The Northman consacre la vision hautement cinématographique du cinéaste Robert Eggers qui signe ici le meilleur film de vikings de l’histoire. A voir impérativement sur grand écran.
Synopsis : Le jeune prince Amleth vient tout juste de devenir un homme quand son père est brutalement assassiné par son oncle qui s’empare alors de la mère du garçon. Amleth fuit son royaume insulaire en barque, en jurant de se venger.
Tu seras un barbare, mon fils!
Critique : Projet porté par l’acteur Alexander Skarsgård, The Northman est né de la passion du comédien pour la mythologie nordique et le peuple viking en particulier. Afin de construire une œuvre qui soit la plus fidèle possible à l’histoire et à la culture des Vikings, l’acteur a fait appel au réalisateur Robert Eggers qui a déjà tourné deux œuvres majeures (The Witch et The Lighthouse). Ce projet l’a immédiatement emballé et il a contacté le poète islandais Sjón afin d’écrire un script qui soit historiquement impeccable (et validé par des sommités dans le domaine).
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Une fois le choix arrêté sur l’histoire d’Amleth, il a fallu réunir un budget conséquent de 60 millions de dollars pour donner forme à ce défi visuel et technique. Bien évidemment, une telle aventure n’aurait pas été possible sans les triomphes récents des sagas télévisuelles Game of Thrones et surtout Vikings qui ont rendu à nouveau populaire ces peuplades, en se débarrassant progressivement des clichés qui leur sont attachés. Ainsi, dans The Northman, les spectateurs ne trouveront pas de drakkars, mais des embarcations vikings crédibles, ni de casques à cornes puisqu’il s’agit là encore d’une invention plus tardive d’historiens fantaisistes.
Des images de toute beauté dans un monde de brutes
Par contre, Robert Eggers insiste sur l’extrême violence qui régissait la vie de ces peuples du Nord et intègre leurs croyances dans leur quotidien. Ainsi, on adore les nombreux passages où les humains semblent communiquer avec les animaux, et vice versa. Persuadés que les âmes des morts peuvent revenir hanter les vivants à travers des animaux comme les corbeaux, les vikings associent également leur destinée à celle de loups et autres ours. Le cinéaste offre également une visualisation des croyances des vikings par le biais de séquences fantastiques où, par exemple, une valkyrie chevauche un cheval ailé.
Basé sur une histoire basique de vengeance, le script est sans doute un peu trop linéaire et n’offre pas suffisamment d’échappées délirantes, mais Robert Eggers fait heureusement partie de ces cinéastes visionnaires qui sont capables de sublimer chaque plan et chaque situation. Marqué par une esthétique qui touche fréquemment au sublime, The Northman propose plus de cinéma dans chacune de ses images que l’intégralité de ce que l’on a vu sur grand écran depuis le début de l’année. Outre des combats très violents filmés avec maestria, le film ose également le dépouillement de certains intérieurs qui contrastent fortement avec la beauté des paysages naturels – tournés d’ailleurs en Irlande du Nord et non en Islande, pour cause de Covid-19.
Des personnages qui ne sont pas unidimensionnels
Ce qui marque dans The Northman, c’est son caractère radical et sa volonté de ne jamais édulcorer la violence inhérente à l’époque. Les hommes sont généralement des montagnes de muscles – à noter la belle performance physique d’Alexander Skarsgård qu’on n’a jamais vu si imposant – qui n’ont qu’une priorité dans l’existence : assurer la survie de leur descendance. A cette époque, les femmes n’ont donc qu’un moyen pour subsister, à savoir se mettre sous la protection d’un mâle puissant, ou encore intriguer en coulisses pour faire aboutir leurs projets personnels. En cela, on adore le personnage interprété par Nicole Kidman qui apparaît d’abord comme une victime, avant de révéler sa véritable nature. Toutefois, il serait trop facile de condamner ses agissements, puisqu’elle n’a pas forcément le choix dans un contexte si peu favorable à son sexe.
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Enfin, dans cette société marquée par la barbarie, les enfants peuvent être sacrifiés sans état d’âme puisque la mort est omniprésente. Robert Eggers n’hésite donc pas à tourner des scènes hallucinantes où l’on sacrifie hommes, femmes et enfants sans se poser de questions. Sa description des hommes n’est pas pour autant simpliste, puisqu’eux aussi sont des êtres sensibles et qui souffrent de leur condition. Ainsi, le « méchant » incarné par Claes Bang se révélera bien plus ambigu qu’il y paraît de prime abord et l’on peut aisément comprendre son point de vue.
Un film d’une grande violence physique et mentale
A l’inverse, la quête destructrice du « héros » tient parfois de l’entêtement et d’un sens de l’honneur qui impose des décisions mortifères. Finalement, la grande puissance du film de Robert Eggers est de ne pas succomber à la facilité d’une vision binaire du monde. Bien au contraire, le duel final nous invite à réfléchir à l’inutilité de la vengeance, renvoyant dos à dos les deux antagonistes.
Outre un discours intelligent, The Northman propose des plans visionnaires comme on en voit de plus en plus rarement au cinéma ces dernières années. Il s’inscrit dans un cinéma radical que l’on peut rapprocher de celui d’Ari Aster et de son Midsommar (2019). Mêlant fréquemment réalisme et onirisme – notamment à travers une forte présence animalière – Eggers multiplie les plans séquences malins, ose avoir recours à quelques plans gore et martèle sa bande sonore de percussions intrusives qui renforcent encore un peu plus l’impression de violence physique et mentale qui émane du film.
A cheval entre film d’auteur et grande fresque populaire, The Northman est avant toute chose un objet cinématographique enthousiasmant qui redonne foi dans le septième art, à une époque où la normalisation marvellienne nivèle tout vers le bas. Il s’agit sans aucun doute du meilleur film de vikings de l’histoire du cinéma. Ni plus ni moins.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 11 mai 2022
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Robert Eggers, Nicole Kidman, Alexander Skarsgard, Willem Dafoe, Ethan Hawke, Björk, Ingvar Sigurdsson, Ralph Ineson, Anya Taylor-Joy, Olwen Fouéré, Claes Bang