Véritable chef d’œuvre de l’expressionnisme allemand, Nosferatu le vampire est toujours aussi beau cent ans après sa création. Retour sur une œuvre majeure du septième art.
Synopsis : En 1838, dans la ville fictive de Wisborg, Thomas Hutter, un jeune clerc de notaire ayant fait un heureux mariage avec Ellen, doit partir pour la Transylvanie afin de vendre une propriété au comte Orlok, qui désire avoir une résidence dans la ville. Après un périple sur une terre d’ombres, le jeune homme est accueilli au sein d’un sinistre château par le comte. Durant la transaction, Orlok aperçoit une miniature d’Ellen, qui le fascine et décide d’acquérir le bâtiment – proche de la maison du couple – qui lui est proposé. Hutter, hôte du comte, ne tardera pas à découvrir la véritable nature de celui-ci. Alors Nosferatu cheminera vers sa nouvelle propriété, répandant dans son sillage une épidémie de peste.
Albin Grau, grand promoteur de Nosferatu
Critique : Lorsqu’en 1921 le cinéaste F.W. Murnau est approché pour tourner Nosferatu le vampire (1922), il n’est pas encore considéré comme un cinéaste majeur car ses six films précédents n’ont pas forcément été largement diffusés. Pourtant, c’est bien vers lui que se tourne Albin Grau pour donner vie à sa vision du vampire largement inspiré par le Dracula littéraire de Bram Stoker. Passionné par l’occultisme, Albin Grau veut effectivement investir dans le cinéma et décide de fonder sa propre compagnie de production nommée Prana Film.
Sa contribution au futur chef d’œuvre qu’est Nosferatu le vampire ne s’arrête pourtant pas là. C’est lui qui décide de confier à Henrik Galeen, déjà connu pour son travail remarquable sur Le Golem (Wegener, 1914 et 1920), l’écriture du script à partir du bouquin britannique. Grau s’investit pleinement dans le projet au point d’inventer le design du vampire, son costume, de dessiner les décors, puis de créer les affiches qui serviront à promouvoir l’œuvre. Enfin, c’est également Albin Grau qui choisit de confier la réalisation à Friedrich Wilhelm Murnau, dont on suppose qu’il était déjà adepte des cercles occultes – sans certitude absolue toutefois.
Un film expressionniste ancré dans une réalité tangible
Doté d’un budget assez ramassé, le réalisateur a choisi d’ancrer son film fantastique dans la réalité en trouvant notamment de nombreux décors naturels et en filmant en extérieurs. Cela contredit d’ailleurs les habitudes de l’expressionnisme qui travestissait la réalité par des décors de studio volontairement outranciers. Avec Murnau, la nature fait pleinement partie de l’intrigue et les Allemands ont pu reconnaître les paysages urbains de Lubeck et Wismar, tandis que les scènes des Carpates ont été tournées en Slovaquie.
Cet ancrage dans une réalité tangible permet justement au réalisateur de développer une œuvre fantastique marquée par les oppositions franches. Ainsi, le monde réel s’oppose au monde des ténèbres, le jour (teinté en jaune) à la nuit (teintée en bleu), le bien au mal, la vertu à la corruption. Pourtant cette apparente binarité est sans cesse malmenée par un cinéaste qui aime plus que tout la marginalité. Ainsi, la description du jeune couple formé par Gustav von Wangenheim et Greta Schröder est emprunte d’une telle naïveté qu’elle ne peut être qu’ironique. Le portrait du jeune homme, notamment, démontre une tendance du personnage à l’immaturité, voire à la virginité. Comme asexué, le protagoniste masculin serait comme la face vierge de l’homme, tandis que le vampire en incarnerait la version démoniaque et sexualisée, hantée par la mort (et donc par la petite mort).
Nosferatu le vampire joue des oppositions primaires
Contrainte par le carcan de la bonne société – le personnage féminin apparaît toujours au cœur de cadres carrés ou rectangulaires – l’épouse fidèle finit par ouvrir grand sa fenêtre afin d’attirer le vampire – lui toujours au sein de cadres torturés et gothiques. Certes, son but est de le détruire, mais la protagoniste succombe au passage à la succion mortelle et s’abandonne ainsi au plaisir. Finalement, l’élimination du vampire laisse comme un arrière-goût dans la bouche puisque celui-ci a déclenché une épidémie de peste et que certains personnages principaux sont morts. Enfin, les différents hommes n’ont aucunement participé à son élimination et sont donc marqués du sceau de l’impuissance.
Ceci ne constitue qu’une petite tentative de description d’une œuvre aux thématiques multiples et d’une richesse inextinguible, au point que des essais et des ouvrages entiers ont été rédigés à son propos. Est-il donc encore besoin de préciser que le film déploie encore un siècle plus tard son charme vénéneux à travers ses images sublimes marquées par des ombres gigantesques, des cadrages savants et un jeu totalement halluciné de l’ensemble des acteurs. L’extraordinaire prestation de Max Schreck aurait pu être ridicule, mais l’acteur inquiète par sa gestuelle animale et ses regards profonds. Alors que l’on ne voit pas vraiment de sang à l’écran, Nosferatu le vampire fait encore peur cent ans après sa réalisation, car le cinéaste a plongé au cœur du sentiment d’épouvante que peut générer la présence d’une forme démoniaque dans une pièce.
Un chef d’œuvre qui a bien failli disparaître à jamais
Présenté en grande pompe à Berlin lors d’une grande soirée de gala le 4 mars 1922, Nosferatu le vampire est ensuite sorti officiellement en Allemagne le 15 mars 1922, mais le métrage n’a pas connu le succès escompté. En France, le film a été présenté à partir du 27 octobre 1922 en exclusivité au Ciné-Opéra de Paris. Pourtant, Nosferatu le vampire a été très rapidement retiré de l’affiche car la veuve de Bram Stoker a attaqué la Prana Film pour avoir utilisé le nom de son défunt mari sans son accord – et surtout sans en avoir acquitté les droits d’adaptation.
Ayant perdu le procès qui s’est ensuivi, Albin Grau a du procéder à la destruction de toutes les copies existantes du film et a liquidé sa compagnie de production. Heureusement pour tous les amoureux du septième art, des copies étrangères ont été retrouvées et ont permis de conserver le chef d’œuvre qui est notamment redécouvert en France en 1929. Dès lors, et avec retard, le long-métrage a été considéré comme un chef d’œuvre, notamment de la part des surréalistes qui en ont fait la promotion. Le métrage a même eu le droit à un remake particulièrement glacial et mortifère réalisé par Werner Herzog (Nosferatu, fantôme de la nuit en 1979) et sublimé par l’interprétation de Klaus Kinski et Isabelle Adjani.
Nosferatu le vampire à redécouvrir en blu-ray chez Potemkine
Depuis, Nosferatu le vampire a fait l’objet de nombreuses exploitations dans des copies plus ou moins correctes et souvent incomplètes. C’est au cours des années 2000 que la restauration du film a permis de vraiment le redécouvrir dans toute sa majesté, avec des intertitres respectueux de ceux d’origine. L’éditeur Potemkine a ainsi récemment repris le long-métrage en salles à l’occasion de son centenaire, avant de sortir en DVD et blu-ray une magnifique édition reprenant le design d’origine imaginé par Albin Grau. Un must doté de compléments pertinents et indispensables pour tout cinéphile qui se respecte.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 27 octobre 1922
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Biographies +
F.W. Murnau, Max Schreck, Gustav von Wangenheim, Alexander Granach, Greta Schröder
Mots clés
Film muets, Films de vampires, Les classiques du cinéma fantastique