Dominique Sanda fut une icône du cinéma européen des années 70 et 80, tournant avec Bertolucci, De Sica ou Demy. Sa filmographie comporte de grands films d’auteur.
Le mystère Dominique Sanda
Dominique Sanda dégage un mystère, comme avant elle Garbo ou Gene Tierney. Pas seulement en raison d’un visage impassible où la gamme des émotions de ses personnages pouvait s’interpréter par effet Koulechov, mais aussi de par la discrétion de la star, limitant sa présence médiatique aux contraintes de la promotion de ses films, ou à des rares cérémonies (les César). Elle fait aussi l’objet d’un culte de la part des cinéphiles, sans être forcément connue du grand public. Et même du temps de sa période faste (les années 70 et le début des années 80), des projets se montent sur son nom, mais le public du samedi soir se déplace davantage pour Adjani ou Nathalie Baye.
Elle est mannequin lorsque Robert Bresson lui propose le rôle principal d’Une femme douce, en 1969. Sanda se plie avec docilité au statut de « modèle bressonnien », dans la continuité de Florence Delay, Nadine Nortier ou Anne Wiazemsky : diction atonale, expression neutre, minimalisme de jeu. De cette expérience ainsi que de son passé de mannequin naît son doute l’impression de froideur et de distance qui émane d’elle, à l’écran ou à la ville. Cette très belle jeune femme ne se contente pas d’être une gravure de mode ou un totem pour esthète : elle montre des dons dramatiques qu’utilisent avec bonheur les grands cinéastes italiens, à commencer par Vittorio De Sica dans Le Jardin des Finzi-Contini, et Bernardo Bertolucci avec Le Conformiste, deux œuvres de 1970. Le premier est un triomphe commercial, primé aux Oscars. Le second est un grand film politique et romanesque. Elle s’y montre troublante dans des scènes suggestives avec Stefania Sandrelli, ou dans le final poignant lorsque, en danger de mort, elle demande en vain l’aide de Jean-Louis Trintignant.
Une actrice magnifiée par Bertolucci, Bolognini, Demy…
Dominique Sanda retrouve ensuite Trintignant dans le polar français Sans mobile apparent (1971) de Philippe Labro. Elle est ensuite la partenaire d’Alan Bates dans la coproduction franco-italienne L’Impossible objet (1973) de John Frankenheimer, avant de devenir, la même année, celle de Paul Newman dans Le Piège de John Huston, coproduction américano-britannique. Si les deux cinéastes ne sont pas au meilleur de leur forme artistique, et si le succès de ces métrages est mitigé, cela n’entache pas la crédibilité internationale de Sanda, dont le nombre d’admirateurs est croissant, et les propositions affluent. Son film le plus prestigieux de la seconde moitié de cette décennie est 1900 (1976) de Bernardo Bertolucci, coproduction franco-italo-américaine, au budget colossal. Cette fresque romanesque et politique, d’un fascinant lyrisme, montre une Sanda sublime dans son personnage de bourgeoise partagée entre Robert De Niro et Gérard Depardieu. Mais le film ne rentre pas dans ses frais et s’avère un échec en salle. La même année, Dominique Sanda obtient le prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes pour L’Héritage de Mauro Bolognini, avec une composition exquise de femme machiavélique.
Si l’on excepte sa présence incongrue dans le médiocre film de science-fiction américain Les Survivants de la fin du monde (1977) de Jack Smight, et Cablo Blanco (1980), anodin film d’aventures hollywoodien de J. Lee Thompson avec Charles Bronson, Dominique Sanda ne tourne que des films ambitieux voire radicaux par leurs propositions esthétiques. De 1976 à 1981, elle a le premier rôle dans Le Berceau de cristal (1976) de Philippe Garrel, Utopia (1978) de Iradj Azimi, Le Navire Night (1978) de Marguerite Duras, Le Voyage en douce (1980) de Michel Deville, ou Les Ailes de la colombe (1981) de Benoit Jacquot. Tous ces films ont des qualités, mais sans susciter de grands enthousiasmes. Aucun d’entre eux n’est vraiment un succès commercial, y compris dans le circuit art et essai. En 1980, elle accepte de tourner pour la télévision La Naissance du jour, réalisé par Jacques Demy. Et lorsque Catherine Deneuve se retire du projet d’Une chambre en ville (1982), refusant d’être doublée pour le chant, c’est Dominique Sanda qui hérite du rôle que lui propose Demy.
Edith de Nantes
Dans cette œuvre, Dominique Sanda campe avec sensualité et classe le personnage d’Edith, mal mariée à un commerçant radin et jaloux (Michel Piccoli), et qui va nouer un amour passionné avec le sous-locataire (Richard Berry) de sa mère (Danielle Darrieux), une baronne désargentée. Le film est entièrement chanté, et Sanda a la voix de Florence Davis. L’actrice n’est pas pour rien dans la fascination qu’exerce toujours ce film culte, de ses déambulations en manteau de fourrure dans le passage Pommeraye de Nantes, à ses échanges sarcastiques avec Danielle Darrieux, sur des paroles de Jacques Demy et une musique de Michel Colombier. Une chambre en ville est à la fois un triomphe critique et un échec commercial cruel. Après cela, Dominique Sanda est encore à l’affiche de films d’auteur estimables mais qui seront également des échecs au box-office.
On peut citer Poussière d’empire (1983) de Lam Lê, Le Matelot 512 (1984) de René Allio, ou Corps et biens (1986) de Benoit Jacquot. La crise du cinéma qui frappe la seconde moitié des années 80 éloigne Dominique Sanda qui n’est désormais plus une actrice bankable (mais l’a-t-elle déjà été ?). Sans doute lui a-t-il manqué un gros succès populaire (avec un Lelouch ou un Sautet) qui aurait pu enrayer l’enchaînement de films manquant leur public, et lui permettre de poursuivre ses projets ambitieux. Dans les années 90 et 2000, Dominique Sanda se consacre davantage à la scène, du Théâtre de la Commune d’Aubervilliers au Multiteatro de Buenos Aires, en passant par le Théâtre du Châtelet, pour Œdipus rex (1996) d’Igor Stravinsky, mis en scène par Bob Wilson. Au cinéma, on la revoit dans une quinzaine de films, dont Moi, la pire de toutes (1990) de Maria Luisa Bemberg, Garage Olimpo (1999) de Marco Bechis, et Les Rivières pourpres (2000) de Mathieu Kassovitz. Elle fait un come-back remarqué en 2014 avec deux beaux seconds rôles : la mère de Pierre Rochefort dans Un beau dimanche de Nicole Garcia, et celle du célèbre couturier dans Saint Laurent de Bertrand Bonello. Dominique Sanda, qui vit à Buenos Aires, reviendra-t-elle irradier l’écran et la scène ?