Polar efficace, teinté de second degré, Pour la peau d’un flic, première réalisation d’Alain Delon, est certes dépourvue d’originalité, mais bénéficie d’une histoire bien ficelée et d’acteurs au sommet de leur forme.
Synopsis : Choucas, un ex-flic, est piégé par ses anciens collègues aidés par une bande de gangsters.
Critique : Après une succession d’échecs commerciaux plus ou moins justifiés, Alain Delon revient au polar en ce début des années 80 et retrouve par-là même le chemin du succès. Après le beau parcours de Trois hommes à abattre (Jacques Deray, 1980), la star décide de produire son tout premier film en tant que réalisateur. Objet à la gloire de sa propre personne, Pour la peau d’un flic est coscénarisé, produit, joué et réalisé par Alain Delon à partir d’une série noire écrite par Jean-Patrick Manchette. Et surprise, cela fonctionne !
Doté d’une histoire policière particulièrement alambiquée qui multiplie les fausses pistes, ce premier long métrage de l’acteur se révèle d’une belle efficacité, réservant son lot de surprises et de scènes d’action prenantes. Ainsi, la séquence de conduite en sens inverse sur le périphérique parisien tient franchement en haleine et constitue un des morceaux de bravoure du film. Emballé de manière classique par un Delon consciencieux, ce policier du samedi soir est également porté par le célèbre thème musical imparable d’Oscar Benton et par une belle alchimie entre les comédiens.
Ainsi, Anne Parillaud apporte une fraicheur bienvenue et complète à merveille le formidable duo Delon / Michel Auclair. On passera donc sur l’avalanche de clichés machistes qui plombent le scénario – le rôle de la femme étant limité à celui d’une secrétaire aimante et attentionnée sachant mitonner de bons petits plats. Pour la peau d’un flic n’est certainement pas une oeuvre de référence, mais elle parvient toutefois à divertir le spectateur en lui offrant ce qu’il est venu chercher.
Cette satisfaction du public lui a permis de cumuler 2 363 700 entrées / France, ce qui le place à la treizième place des plus gros succès de l’année 1981 (mais loin derrière Le professionnel avec l’ami Belmondo).
Critique de Virgile Dumez
Box-office de Pour la peau du flic
Comment Alain Delon, à travers le polar, a su préserver sa carrière de mégastar et alimenter sa concurrence virile avec son pote Belmondo.
Si on écarte sa participation au film historique coproduit par la Russie Téhéran 43, sorti en toute discrétion durant l’été 81, le début des années 80 est marqué par le genre de la série noire pour Alain Delon, avec quatre policiers commerciaux : 3 hommes à abattre (2 194 000 entrées), Pour la peau d’un flic (2 377 000), Le Choc (1 508 000) et Le Battant (1 935 000).
Delon le mythe y trouve le moyen d’exercer facilement son statut de star face à l’immensité de la carrière de Belmondo qui trouve à cette époque ses plus gros succès populaires. Ce dernier, dans des productions pour un public plus large réalise près de 20 millions d’entrées en 4 films avec Le Guignolo, Le Professionnel, L’As des as et Le Marginal.
Delon a certes encore envie de tourner avec de grands cinéastes français (il envisage de tourner un grand film avec Romy Schneider qui ne se fera pas en raison du suicide de celle-ci), mais il lui faut aussi nourrir la concurrence frontale avec son pote Belmondo, comme pour préserver des décennies de carrière parallèle qui les a placés chacun au firmament, en leur octroyant une place unique au cœur du 7e art hexagonal.
Alain Delon producteur braque la caméra sur Delon réalisateur
En devenant réalisateur sur Pour la peau d’un flic, Delon trahit une promesse qui est celle de ne pas céder à un exercice qui n’est pas le sien. Il déteste effectivement les prétentions déplacées et aime voir chacun à la place qui est sienne. Mais il n’aura nullement à rougir de cette œuvre autocentrée entièrement bâtie pour lui.
L’UGC, alors associé à Europe 1 à la distribution, propose de nombreux teasers pour annoncer l’événement tout au long du tournage. Delon est Pour la peau d’un flic et il faut aussi souligner son travail de cinéaste quand le film sort. Cela gonfle la promo. Les critiques détestent. Le public adore.
Sur l’affiche, au visuel proche des Belmondo de cette époque magnifique, et dont le design élégant collera parfaitement avec les jaquettes de vidéocassettes René Chateau, la stature sérieuse et virile de l’acteur, flingue à la ceinture, ne donne pas une belle place à l’héroïne, mais cela plaît. Il faut déshabiller ces dames et Delon s’y risque. Aujourd’hui, l’on dirait maladroitement, mais à l’époque, c’était au contraire, une preuve d’être avec son temps. Misogyne le cinéma français du début des années 80. Oui, totalement.
Anne Parillaud, totalement secondaire dans le film, tient une place d’ingénue dénudée sur le visuel promotionnel qui semble surligner son statut d’atout charme. qui lui colle alors à la peau. Le film érotique italien Patricia un voyage pour l’amour (1982) confirma ce qu’elle avait réussi à éviter en tournant la comédie adolescente Girls de Just Jaeckin, que les réalisateurs l’embauche pour la déshabiller. Ironiquement, avec Girls, le réalisateur d’Emmanuelle s’essayait à une chronique proche du cinéma de Michel Lang, loin de son passif sulfureux. Girls et son titre en trompe-l’œil annonçait La Boum, mais Anne Parillaud n’en gagnera pas la notoriété énorme de Sophie Marceau.
Quand Pour la peau d’un flic sort, Delon réalisateur a mis toute son équipe technique dans la poche. Tout le monde loue son professionnalisme qui transpire dans ce projet et sa promotion. Il veut être de toutes les décisions. La promotion est admirable, jusqu’à la sortie de la bande originale du film en 45 tours. La chanson d’Oscar Benton, Bensonhurst Blues, transpire de par son ambiance mélancolique sur tout le film et se distingue dans les ventes de singles de l’époque, en 1981 et 1982.
Alain Delon avait pensé à tout…
Le mercredi 9 septembre 1981 personne ne se permet de mettre des bâtons dans les roues à Alain Delon. Son film est un blockbuster et la rentrée lui appartient. Tais-toi quand tu parles de Philippe Clair, avec Aldo Maccione, cartonne, mais la comédie est sortie une semaine auparavant. Les polars français Il faut tuer Birgitt Haas (Laurent Heynemann, avec Philippe Noiret et Jean Rochefort) et Le choix des armes (Alain Corneau, avec Yves Montand, Gérard Depardieu et Catherine Deneuve) l’ont précédé également. Le premier ne sera pas millionnaire (949 000), le second ne fera pas les deux millions.
Aussi, Delon n’a pas vraiment à flinguer la concurrence. Cette semaine du 9 septembre lui appartient. Il s’installe confortablement en première place avec 225 889 spectateurs, à Paris-Périphérie, dans 40 salles. Son prédécesseur, Trois hommes à abattre avait débuté à 199 852 spectateurs dans 35 cinémas. Solide, Birgitt Haas est second (82 450), Tais-toi quand tu parles exulte en troisième place (81 309) et fait même mieux en province où Aldo Maccione est une idole en devenir. Les continuations des Hommes préfèrent les grosses et du Facteur sonne toujours 2 fois, en 4e et 5e positions, démontrent qu’il y a de la place pour tout le monde.
… sauf le phénomène Indiana Jones
Delon, qui sort son polar événement 6 semaines avant le phénoménal Le professionnel aura toutefois un concurrent surprise lors de sa deuxième semaine en la personne d’Harrison Ford et son incarnation la plus célèbre, Indiana Jones. En effet, Les aventuriers de l’arche perdue est un vrai succès pour un film américain, la semaine du 16 septembre. Les Etats-Unis ne s’étaient pas vraiment démarqués durant l’été 1981. Si Le facteur sonne toujours 2 fois de Bob Rafelson, avait marqué de sa moiteur érotique 1 197 000 spectateurs, Outland… loin de la terre de Peter Hyams (564 000) et surtout La grande Zorro de Peter Medak et La Bible ne fait le vent sont passés relativement inaperçus.
Les deux derniers gros succès nord-américains étaient parus en juin, à savoir Le policeman de Daniel Petrie, avec Paul Newman (1 291 000) et New York 1997 de John Carpenter (1 278 000).
Pas de bol pour Alain Delon, Les aventuriers de l’arche perdue devient un phénomène, avec 6 398 520 spectateurs et une troisième place annuelle. Ca, il ne l’avait pas vu venir.
1981 : de belles heures pour le cinéma policier français
Néanmoins le flic préféré des Français finira l’année 1981 avec une très belle 13e place et 2 377 000 entrées. Il restera six semaines dans le top 5 français et huit semaines dans le top 10.
Le 23 septembre, Garde à vue, autre film noir de légende, cette fois-ci de Claude Miller, avec Lino Ventura, Michel Serrault, et Romy Schneider, viendra affronter Delon frontalement. Un succès de plus dans le genre en cette année 1981. On peut dire que le polar français vit de belles heures. En 1981 seront sortis Le professionnel (5 243 000), Diva (2 281 000, carrière de plus d’un an !), Garde à vue (2 094 000), Le choix des armes (1 787 000), Il faut tuer Birgitt Haas (949 000), Une sale affaire avec Marlène Jobert et Victor Lanoux (888 000), Une affaire d’hommes de Nicolas Ribowski, avec Claude Brasseur et Jean-Louis Trintignant (540 000), Un assassin qui passe de Michel Vianey avec Trintignant, Carole Laure et Richard Berry (226 709)…
Le genre policier traversera magnifiquement la première partie des années 1980, mais disparaîtra en 1986, avec une série de bides. Et ce n’est pas Alain Delon, avec Ne réveillez pas un flic qui dort de José Pinheiro (1988) et Dancing Machine de Gilles Béhat (1990), qui échappera au désamour du public pour un genre fondateur en France mais ringardisé par les jeunes réalisateurs après 1985.
Le succès de Pour la peau d’un flic permet à Alain Delon de maintenir sa côte de popularité au début des années 80. L’acteur de 46 ans demeure, plus de 20 ans après ses débuts, une valeur sûre, une méga star française qui fait de la résistance. Le Choc, Le Battant, et Parole de flic de José Pinheiro, en dépassant tous trois les 1 500 000 entrées, confirmeront l’attrait du public pour ses films commerciaux.
Delon, sur sa lancée, redeviendra réalisateur avec le moins réussi Le Battant, avec de nouveau Anne Parillaud en caution féminine. L’occasion pour l’acteur de retravailler avec le distributeur AMLF, six ans après L’homme pressé, pour des retrouvailles contrastées commercialement, mais carrément ratées artistiquement. As a consequence, il tombera une fois pour toute la caméra pour se contenter des fonctions de producteur et acteur.
Box-office de Frédéric Mignard
Le test du Blu-ray
Très belle restauration du film par Pathé, qui immortalise ainsi la première réalisation d’Alain Delon, une œuvre sympathique, qui redoublait de jeunesse en son temps, par son style et son efficacité.
Compléments : 3 / 5
Une présentation contemporaine du film, en HD, par un journaliste de 23’53. Une belle remise en contexte de ce polar noir et violent, mais non dénué de second degré, qui est analysé de façon sérieuse.
On retrouve également la bande-annonce.
Image : 4 / 5
Toute la pertinence des restaurations HD de Pathé, un transfert qui redonne ses lettres de noblesse d’un cinéma français dit du répertoire, même si ce Delon-là n’appartient en rien aux classiques de notre cinématographie. La luminosité et le contraste requinquent l’approche de l’image.
Son : 3.5 / 5
Un mono HD Master Audio cristallin qui ravive les voix et étoffe le score. Belle piste, sans pour autant flirter avec la perfection.
Test vidéo de Virgile Dumez
Biographies +
Alain Delon, Anne Parillaud, Daniel Ceccaldi, Brigitte Lahaie, Michel Auclair, Pascale Roberts, Annick Alane, Etienne Chicot, Jacques Rispal, Daniela Rocca