante Patty Duke. Le triomphe est immédiat, à tel point que la pièce tient l’affiche pendant plusieurs années.
Miracle en Alabama, la véritable naissance artistique d’Arthur Penn
Cela suscite bien entendu l’intérêt des producteurs hollywoodiens dès 1960, mais Helen Keller s’oppose pendant un certain temps à la mise en chantier d’un tel projet. Finalement, après avoir posé ses conditions, l’écrivaine a donné son accord et le film peut se tourner avec à nouveau Arthur Penn à la direction et Anne Bancroft dans le rôle de l’éducatrice. Le tour de force est d’avoir également conservé la petite Patty Duke malgré un âge plus avancé qui commence à se voir à l’écran.
© 1962 Playfilm Productions Inc / Mary-X Distribution. Tous droits réservés.
Tourné en totale indépendance, ce deuxième film d’Arthur Penn après Le gaucher (1958) qui avait reçu de bonnes critiques, mais qui fut un gros échec public, est bien celui de la naissance artistique d’un auteur. Dès les premiers plans, Arthur Penn saisit le spectateur grâce à l’utilisation d’un noir et blanc très expressionniste et de cadrages biscornus qui accentuent l’aspect anxiogène de cette scène inaugurale. Par la suite, le cinéaste va continuer à expérimenter en usant d’un montage brillant et allant jusqu’à créer des flashbacks entièrement flous afin de simuler la mauvaise vue d’Anne Sullivan. Il s’inspire ici directement du cinéma européen contemporain, et notamment des audaces de la Nouvelle Vague française, tout en demeurant au cœur d’un système classique hollywoodien.
Des personnages complexes qui échappent aux archétypes mélodramatiques
Loin de se conformer aux règles du mélodrame à Oscars, Arthur Penn ose présenter des personnages fort peu sympathiques. Dès le début, la petite handicapée magnifiquement incarnée par Patty Duke apparaît comme une peste violente et totalement incontrôlable qui en fait une tête à claques. Mais l’éducatrice stricte et sévère jouée avec maestria par Anne Bancroft est loin d’être un modèle de tempérance. Parfois très rude avec son entourage et désireuse de parvenir à ses fins par tous les moyens, elle est un modèle d’entêtement, au risque de paraître trop rigide.
En réalité, la puissance du long-métrage vient de sa capacité à décrire des personnages complexes qui ne sont pas réductibles à de simples archétypes. Même les parents sont pétris de contradictions, partagés entre leur amour sincère pour leur enfant et une forme de mépris envers son handicap. Jamais mièvre, Miracle en Alabama pose ainsi un regard très juste sur le handicap, car dénué de condescendance ou de misérabilisme. La gamine sourde et aveugle n’est jamais réduite à son handicap, mais est considérée comme un être humain à part entière, et donc complexe. C’est d’ailleurs ce qui finit par émouvoir le spectateur jusqu’aux larmes.
Un chef d’œuvre qui n’a pas percé au box-office
Si Miracle en Alabama possède bien une trame de mélodrame lacrymal, le long-métrage évite tous les pièges du didactisme et émeut sincèrement par la beauté du regard posé sur ses personnages. Réalisé de manière admirable, le drame féminin ose décrire durant parfois une dizaine de minutes les confrontations entre la petite fille incontrôlable et celle qui doit lui apprendre à sortir de son monde d’obscurité pour trouver la rédemption par les mots.
Brillamment interprété, Miracle en Alabama peut donc être considéré comme le premier véritable chef d’œuvre de son auteur. Pourtant, les résultats au box-office furent plutôt décevants. Certes, le film est parvenu à rembourser son maigre budget, mais ses recettes de 2 500 000 $ (soit 25 690 000 $ au cours de 2024) sont loin d’être à la hauteur du phénomène théâtral qui a bouleversé l’Amérique.
Un bijou qui a construit sa réputation sur plusieurs décennies
Toutefois, l’académie des Oscars n’a pas tenu compte de cette performance décevante et les deux actrices principales ont été dument récompensées en 1963. Ainsi, Anne Bancroft a obtenu la statuette de la meilleure actrice, tandis que Patty Duke a gagné l’Oscar du meilleur second rôle féminin. Elle fut à cette époque la plus jeune comédienne à glaner cette récompense.
En France, le drame ne semble pas avoir eu de véritable écho lors de sa sortie à la fin du mois de novembre 1962. Il a fallu attendre les développements ultérieurs de la carrière d’Arthur Penn pour que ce long-métrage séminal reçoive enfin l’adoubement des cinéphiles. Dès lors, Miracle en Alabama est sorti en 1985 en VHS, puis a connu une première reprise en 2002 et une édition en DVD dans la foulée. En 2019, le magnifique drame a bénéficié d’une restauration qui l’a remis d’actualité avec une nouvelle reprise en salles et un blu-ray chez Rimini Editions. Une réévaluation absolument nécessaire pour cette œuvre majeure du cinéma américain du début des années 60.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 28 novembre 1962
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© 1962 Playfilm Productions Inc / Affiche : Jean-Claude Ghirardi. Tous droits réservés.
Biographies +
Arthur Penn, Andrew Prine, Anne Bancroft, Inga Swenson, Patty Duke, Victor Jory
Mots clés
Les handicapés au cinéma, Les relations prof-élève au cinéma, Oscars 1963, Les adaptations de pièces de théâtre