La ch’tite famille est une bonne grosse comédie populaire, brillamment interprétée, où chaque formule est millimétrée pour irriguer les rires, abondants. Toutefois la démesure de moyens n’est-elle pas en totale contradiction avec le message de simplicité véhiculé par l’ami Boon ?
Synopsis : Valentin D., architecte designer en vogue, prétend être orphelin trop honteux d’avouer être le fils de prolos ch’tis ferrailleurs. Seule sa compagne, la très snob Constance Brandt est dans le secret. En plein vernissage de leur rétrospective au Palais de Tokyo, la famille débarque à l’improviste du Ch’Nord avec le frère Gustave, la belle-soeur Louloute et sa mère Suzanne, cette dernière persuadée d’arriver à la fête surprise pour ses 80 ans. Les retrouvailles s’annoncent inoubliables.
Critique : Pile poil dix ans après le triomphe sans partage de Bienvenue chez les Ch’tis qui a fait de Dany Boon une méga-star de la comédie nationale, le comique revient dans son terroir du Nord pour une fausse suite et un vrai hommage à sa région qui lui a permis de côtoyer les cimes. On retrouve d’ailleurs Kad Merad dans son propre rôle, pour un caméo clin d’œil.
Un pour tous, tous pour Ch’tis
Depuis les 20 millions d’entrées des Ch’tis (et même 3 millions rien qu’à Paris), Boon est devenu le chantre de la comédie populaire réalisant systématiquement des cartons quand il revêt la casquette d’auteur-réalisateur. Le Monsieur est devenu tout puissant au cœur de notre cinématographie, influençant même, de son regard critique sur les César – qui ne donnent aucun écho aux comédies populaires où il excelle -, l’évolution de la sacro-sainte manifestation du septième art français. En 2018, on a ainsi créé un César exceptionnel, qui donne voix aux entrées du box-office. Oui, selon le Boon de la comédie française (boon signifiant une aubaine, en anglais, et quelle aubaine représente-t-il pour toute l’industrie !), n’est-ce pas aussi au peuple de déterminer par ses choix la qualité des films ? Vu les résultats politiques populaires aux quatre coins du monde, on peut rester dubitatifs et l’on se permettra de douter de l’assimilation systématique entre qualité et quantité.
De sa puissance soudaine dans l’industrie du cinéma français, Dany Boon chez Pathé a surtout saisi l’occasion de répondre aux critiques de l’époque, sur sa réalisation un peu fade, en s’octroyant des budgets toujours plus excessifs pour pareils spectacles, ce qui lui permet à chaque fois de s’entourer d’équipes fortiches, pour une mise en image extrêmement pointilleuse, au risque, peut-être, de déplacer l’attention du spectateur sur l’opulence ostentatoire et gratuite. Photographie léchée, décors toujours plus impressionnants (il s’était vu donner l’autorisation d’investir l’Elysée pour Raid Dingue), fluidité de la caméra… Le cinéma de Boon est devenu beau, trop peut-être pour satisfaire pleinement, car dans un film comme La ch’tite famille où il est question des vraies valeurs et des vraies gens, l’afféterie du style interpelle quant à sa légitimité et son opportunité. On ch’tipote un peu, mais c’est pourtant ce que l’on ressent très souvent devant ce “faste & facétieux”.
La Ch’tite famille s’amuse des clichés Paris Province avec panache
Dany Boon est en fait devenu un fin rationaliste de la plume qui dose les formules ici et là pour manipuler – dans le bon sens du terme – les humeurs du public, avec un script jovial où tout est soupesé pour séduire et surtout faire rire. Dans sa critique d’un microcosme culturel friqué qui a perdu ses racines (les parigots arrogants), et ses louanges des humbles aussi foutraques et excentriques soient-ils (les faux naïfs de province), le comique s’oriente forcément vers une France large, en quête de reconnaissance, qui aime rire d’elle-même et des autres, sans pour autant s’effaroucher devant la symbolique et le stéréotype du portrait brossé.
Qu’elle soit ventrue, physiquement pas jojo, incapable de parler correctement sa propre langue, amatrice de variétoche française avariée et cultivée dans ses connaissances publicitaires… la France qu’exalte Boon est surtout consensuelle. Au vu du budget alloué, Boon n’a pas le droit à l’erreur et s’oblige lui-même au script fédérateur qui dérape sur les bons sentiments (toute la partie finale, avec une congrégation festive sur du Johnny Hallyday entonné par le pire Ch’ti de l’équipe, Pierre Richard, le seul à ne pas avoir chopé l’accent du Nord dans l’équipe).
Au final, à la soupe populaire, on est plutôt bien servi, on déguste les dialogues peaufinés sans rechigner : il faut dire que le script est judicieux, et les acteurs globalement excellents, notamment dans leur gestion d’un accent fi ch’trement cocasse et pas aisé à manipuler. Boon est charismatique, Line Renaud en matriarche du terroir carrément formidable, et le reste du casting, de Laurence Arné à Valérie Bonneton, est à l’avenant, pour de francs moments de rigolades linguistiques en version originale locale. En effet, 60% de La ch’tite famille a été tourné en langue locale, et pour certains, il faudra bien un temps d’adaptation avant de trouver l’envie de rire avec et non contre eux.