Proposant de visiter l’envers du décor hollywoodien, Starry Eyes est une œuvre qui prend aux tripes dans sa description sans fard des coulisses du septième art. Le résultat est violent, puissant et lynchien dans son ambiance, à la limite de la folie.
Synopsis : Sarah Walker a un petit boulot sans avenir sous le joug d’un patron qui la prend de haut, elle subit des amitiés superficielles avec des acteurs concurrents et participe à des castings qui n’aboutissent à rien. Après plusieurs auditions humiliantes face à un duo pour le moins bizarre, elle décroche le rôle principal dans leur nouveau film. Malgré le fait qu’ils lui demandent de faire des choses de plus en plus étranges, elle sera prête à tout pour réussir, aveuglée par son fantasme de célébrité…
Un film né d’une campagne de financement participatif
Critique : Peu connu du grand public au début des années 2010, le duo de cinéastes Kevin Kölsch et Dennis Widmyer peut pourtant compter sur un soutien de poids puisque les deux compères sont de proches amis de l’écrivain Chuck Palahniuk, à qui l’on doit le roman culte Fight Club. D’ailleurs, en 2003, ils furent les auteurs d’un documentaire consacré au romancier intitulé Postcards from the Future : The Chuck Palahniuk Documentary. Après un premier essai dans la fiction avec Absence (2009) qui n’a pas été exploité en salles, les deux comparses souhaitent remettre le couvert avec leur projet Starry Eyes (2014).
© 2014 Snowfort Pictures – Parallactic Pictures – Dark Sky Films
Afin de trouver l’argent nécessaire à la conception de ce film indépendant, les duettistes ont eu recours à une campagne de financement participatif sur Kickstarter. Il est important de signaler que le succès de cette campagne tient essentiellement au soutien de la communauté de fans de Chuck Palahniuk qui s’est largement mobilisée. En tout cas, le succès de la démarche a permis au duo de profiter de 18 jours de tournage afin de mettre en boîte les images de ce long métrage conçu comme un véritable shocker.
L’enfer du décor
Avec Starry Eyes, les auteurs cherchent à ausculter l’envers du décor hollywoodien. Ils entendent montrer la galère des artistes qui aspirent tous à la célébrité, mais qui échouent à concrétiser leur rêve de gloire. Ainsi, le spectateur est invité à suivre le parcours initiatique de Sarah qui veut devenir comédienne et, si possible, star. Pour le moment, elle doit se contenter d’un job minable dans un fast-food et d’une colocation où elle est entourée d’aspirants artistes comme elle. Dans ce microcosme se cache déjà beaucoup d’ambitions, mais aussi des jalousies et des rancœurs.
© 2014 Snowfort Pictures – Parallactic Pictures – Dark Sky Films – Title Media / Affiche : Blood & Chocolate. Tous droits réservés.
Pourtant, Sarah décroche enfin une audition pour une maison de production importante et son rêve d’être en haut de l’affiche semble se concrétiser. Mais pour cela, il va falloir qu’elle fasse des sacrifices, au point d’y perdre son âme. Après une première partie assez naturaliste, Starry Eyes part clairement en vrille dans une deuxième partie entièrement métaphorique qui voit la mutation mentale et corporelle d’une jeune femme innocente en une future star du grand écran. Désormais, Sarah est prête à tout pour parvenir à ses fins et gare à ceux qui entraveront sa route sur la voie du succès.
Starry Eyes, quelque part entre Polanski, Lynch et Cronenberg
Le duo Kevin Kölsch et Dennis Widmyer connaît assurément ses classiques et s’insinue dans toute une tradition du cinéma de l’étrange. Ainsi, la secte qui se dissimule derrière la compagnie de production évoque les fantasmes paranoïaques de Roman Polanski (on pense beaucoup à Rosemary’s Baby et même au Locataire). Le portrait d’Hollywood renvoie quant à lui à Mulholland Drive (David Lynch, 2001) dont Starry Eyes peut être vu comme une version trash du film poétique du génie américain. Enfin, la partie qui voit la jeune femme muter corporellement s’inscrit dans la lignée du body horror initié par David Cronenberg. On pourrait d’ailleurs signaler les similitudes de Starry Eyes avec un film plus récent au traitement similaire, le formidable The Substance (Coralie Fargeat, 2024).
Pour cela, les deux cinéastes se sont appuyés sur la prestation impressionnante d’Alexandra Essoe qui se donne à fond pour le rôle, dans une sorte d’effet-miroir troublant. Après tout, comme son personnage, l’actrice a même accepté de mettre dans sa bouche des insectes pour pouvoir mieux les vomir lors d’une scène assez dégoutante. Lors de la scène d’audition où elle se donne à fond, mimant une crise d’hystérie, la jeune femme va très loin dans le don de soi. La référence des cinéastes était d’ailleurs la fameuse scène culte du métro interprétée par Isabelle Adjani dans Possession (Andrzej Zulawski, 1981) où la comédienne française simulait la folie d’une manière proprement tétanisante. Si Alexandra Essoe n’atteint pas la puissance de jeu d’Adjani, sa performance doit tout de même être saluée.
© 2014 Snowfort Pictures – Parallactic Pictures – Dark Sky Films . All Rights Reserved.
Un film culte qui a fait le tour des festivals
Pure descente aux enfers, Starry Eyes n’hésite pas à déverser de l’hémoglobine, mais aussi à évoquer des sujets difficiles comme celui des abus sexuels à Hollywood. Rappelons que nous sommes ici trois ans avant l’explosion du mouvement #MeToo. Ajoutez à cela une excellente bande-son synthétique de Jonathan Snipes très influencée par les années 80 et vous trouverez tous les éléments propres à séduire les amateurs d’œuvres marquantes dans cette petite production indépendante.
Présenté début 2014 au Festival South by Southwest, le métrage a acquis une excellente réputation dans tous les festivals où il a été programmé. Malheureusement, cela n’a pas suffi pour que le shocker soit distribué dans les salles françaises. Seuls les heureux participants au PIFFF 2014 (Paris International Fantastic Film Festival) ont pu le découvrir sur grand écran. Depuis, le métrage demeure inédit en France sur support physique. Il est toutefois visible sur de nombreuses plateformes, dont Prime Vidéo. On vous le conseille vivement.
Grâce à ce beau coup d’éclat, le duo Kevin Kölsch et Dennis Widmyer a pu être promus à la réalisation du remake de Simetierre en 2019, pour un résultat nettement plus décevant.
Critique de Virgile Dumez
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© 2014 Snowfort Pictures – Parallactic Pictures – Dark Sky Films – Title Media / Affiche : Blood & Chocolate. Tous droits réservés.
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Dennis Widmyer, Kevin Kölsch, Alexandra Essoe, Amanda Fuller, Noah Segan
Mots clés
Cinéma indépendant américain, Body Horror, La folie au cinéma, Film sur le cinéma, Les sectes au cinéma, Les histoires étranges au cinéma