The Ghost writer, thriller politique passionnant marque en 2010 un nouveau sommet dans la carrière exceptionnelle de Roman Polanski. Subtile et brillante, l’œuvre d’un maître.
Synopsis : The Ghost, un ” écrivain – nègre ” à succès est engagé pour terminer les mémoires de l’ancien Premier ministre britannique, Adam Lang. Mais dès le début de cette collaboration, le projet semble périlleux : une ombre plane sur le décès accidentel du précédent rédacteur, ancien bras droit de Lang…
Une sortie en pleine “affaire Polanski”
Critique : 2010. De Berlin, lors de sa programmation exclusive, jusqu’aux César un an plus tard, The Ghost Writer – également titré The Ghost, outre Manche, s’impose comme l’une de ces belles leçons de cinéma dont sont capables les plus grands. Pourtant, lors de ce moment d’euphorie, le cinéaste est alors en Suisse, sous contrôle policier depuis le mois de septembre, et risque une extradition dans le cadre de l’affaire Polanski.
Avec l’adaptation du roman L’homme de l’ombre de Robert Harris (également ici co-scénariste), Roman Polanski dissipe des mois de scandales judiciaires pour livrer la plus belle des vengeances, un must cinématographique au goût délicieusement salé.
Un puzzle politique, psychologique et littéraire qui confine à la maestria
Thriller austère dans son rythme (deux heures dix et une absence quasi totale d’action) et son goût esthétique pour la dépression (une météo insulaire morose, baignant dans une photographie désabusée), The Ghost Writer est l’incarnation du film malin. Le cinéaste charpente, avec une dextérité hitchcockienne, un récit opaque aux vertus fascinantes de l’hypnose, rassemblant les pions d’un puzzle politique, sans jamais trop en dévoiler, brouillant les pistes pour mieux captiver son audience, et érigeant la femme en maîtresse trouble d’un jeu de manipulation à plusieurs niveaux.
Dans The Ghost Writer, Roman Polanski plonge le personnage d’Ewan McGregor, nègre d’un ancien premier ministre britannique joué par un solide Pierce Brosnan, le temps d’une autobiographie événement, dans les coulisses du pouvoir. L’homme de l’ombre qu’il est (cf. le titre du bouquin original) débarque sur l’île américaine où le politicien, son élégante femme, et son équipe se sont retirés.
L’écrivain de l’ombre dans les méandres du pouvoir et de sa communication
En marge de la société, dans un environnement balayé par les éléments, l’homme de lettres essaye d’extirper des vérités d’une figure policée par le décorum de son ancienne fonction. Remplaçant au pied levé l’ancien « ghost writer », mort sur une plage de cette même île, des suites d’un suicide qui ne convainc personne, l’écrivain intervient dans la vie de cette haute figure mondiale au moment où éclate un scandale ravageant sa vie. Le premier ministre est rattrapé par ses « erreurs de gestion » d’une guerre contre le terrorisme dont il s’est fait le chantre, avec sa proche alliée, l’Amérique, et qui lui vaut aujourd’hui des accusations de crime contre l’humanité, pour avoir favorisé des actes de torture.
L’écrivain de l’ombre voit ainsi l’homme du jour au pied du mur, abandonné par ses amis du gouvernement et par Downing Street, éclaboussé par ses agissements secrets. Pris dans un engrenage, entre reconstruction d’une biographie qui lui est imposée et qui ne colle pas, le détective de la plume bascule dans une spirale de faux-semblants, à la marge de la schizophrénie. Il est aspiré par le royaume agité de la communication où l’être et le paraître s’embrassent jusqu’à fusionner, au service d’une cause plus grande qui doit absolument rester dissimulée du public.
Roman Polanski renoue avec la paranoïa
Dans ce jeu de mystère, Polanski intervient comme le maître de la démence paranoïaque qu’il a été quarante ans plus tôt, à l’époque de Répulsion, Rosemary’s Baby et Le Locataire. Polanski nourrit ses rebondissements d’une clairvoyance satirique particulièrement d’actualité. Au moment où The Ghost Writer sort, Tony Blair, source première de l’inspiration de l’ouvrage et du film, est lui-même sujet à une polémique sur son engagement aveugle dans la guerre en Irak, aux côtés de George Bush, avec lequel il aurait signé un accord secret. Pareille mascarade politique ne passerait pas à l’écran sans une vraie épaisseur des personnages. Ils sont ici insondables et complexes. Avec un écho shakespearien sur les rouages diaboliques du pouvoir (Polanski, le cinéaste de Macbeth, en 1972, se rappelle à nous), le whodunit à grande échelle balaie les thèses simplistes pour étoffer les discours les plus subversifs (l’homme politique, ancien acteur de théâtre, ne serait-il pas une poupée dans les mains de forces qui le dépassent ?).
Roman Polanski face à l’Amérique
Le thriller insulaire offre finalement à Polanski, l’homme pourchassé par les juges américains depuis plus de 30 ans, l’opportunité, qu’on imagine mal inconsciente, de régler ses comptes avec l’état où il est lui-même persona non grata. Les USA apparaissent dans le film isolés, en particulier leur chef d’état, honni par ses propres compatriotes. Avec ironie, c’est d’ailleurs en Amérique que le premier ministre déchu doit partir en exil, alors que le monde entier réclame que justice soit faite !
Si avec The Ghost Writer on ne parlera pas d’apothéose dans une carrière marquée par le génie, nous en évoquerons la substantielle maestria du film, synthèse mature de toutes les œuvres de forcené du passé trouble du cinéaste polonais. Quand au passé artistique proche de l’auteur, en perpétuel quête de rédemption publique, on saluera respectueusement le sursaut salvateur que représente ce thriller dans la carrière d’un homme dont les derniers films (Le pianiste et Oliver Twist), même s’ils étaient réussis, ronflaient d’académisme.