Remake du chef d’œuvre muet de Murnau, Nosferatu séduit l’œil par la beauté de ses images et ses décors, mais demeure confiné dans un respect absolu du film d’origine au point de ne rien proposer de neuf à une histoire maintes fois racontée.
Synopsis : Nosferatu est une fable gothique, l’histoire d’une obsession entre une jeune femme tourmentée et le terrifiant vampire qui s’en est épris, avec toute l’horreur qu’elle va répandre dans son sillage.
Nosferatu, cent ans après l’original
Critique : Cela fait déjà une dizaine d’années que le cinéaste Robert Eggers travaille sur un remake du Nosferatu, le vampire (1922) de F.W. Murnau. Il l’a envisagé dès 2015 alors qu’il n’avait réalisé que The Witch (2015). Pourtant, de nombreux obstacles se sont finalement dressés sur sa route, à tel point qu’il a pu entre-temps mener à bien son chef d’œuvre The Lighthouse (2019) et sa fresque viking The Northman (2022). A chaque fois, le réalisateur est revenu à ce projet qui a connu plusieurs refontes et des castings différents à chaque étape. Finalement, grâce à l’aide de la société de production de Chris Columbus 1492 Pictures, Robert Eggers parvient à boucler le financement du remake dont la distribution est achevée début 2023.
Au mois de février 2023, les prises de vues peuvent débuter, la plupart ayant lieu en Roumanie, ainsi qu’aux mythiques studios Barrandov de Prague, en République Tchèque. Cela permet au long métrage de profiter d’une ambiance typique de l’Europe centrale et de l’Est dans ses décors et paysages. Car le but de Robert Eggers est bien de tourner dans les mêmes lieux que Murnau pour se rapprocher au maximum du chef d’œuvre du cinéma muet.
A l’origine, une contrefaçon du Dracula de Bram Stoker
Pour mémoire, n’oublions pas que le long métrage de Murnau est un démarquage pur et simple du Dracula de Bram Stoker, mais tous les noms ont été modifiés car le producteur Albin Grau n’avait pas pris la peine d’acquitter les droits d’adaptation à la veuve de l’écrivain irlandais. S’en est suivi un procès que Grau a perdu. Pourtant, malgré l’injonction du tribunal ordonnant de détruire toutes les copies du film, des cinéphiles ont préservé le bijou de Murnau qui est devenu en quelque sorte l’adaptation de référence du livre de Stoker, même si son origine frauduleuse est évidente. Par la suite, peu nombreux furent les cinéastes qui tentèrent de se frotter au chef d’œuvre.
Parmi eux, on compte surtout Werner Herzog et son Nosferatu, Fantôme de la nuit (1979) avec Klaus Kinski et Isabelle Adjani qui exhale aussi un souffle pestilentiel, par-delà sa lenteur hypnotique. Le comédien Klaus Kinski a tenté également d’exploiter à nouveau ce rôle dans un improbable Nosferatu à Venise (Augusto Caminito, Klaus Kinski, 1988), tandis que des téléfilms ont également émargé du côté du cinéma bis. On notera enfin l’existence d’un projet parallèle à celui de Robert Eggers intitulé Nosferatu : A Symphony of Horror (2023), réalisé par David Lee Fisher dont le but était aussi de célébrer les cent ans du film muet. Ce projet plus modeste a atterri sur les plateformes internet.
Une adaptation très fidèle
On le voit, contrairement à son compère Dracula qui possède des centaines de déclinaisons cinématographiques, Nosferatu semble davantage marqué par l’empreinte indélébile laissé par le film de 1922. On peut s’en convaincre un peu plus lorsque l’on visionne de nos jours la version très fidèle de Robert Eggers. Parfois proche au point d’en reprendre des plans iconiques entiers, Nosferatu 2024 est assurément une réussite formelle, tout en étant un hommage sincère au long métrage muet. Cela constitue à la fois la force principale du métrage, mais également sa principale limite.
Que les amateurs du film de Murnau, et même ceux du film d’Herzog, se rassurent, Robert Eggers a pris sa mission très au sérieux et aucun dérapage ne viendra entacher son travail d’adaptation. Tous les moments importants sont là, respectés à la lettre, au point que ceux qui connaissent maintenant par cœur cette histoire risquent bien de bâiller de temps à autre. On peut effectivement se demander quel est l’intérêt de réactiver une telle intrigue si c’est pour ne rien lui ajouter de plus. Certains insistent sur la dimension plus féministe de l’œuvre, mais tout était déjà présent dans le film de Murnau – mais suggéré.
Eggers propose une vision plus littérale de l’intrigue
Dans la version d’Eggers, la dimension de refoulement sexuel est accentuée, de même que le sentiment d’enfermement du personnage féminin central. Et le cinéaste insiste également sur la dimension sacrificielle d’Ellen Hutter, mais là encore, rien de bien neuf par rapport aux versions précédentes. En ce qui concerne le design de Nosferatu, il s’éloigne grandement de celui du film muet car il possède la stature de Bill Skarsgård (le clown de Ça en 2017). En réalité, il lui confère une allure plus animale, notamment lorsqu’il procède à l’opération de succion du sang qui est suggérée par un design sonore troublant de réalisme. Enfin, Robert Eggers se fait parfois plus littéral que ses aînés dans la représentation de la violence.
En réalité, la principale qualité de ce nouveau Nosferatu tient dans son ambiance macabre, ses décors grandioses et ses éclairages savants qui jouent au maximum avec la pénombre, tel une œuvre expressionniste à l’ancienne. Certains passages s’avèrent fort réussis comme le voyage de Thomas Hutter vers l’antre du comte Orlok à bord d’une diligence mystérieuse suivie par des loups. On aime également l’arrivée du galion dans le port, apportant avec lui la peste qui ravage la cité. Et puis la fin, sans doute plus gore que poétique, permet enfin de mieux voir la bête qui succombe sous le poids de son désir ardent pour la belle.
Quand la bête succombe à la belle
Le cinéaste Robert Eggers peut compter sur l’investissement de Lily-Rose Depp qui s’est donnée à fond pour le rôle. Elle compose une Ellen Hutter hallucinée qui impressionne à plusieurs reprises et constitue le point fort du métrage. Face à elle, Bill Skarsgård propose une version assez inquiétante du vampire et Willem Dafoe fait un professeur von Franz assez excentrique (on notera d’ailleurs que l’acteur a déjà joué le comte Orlok dans le faux making of de Nosferatu intitulé L’ombre du vampire, par E. Elias Merhige en 2000). Si Nicholas Hoult est toujours en recherche de charisme – mais cela s’accorde avec le personnage un peu falot de Thomas Hutter – on apprécie l’investissement d’Emma Corrin et Aaron Taylor-Johnson dans le rôle du couple d’amis qui vont également être touchés par la malédiction vampirique.
Visuellement superbe, mais sans doute en manque de véritable innovation par rapport à ses prestigieux ainés, Nosferatu est donc une œuvre valeureuse et estimable que l’on conseille surtout à ceux qui n’ont pas encore vus les films précédents.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 25 décembre 2024
Biographies +
Robert Eggers, Willem Dafoe, Aaron Taylor-Johnson, Nicholas Hoult, Simon McBurney, Bill Skarsgård, Lily-Rose Depp, Ralph Ineson, Emma Corrin
Mots clés
Cinéma américain, Cinéma gothique, Film de vampires, Nosferatu au cinéma, L’emprise au cinéma