Dans l’univers du blockbuster américain, Gore Verbinski est probablement l’un des cinéastes les plus étonnants, voire les plus atypiques. Sa carrière incroyable est jalonnée de triomphes spectaculaires, mais également de flops abyssaux.
Le cinéaste, qui a démarré dans un cinéma de divertissements pour enfants, en 1998, avec La souris, est connu pour son goût de la fantaisie décalée, du fantastique ténébreux, et du blockbuster tonitruant. Il est épatant.
Gore Verbinski, premier succès historique de Dreamworks
Pourtant, La souris laisse un goût amer auprès des cinéphiles. Certains trouvent son travail plutôt insipide, même si les enfants de l’époque, eux, sont séduits. Dreamworks en obtient son premier vrai succès puisqu’il s’agira de sa 3e sortie historique après Le pacificateur de Mimi Leder et Amistadt de Steven Spielberg qui sera un échec de sinistre augure pour le studio à peine créé.
En 2001, Dreamworks fera de nouveau appel aux talents de Gore Verbinski pour une production ratée et désormais oubliée, avec le couple Brad Pitt et Julia Roberts en tête d’affiche : Le Mexicain. Cet argument marketing permet d’éviter la casse au box-office, mais la présence de ces 2 grandes stars est probablement l’unique intérêt de cette platitude cinématographique. La critique la démolira à raison.
© 2001 Paramount Pictures. All Rights Reserved
Après ces 2 premiers films, Verbinski aura du mal à être pris au sérieux par les cinéphiles, notamment français, qui n’ont aucun temps à perdre avec le tâcheron de La souris et Le Mexicain, contrairement à Zack Snyder qui, avec 300 ou L’armée des morts, deviendra immédiatement l’objet de débats fiévreux. Gore Verbinski lui laisse plutôt indifférent.
Gore Verbinski lance le premier grand remake horrifique des années 2000
Pour Dreamworks, le cinéaste américain réalise un 3e long métrage en 2002. Le cercle est un véritable triomphe pour un film d’épouvante aux États-Unis, puisqu’il dépasse les cent millions de dollars à domicile et en France, épouvante 960 000 curieux. C’était peu fréquent à cette époque pour un film de ce genre, mais Le cercle qui a l’audace d’être une relecture d’un classique japonais, Ring d’Hideo Nakata (1998) est surtout un excellent film d’ambiance, porté par la prestation de Naomi Watts qui vient de triompher chez David Lynch (Mulholland Drive).
Le remake américain parvient à instaurer sa propre atmosphère et sa personnalité propre, malgré la différence de culture ; cela peut expliquer son triomphe. Dans tous les cas, Le cercle – The Ring lance la mode du remake du classique de l’épouvante, puisque suivront des films comme Massacre à la tronçonneuse par Marcus Nispel (2003) ou bien L’armée des morts par Zack Snyder (2004).
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Walt Disney qui avait viré Gore Verbinski à la suite d’un différend sur Mission To Mars pour finalement engager Brian De Palma, à la fin des années 90, fait de nouveau appel au talent du bonhomme en lui proposant non pas l’adaptation d’un classique de son répertoire, mais l’adaptation d’une attraction de son parc à thèmes, Pirates des Caraïbes.
16 millions d’entrées en France en 3 Pirates des Caraïbes
On est en 2003 et Johnny Depp ne cesse de grimper en popularité. Disney doit s’associer au nabab Jerry Bruckheimer pour couvrir un budget colossal. Pirates des Caraïbes : la malédiction du Black Pearl remet au goût du jour le film de cape et d’épée et dépasse même les 300M$ aux USA. Une véritable mythologie de 5 longs-métrages vient d’être lancée, avec notamment Geoffrey Rush, Orlando Bloom et Keira Knightley parmi les acteurs principaux. C’est un véritable phénomène de société.
Deux autres opus seront réalisés par Gore Verbinski, les numéros 2 et le numéro 3. En 2006, Le secret du coffre maudit dépassera même les 6 600 000 entrées en France. Aux États-Unis, les 400 000 000 de dollars de recettes sont atteints. Dans le monde, ce n’est pas moins d’un milliard de recettes qui ont été générées par cette production, le plus gros succès de la saga.
Très peu de films parvenaient à de tels exploits à cette époque. Il fallait s’appeler Le Roi Lion, Titanic, Jurassic Park, Le Seigneur des anneaux ou bien Star Wars: la menace fantôme pour profiter d’un tel engouement.
© 2001 Paramount Pictures. All Rights Reserved
Aussi entre 2003 et 2007, Gore Verbinski réalise trois Pirates des Caraïbes. Peu de gens se souviennent pourtant qu’au milieu de ces succès encombrants l’auteur livre le flop de The Weather Man, une production humble de budget qui sort en 2005. La comédie avec Nicolas Cage, décalée et caustique, sombre malgré d’excellentes critiques des deux côtés de l’Atlantique.
Dans l’Hexagone, c’est pire. Le distributeur UIP, qui regroupait alors Paramount et Universal, décide d’en faire une sortie technique et le lance dans à peine 7 cinémas pour un total ahurissant de 3 814 spectateurs.
Rango : meilleur film animé américain de la décennie
En 2010. Quand Disney nourrit encore des projets autour de Pirates des Caraïbes, Gore Verbinski, lui, est passé à autre chose. Il débauche le temps d’un film d’animation plutôt adulte, Johnny Depp pour Rango. Cette véritable réussite artistique complètement iconoclaste, ne sera pas un vrai triomphe dans les b.o de la planète, en dehors des États-Unis où il dépasse les 100 millions de dollars.
Le western peine à réaliser le double à l’international et ne lancera pas de franchise. Mais ce délire parvient à arracher un Oscar signifiant, celui du meilleur film d’animation. Cela relève de l’exploit car à cette époque, Disney/Pixar s’appropriaient chaque année la statuette et depuis, ça n’a pas beaucoup changé.
Rango est de loin le meilleur film d’animation américain de la décennie. On ne l’oublie pas.
© 2011 Paramount Pictures. All Rights Reserved
En 2013, Walt Disney et Jerry Bruckheimer tentent de lancer une nouvelle franchise pour faire face à la fin de Pirates des Caraïbes ; ils se tournent vers Johnny Depp et Gore Verbinski pour un projet d’adaptation pharaonique de la série télé intitulée Lone Ranger. Les producteurs confient 250 000 000 de dollars, hors frais de marketing, à Gore Verbinski pour réaliser ce qui sera l’un des plus gros accidents industriels de la décennie.
Lone Ranger, A Cure for Life… trop audacieux, trop exigeants : la chute de Verbinski
Film improbable et enthousiasmant. Lone Ranger, naissance d’un héros est surtout le requiem d’un cinéma libre dans le domaine du blockbuster : une superproduction de 2h30 complètement débridée, violente, politiquement incorrecte, dans laquelle le cinéaste ne s’impose aucune limite. L’acolyte de Depp à l’écran est Armie Hammer blondinet fade qui ne perce pas vraiment malgré le forcing des studios. Hammer sera plus tard évincé d’Hollywood pour des histoires de fantasmes cannibales. Mais, on n’y est pas encore ; en 2013, le prince charmant de Blanche Neige (2012), de Tarsem Singh, avec Julia Roberts et Lily Collins est surtout une très mauvaise idée de casting. Au sein de l’infini chaos que représente cet ovni masqué, l’acteur n’est qu’un élément de plus qui vouait l’entreprise à la déroute. Aux États-Unis, Lone Ranger s’écrase sous les 100M$. C’est la douche froide pour Disney qui apprendra beaucoup de ce désastre et décidera de mettre un terme aux productions originales pour s’enfermer exclusivement dans des franchises établies et en particulier des productions super héroïques au sein de l’univers Marvel, ou alors le studio préfèrera revisiter l’intégralité de son répertoire animé en le transformant en productions live.
En 2017, Gore Verbinski va de nouveau commettre un faux pas qui va enterrer sa carrière. Il propose A cure for Wellness, son pari le plus déconcertant au sein d’une major (la Fox) puisqu’il s’agit d’un film d’épouvante très pervers qui reprend les codes du cinéma gothique à l’ancienne. Cette production de 2h30 intitulée en France A Cure for Life désoriente les spectateurs qui lui reconnaissent des qualités mais le jugent trop long, voire interminable. Tordu. Et probablement trop violent. Même s’il est visuellement sublime, la critique américaine rabaisse une fois de plus le génie artistique de Verbinski et condamne l’œuvre à la disparition immédiate.
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Que devient Gore Verbinski ?
Gore Verbinski, qui a passé beaucoup de temps à développer ce film, est totalement anéanti. L’échec est effroyable puisque ce budget de 40 000 000 de dollars ne sera jamais rentabilisé aux États-Unis où il n’en rapporte que 8 000 000. Dans le monde, on parle de 26 000 000 de dollars. En France, le conte cruel tient à peine 4 semaines à l’affiche et réalise 221 000 entrées.
Désormais, l’auteur est persona non grata. En 2018, il doit abandonner son projet d’un film de spinoff d’X-Men pour la Fox, Gambit, dans lequel il comptait diriger Channing Tatum. Le rachat annoncé de la Fox par Disney allait aussi être lourd en implications.
Six ans après, et de nombreux projets avortés, Verbinski n’a toujours pas réalisé de nouveau long-métrage et les cinéphiles des réseaux sociaux ne le mentionnent guère. Ils sont focalisés sur Zack Snyder et Christopher Nolan. Gore Verbinski, avec ses ambitions d’écran large, ne s’est même pas résigné à un direct-to-Netflix.
Technicien hors pair, Gore Verbinski n’aura jamais essayé de briller à la lumière. L’exil ne lui aura même pas donné le goût de la revanche. Son heure reviendra.
Filmographie de Gore Verbinski
(Réalisateur, longs métrages)
- 1997: La Souris (Mouse Hunt)
- 2001: Le Mexicain (The Mexican)
- 2002: Le Cercle : The Ring (The Ring)
- 2003: Pirates des Caraïbes: La Malédiction du Black Pearl (Pirates of the Caribbean: The Curse of the Black Pearl)
- 2005: The Weather Man
- 2006: Pirates des Caraïbes: Le Secret du Coffre maudit (Pirates of the Caribbean: Dead Man’s Chest)
- 2007: Pirates des Caraïbes: Jusqu’au bout du Monde (Pirates of the Caribbean: At World’s End)
- 2011: Rango
- 2013: Lone Ranger, naissance d’un héros (The Lone Ranger)
- 2017: A Cure for Life (A Cure for Wellness)
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