En revisitant l’univers hollywoodien de la fin des années 60, Quentin Tarantino signe une œuvre jubilatoire et d’une maîtrise bluffante. L’un de ses meilleurs films, tout simplement.
Synopsis : En 1969, la star de télévision Rick Dalton et le cascadeur Cliff Booth, sa doublure de longue date, poursuivent leurs carrières au sein d’une industrie qu’ils ne reconnaissent plus.
Twist again chez Tarantino
Critique : Dans une lettre adressée au public et aux journalistes découvrant le film lors de la première cannoise, Tarantino a demandé à ce que la fin n’en soit pas dévoilée pour préserver toute la surprise à ceux qui ne l’ont pas encore vu. L’auteur désormais culte de Pulp Fiction a bien retenu la leçon publicitaire de Hitchcock ou Clouzot. Mais si spoiler le dénouement s’avère ici particulièrement inapproprié, le métrage ne repose pas uniquement sur une surprise finale, d’ailleurs bien moins spectaculaire et vertigineuse que celles de Vertigo, Les Diaboliques, mais aussi Les Autres de Alejandro Amenábar ou Usual Suspects de Bryan Singer.
Comme souvent chez Tarantino, l’histoire du septième art dont le cinéma de genre des années 50 et 60, américain, italien ou asiatique, nourrit une narration explicitement référentielle. Le récit est situé à Hollywood, à une époque intermédiaire, coincée entre l’âge d’or des grands studios et le renouvellement opéré dans les années 70 par une nouvelle génération (les Altman, Coppola…).
Quand l’exploitation du réel se mélange au mythe
Le déclin du système de production traditionnel, la concurrence de la télévision, ou la montée d’un cinéma indépendant scrutant l’air du temps et s’épanouissant dans la contre-culture (Easy Rider de Dennis Hopper) ébranlent les certitudes de l’usine à rêves. Dans ce cadre historique aussi crucial que le passage du muet au sonore, Tarantino place avec brio des personnages de fiction mêlés à de réels protagonistes de la période. Des acteurs prêtent donc leur trait à Sharon Tate, Roman Polanski ou Bruce Lee, Tarantino adoptant des faits réels à son propre univers, quitte à détourner brillamment des faits historiques, comme cela était déjà le cas dans Inglorious Basterds.
Quant à Rick Dalton (Leonardo DiCaprio) et Cliff Booth (Brad Pitt), s’ils connaissent le déclin dû à l’âge et aux effets de mode, ce qui a été et reste le lot de nombreuses personnalités de cinéma, ils sont ici emblématiques d’un art et d’une industrie dépassés, même si le premier connaîtra un second souffle en devenant, un temps, une vedette de séries B à Cinecittà. Là encore, on appréciera la dextérité avec laquelle Tarantino distille le doute chez le spectateur (même cinéphile), en citant des titres de films et de réalisateurs et en montrant des affiches de cinéma, sans dissocier le vrai du faux, la citation historique du détournement de nom ou de visuels. La mise en scène quant à elle est constamment inventive.
Un immense moment de cinéma
Si Tarantino semble avoir renoncé à la déstructuration du récit qui avait fait la spécificité de Pulp Fiction ou Jackie Brown, la linéarité de son histoire n’empêche pas les prouesses de montage, le cinéaste alternant accélération des plans et étirement de l’action, dans un style qui n’appartient qu’à lui, même si des scènes rendent hommage à des maîtres de cinéma dont Sam Peckinpah (la fillette prise en otage) ou, bien sûr, Sergio Leone, dont l’ombre n’est pas présente seulement dans le titre du film et la citation du western Italien mais aussi lors de passages clefs (la visite par Rick d’un ranch squatté par une communauté hippie).
Qu’importe alors que Tarantino mise un peu trop sur la fibre nostalgique et adopte parfois une attitude un brin réac vis-à-vis de la jeunesse contestataire de l’époque, créant maints amalgames : Once Upon a Time… in Hollywood demeure avant tout un immense moment de cinéma, d’une jubilation cartoonesque, qui restera comme l’un des joyaux du maître.
Les sorties de la semaine du 14 août 2019
Critique de Gérard Crespo