Dans Supercondriaque, le patient Dany Boon est soigneux et réalise une comédie cossue à l’ambition populaire évidente. Mais est-ce bien suffisant pour guérir la comédie française de ses maux ?
Synopsis : Romain Faubert est un homme seul qui, à bientôt 40 ans, n’a ni femme ni enfant. Le métier qu’il exerce, photographe pour dictionnaire médical en ligne, n’arrange rien à une hypocondrie maladive qui guide son style de vie depuis bien trop longtemps et fait de lui un peureux névropathe. Il a comme seul et véritable ami son médecin traitant, le Docteur Dimitri Zvenka, qui dans un premier temps a le tort de le prendre en affection, ce qu’il regrette aujourd’hui amèrement. Le malade imaginaire est difficilement gérable et Dimitri donnerait tout pour s’en débarrasser définitivement. Le docteur Zvenka pense avoir le remède qui le débarrassera en douceur de Romain Faubert : l’aider à trouver la femme de sa vie. Il l’invite à des soirées chez lui, l’inscrit sur un site de rencontre, l’oblige à faire du sport, le coach même sur la manière de séduire et de se comporter avec les femmes. Mais découvrir la perle rare qui sera capable de le supporter et qui par amour l’amènera à surmonter enfin son hypocondrie s’avère plus ardu que prévu…
La comédie trop chère des années 2010
Critique : Supercondriaque a été un film polémique. Pendant plus d’un an avant la de la quatrième réalisation de Dany Boon, le producteur Vincent Maraval avait lancé un pavé dans la marre en décriant le salaire démesuré des acteurs et notamment celui de l’homme-orchestre de Supercondriaque (scénario, dialogues, réalisation…).
Il est vrai que de l’argent, Supercondriaque en a coûté énormément, avec un budget supérieur aux 30 millions d’euros de frais de production. Cela se voit à l’écran. La réalisation est léchée par une photographie soignée, le montage est somme toute efficace, et les décors on ne peut plus variés. Quant au scénario à la Louis de Funès, il part en cours de route en véritable guérilla, au sens propre, ce qui peut paraître parfois hors propos par rapport au postulat de départ.
Supercondriaque est profus et généreux
Bref, le nouveau film du réalisateur de Bienvenue chez les Ch’tis veut en mettre plein la vue, offrir un spectacle populaire intégral, avec une minutie et une conscience de chaque instant. On n’en voudra pas au comique d’essayer de corriger le défaut principal de son séduisant Bienvenue chez les Ch’tis, à savoir une texture esthétique aux abonnés absents, ce qui était auparavant le défaut de plus de 90% des comédies made in France.
Moins franchouillard que Rien à déclarer
Donc Boon a vu plus grand et s’est même un peu calmé sur le franchouillard qui minait sérieusement son troisième passage derrière la caméra, Rien à déclarer. Aussi, on n’aura nullement envie d’être trop déplaisant envers un divertissement qui essaie de s’en donner les moyens, d’allumer la grande flamme de l’entertainment classieux américain.
Supercondriaque, dès le générique (pas de commentaire sur le placement de produit avec Google en gros…) essaie d’assurer. Il le fait tout d’abord dans l’exploitation littérale de son titre : un benêt de quarante ans, travaillant dans le médical, voit des bactéries et des microbes partout. L’excès et le délire sont le lot de la première partie qui irritera les uns, ou pliera en deux les autres : peu importe, vous avez été prévenus par l’affiche bleue… Evidemment, Boon ne pouvait pas s’arrêter là et va essayer d’introduire dans le scénario la cure au grand mal dont souffre son personnage assez infernal : l’amour, puisque la comédie doit aussi être romantique. Ronflant. Il découvre le coup de foudre en la personne d’Alice Pol (la Marie Gillain humoriste du cinéma français) qui joue la sœur tout aussi névrosée, mais cette fois-ci dans son obsession de l’humanitaire, du médecin de Boon, joué par Kad Merad. Compliqué, le script ? Pas vraiment.
Dany Boon, on le connaît, en fait des tonnes dans ses habits de gaffeur. La comparaison avec de Funès est donc opportune, à la différence que la dynamique des de Funès ne rebondissait pas sur des ressorts romantiques grossiers. Les comédies de gendarmes, bidasses et de sous-doués, dans les années 70-80, aimaient la légèreté. En 2014, on pense en revanche que l’amour anime les protagonistes d’une dimension supplémentaire. C’est devenu une nécessité scénaristique dont on se passerait bien.
Une comédie parfois coronavirussée
Là où le bât blesse, c’est probablement dans la volonté de surenchère qui emporte le film dans des sphères narratives qui nous échappent, puisqu’un moment donné les névroses médicales du protagoniste ne deviennent plus qu’un simple prétexte. A la suite d’un quiproquo, l’acteur devient le leader contestataire d’une dictature étrangère et le scénario dérape un peu plus loin pour enseigner à l’hypocondriaque ce qu’est la crasse, la vraie… Ce n’est vraiment pas le morceau de gloire du film, même si on sourit encore par moments : on assiste à la cohabitation de la vedette au fond d’une cellule immonde avec un rat et un cafard, qui deviennent ses deux compagnons d’infortune. Là où se pose la mort, la vie fleurit.
Au final, toujours dans l’emphase, Supercondriaque se doit d’être mesuré non pas à la qualité de son script (on en connaît les défauts avant même de démarrer sa projection), mais à celle de ses personnages, qui doivent, comme dans toute grande comédie populaire qui se respecte, fonctionner en tandem fort !
Les sévices du Dr. Maboul
Si certains spectateurs y trouvent sûrement leur lot d’éclats de rire, nous lui préférerons Eyjafjallajokull, qui avait plus de tempérament, notamment grâce à Valérie Bonneton que l’on croise ici lors d’une scène-sketch fort drôle. Aussi farfelue soit-elle, la nouvelle comédie de Dany Boon, plutôt de qualité dans son genre, échoue à vraiment réunir le binôme mythique de Bienvenue chez les Ch’tis puisqu’il s’agit de la réunion Boon / Merad. L’adhésion mutuelle de leurs deux personnages est tirée par les cheveux ; le tandem n’affiche plus la même complicité qu’auparavant, et l’on ne ressent aucune tendresse, ni pour l’un, ni pour l’autre.
Les extravagances du malade imaginaire sont donc à prescrire à petite dose. Les allergiques souffriront dès les cinq premières minutes face à cet humour létal, quand les amoureux de la comédie populaire française savoureront avec modération cet humour battant, qui aura toutefois beaucoup de mal à fédérer autant que les précédents services du Dr. Boon.
Dany Boon nous préparera-t-il une suite à l’occasion de la crise sanitaire du coronavirus ? Une question pertinente tant on image le personnage qu’il incarne se transformer en sociopathe en ces temps où l’hypocondrie a balayé la planète.
Critique de Frédéric Mignard