Préquel de X, Pearl est un film d’horreur assez jouissif par l’interprétation folle de Mia Goth, ainsi que par la réalisation soignée de Ti West. Une réussite.
Synopsis : En 1918, alors que la Première Guerre mondiale est en cours, Pearl habite dans une pension de famille en pleine campagne. La jeune femme se sent piégée et isolée dans cette ferme familiale où elle doit s’occuper de son père malade et comateux tout en supportant sa cruelle mère. Pearl rêve d’une vie glamour comme dans les films qu’elle regarde. Néanmoins, une série d’événements va doucement la faire sombrer.
Un hommage déviant à l’âge d’or du Technicolor
Critique : Projet dont la concrétisation a été bousculée par l’épidémie de Covid-19, le film d’horreur X (2022) a finalement été tourné en Nouvelle-Zélande par toute l’équipe de Ti West, alors même que l’intrigue était censée se dérouler au Texas. Lors de cette expérience en vase clos, le réalisateur s’est attaché à son actrice Mia Goth et les deux complices ont souhaité enchaîner immédiatement avec un préquel qui allait raconter la jeunesse du personnage que l’actrice incarnait dans le précédent film sous des tonnes de maquillages lui donnant l’aspect d’une femme très âgée.
Pour une modique somme (on parle d’un petit million de dollars), les deux complices écrivent à quatre mains le script de Pearl (2022). Le tournage suit directement celui de X, dont il constitue donc une extension, même si le style en est légèrement différent. Effectivement, là où X se voulait un hommage direct aux films dingues des années 70 du style Massacre à la tronçonneuse (Tobe Hooper, 1974), Pearl se veut bien plus proche des fantaisies hollywoodiennes de l’âge d’or. Tout d’abord, l’intrigue est située en 1918 et se penche sur le destin d’une jeune fille de ferme qui rêve de devenir une danseuse célèbre à travers le cinéma naissant. Si Ti West ne s’inspire pas vraiment du cinéma muet, il prend plutôt comme référence les grandes œuvres en Technicolor de la fin des années 30.
Glissements progressifs vers la folie meurtrière
Ainsi, à travers la scène de danse avec l’épouvantail, il s’attache à citer Le magicien d’Oz (Victor Fleming, 1939), dont il livrerait ici une version totalement déviante, puisque Pearl finit par faire éclater sa frustration sexuelle lors de cette séquence assez hallucinante. Sans doute moins directement efficace que son prédécesseur qui émargeait du côté du slasher craspec, Pearl entend surtout décrire le lent cheminement d’une jeune fille isolée de tout vers la pathologie mentale. Sorte de personnage de conte, elle pourrait être l’héroïne d’un grand mélodrame classique, mais elle est minée par un comportement psychotique de plus en plus saillant au fur et à mesure de la projection.
© 2022 A24 – Little Lamb / Affiche : MOCEAN. Tous droits réservés.
Bien décidée à s’échapper de la ferme familiale, Pearl entend mener sa barque sans se laisser intimider par les nombreux obstacles. Tout d’abord, elle est mariée à un soldat parti à la guerre. Ensuite, elle s’occupe de son père handicapé, tout en subissant l’autorité excessive de sa mère acariâtre (excellente Tandi Wright). Le tout sur fond de contamination par la grippe espagnole, référence évidente au contexte de création du film, alors en pleine pandémie de coronavirus. Lorsqu’elle fait la rencontre d’un bellâtre projectionniste (crédible David Corenswet), elle se met à rêver de départ imminent. De même lorsqu’un casting pour sélectionner une danseuse passe par sa localité. A chaque fois, la jeune femme va devoir faire le deuil de ses espoirs, non sans avoir eu recours à des meurtres particulièrement atroces et graphiques.
Mia Goth, nouvelle diva trash
Jamais ennuyeux malgré sa longue entrée en matière, Pearl ne démarre véritablement son cycle mortifère que dans la dernière demi-heure qui est tout de même assez gratinée. Alors que l’ambiance n’est pas à la gaudriole, on retrouve ici le goût de Ti West pour l’humour à froid. On adore notamment les tentatives ratées de l’héroïne pour se débarrasser de son père handicapé, mais aussi l’usage non conformiste d’une fourche par la furie homicide. Les meurtres très graphiques et les situations paroxystiques déclenchent nécessairement le rire complice et on imagine aisément l’amusement de toute l’équipe lors de la confection de ces scènes.
Mais Pearl ne serait pas aussi réussi sans la contribution majeure de l’actrice Mia Goth qui est en train de se forger une filmographie alternative de dingue. N’oublions pas qu’elle a joué dans le Nymphomaniac, volume 2 (2013) de Lars von Trier, mais aussi dans les films fous que sont A Cure for Life (Gore Verbinski, 2016), le Suspiria (2018) de Luca Guadagnino, High Life (Claire Denis, 2018) ou plus récemment Piscine à débordement (Brandon Cronenberg, 2023). On s’incline bien bas devant un tel palmarès qui fait d’elle une nouvelle diva trash dont Pearl semble constituer un aboutissement tant elle y est formidable dans le lâcher prise.
Pearl, un inédit cinéma de plus pour Ti West
Complètement barrée, la comédienne se livre ici sans fard dans des longs plans-séquence où son visage passe par toutes les émotions. Elle n’hésite pas une seconde à s’enlaidir et à sombrer dans la folie la plus pure dans des plans de plusieurs minutes, démontrant la fascination de Ti West pour le talent de son actrice.
Rien que pour cette prestation absolument folle, Pearl vaut le détour, d’autant que l’esthétique du film est également très travaillée, avec des références picturales au Technicolor qui enchantent l’œil. Il est d’autant plus regrettable que le film ne soit pas sorti en salles en France, rejoignant la longue liste des œuvres inédites de Ti West. Pourtant, le long métrage a été présenté avec succès dans de nombreux festivals (y compris la Mostra de Venise) et a décroché plusieurs prix importants dont ceux du meilleur réalisateur et de la meilleure actrice à Sitges, en Espagne. Depuis, le réalisateur a signé un troisième volet de cette saga intitulé MaXXXine qui doit en principe être proposé en salles durant l’été 2024. On a hâte.
Critique de Virgile Dumez
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Ti West, Mia Goth, David Corenswet, Tandi Wright, Emma Jenkins-Purro
Mots clés
Cinéma indépendant américain, Psycho-killer, La folie au cinéma, Les épidémies au cinéma