1900 (Novecento) : la critique du film (1976)

Drame, Historique | 5h15min
Note de la rédaction :
8/10
8
1900 affiche reprise

Note des spectateurs :

1900 est une fresque monumentale par Bernardo Bertolucci. Un monument, de retour en salle, le 1er mai 2019 en version 4K, scindé en deux parties, ou en blu-ray chez Wild Side.

Copyright Produccion Produzioni Europee Associate / Droits et conceptions graphique Wild Side Vidéo

Synopsis : Au cours de l’été 1901, deux enfants voient le jour dans un village d’Émilie : le premier, Olmo Dalco, appartient au monde des métayers, l’autre, Alfredo Berlinghieri, est le petit-fils d’un riche propriétaire. Les deux garçons grandissent ensemble et prennent peu à peu conscience de leur statut social opposé. Après la Première guerre mondiale, Olmo et Alfredo qui sont devenus des adultes, restent complices. Alors que la situation des paysans s’est dégradée, Olmo affirme ses convictions socialistes et incite les paysans à la révolte. Alfredo de son côté fuit dans une vie insouciante l’emprise d’un père autoritaire.

Critique : Après le succès du Dernier tango à Paris, Bertolucci se lançait dans une fresque politique embrassant la première moitié du vingtième siècle à travers le parcours d’Olmo et Alfredo, nés le même jour de 1901, mais chacun d’un côté de la barrière sociale : la naissance de l’un est une bénédiction, la perpétuation d’une lignée de possédants ; celle du second ne signifie rien de plus qu’une bouche de plus à nourrir. Voilà installés, en quelques minutes, les enjeux qui guideront le film en même temps qu’ils le structurent par un lacis de moments parallèles entre les deux et de rencontres. Retracer un demi-siècle demande du temps (et le film n’en manque pas, 5h15 découpées en deux « actes »), de la matière, c’est à dire un scénario suffisamment riche pour nourrir cette durée (et c’est le cas en grande partie), c’est à dire aussi la possibilité de mêler les tons et de procurer des sentiments aux spectateurs (là peut-être réside l’une des failles du métrage), et enfin du souffle, ce que Bertolucci possède sans conteste.

Crédits : MGM – Ciné Sorbonne (2019) Copyright Produccion Produzioni Europee Associate

Un cinéma rigoureusement politique.

La vision du cinéaste est rigoureusement politique : il s’agit de montrer en actes la lutte des classes, d’opposer patronat et prolétariat, socialisme et fascisme presque sans nuances ; les exploiteurs sont ignobles, font appel aux soldats face à la grève, dispensent leurs enfants de la guerre et chassent le canard pendant que leurs ouvriers protestent contre la misère. Ils fourniront évidemment le gros des troupes fascistes. Mais le propriétaire initial, incarné et ce n’est pas un hasard par le Burt Lancaster  du Guépard, est le dernier représentant d’un monde plus humain, et sa proximité avec l’autre grand-père (le grand Sterling Hayden, crédible en vieux paysan italien) raconte dans la belle scène du champagne ce respect bourru qui les unit malgré leurs différences. Mais avec la pendaison de l’un et la mort douce de l’autre, on passe à une autre époque, plus âpre, qui se fonde sur la tricherie d’un faux testament. Péché initial : le fils n’aura plus, malgré ses appels réitérés au respect, qu’une relation autoritaire et de plus en plus inhumaine avec ses paysans. Il n’hésite pas à les faire chasser ou à rompre des contrats : le monde du profit sans scrupules est arrivé, le vingtième siècle sera celui du capitalisme inhumain. Si une victoire fragile est obtenue par une résistance en chantant (là encore, une très belle séquence lyrique), elle n’est que temporaire et amène le regroupement des patrons en ligue fasciste. De même Alfredo sera-t-il un patron injuste presque malgré lui, et son procès n’aboutira à rien d’autre qu’une continuation de l’ordre établi. La belle illusion de fraternité qui accompagne la fin de la guerre n’est qu’un leurre, « le patron est vivant ».

Bertolucci est un peu comme Burt Lancaster qui, dans le premier acte, enlève ses chaussures pour plonger ses pieds dans la bouse en disant que les vaches, c’est « du lait et de la merde ». Mais il ne suffit pas de le dire. Le cinéaste, étendant cette réflexion, va chercher dans le lait (l’énergie vitale, celle qui pousse à la révolte, pour la lutte contre les inégalités ou pour marcher au pas) et la merde (le sale caché, l’envers de l’histoire officielle, les pulsions) de quoi embrasser cette moitié de siècle. La merde est même le symbole de la révolte dans une séquence joyeuse et sans lendemain de vengeance. Mais le réalisateur  y ajoute le sang et le sexe, ingrédients indispensables d’une vision d’ensemble qui ne viserait pas à la fresque éthérée de Hollywood, mais en quelque sorte son inverse : la pédophilie, la saleté, la bassesse, le meurtre,  autant d’éléments qui disent assez qu’une aseptisation n’est plus possible. Si ellipse il y a, elle sera temporelle (la belle transition du train, ou celle, moins réussie, qui conclut le film) et pas pudique. Sûrement pas pudique. Non pour créer un scandale, mais pour tenter d’accéder à une forme crue et déstabilisante; il y a du Zola dans 1900.

Un film d’excès

 

Crédits : MGM – Ciné Sorbonne (2019) – Copyright Produccion Produzioni Europee Associate

Cela ne va pas sans excès, puisque dans ce film inspiré le tiède est banni : ainsi verra-t-on des moments qui provoquent le malaise, dont, évidemment, le meurtre de l’enfant, qui symbolise la violence absurde d’un fascisme emporté par sa soif de sang, comme plus tard les paysans exécutés sous la pluie ou la veuve Pioppi empalée sur la grille. Mais pour Bertolucci, qui n’y va pas avec le dos de la cuiller, les fascistes sont des revanchards sans scrupules, qui s’opposent au peuple forcément bon ; ils pallient une existence d’exécutants serviles par la libération de pulsions malsaines : viol et meurtre sont leur quotidien. Bien sûr, cette optique gêne aux entournures. Loin de la fameuse « banalité du mal », 1900 fait des chemises noires des monstres que le jeu  de Donald Sutherland contribue à caricaturer et qui au fond peuvent donner bonne conscience : le fasciste, c’est l’autre, ça ne peut être moi. Difficile aujourd’hui d’adhérer à ce simplisme outrancier, même si Bertolucci le lie à la cause politique (« Les fascistes sont l’œuvre des patrons », dit Olmo face caméra).

Reste que, si le message a vieilli, la force du film est intacte : jouant sur les couleurs aussi bien que sur des influences diverses (peinture, opéra, cinéma) et tout en se limitant quasiment à une ferme-monde, le réalisateur témoigne constamment d’un génie de la mise en scène ; outre les somptueux travellings qui font passer d’un personnage à l’autre, son sens du rythme fait de nombreuses séquences, en général assez longues (voir le mariage d’Alfredo, par exemple), des morceaux de bravoure qui tiennent moins par le scénario que par des cadrages et un montage affûtés. Si le film demeure assez froid et souffre de quelques légères baisses de régime, il n’en reste pas moins traversé par un souffle puissant, une débauche de thèmes (de l’humiliation comme moteur à l’anticléricalisme en passant par le rôle des femmes ou la fonction de la musique et de la danse) qui en font une œuvre hors du commun et d’une richesse infinie.

Critique de François Bonini

Les sorties de la semaine du 1er mai 2019

Affiche reprise 2019 – Crédits Ciné Sorbonne & MGM – Copyright Produccion Produzioni Europee Associate

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1900 affiche reprise

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