D’une tristesse infinie, Le cercle infernal est un magnifique film dépressif esthétiquement impeccable et porté par une Mia Farrow au firmament de son talent. Tout bonnement bouleversant.
Synopsis : Julia, Magnus et leur fille prennent tranquillement le petit déjeuner chez eux. Mais tout à coup, l’enfant s’étouffe avec un morceau de pomme. Julia tente bien de la sauver mais ses tentatives restent infructueuses et la petite fille meurt. Julia est traumatisée par cette mort et sera hospitalisée une longue période. À sa sortie, son mari vient la chercher mais elle s’enfuit, refusant de retourner au domicile conjugal. Persuadé que leur couple n’a plus de raison d’être sans leur enfant, la jeune femme décide de s’installer seule dans une maison afin de se rétablir doucement du choc, avec l’aide de son meilleur ami Mark. Mais peu à peu, Julia sent une étrange présence dans sa nouvelle maison…
Une coproduction compliquée à l’origine de concessions
Critique : En 1975, le romancier américain Peter Straub connaît un gros succès en librairie grâce à son roman fantastique intitulé Julia. Les droits d’adaptation pour le grand écran sont immédiatement achetés par le producteur britannique Peter Fetterman qui met en place un partenariat avec des investisseurs canadiens. Ainsi, le Britannique Harry Bromley Davenport livre un premier script qui ne convainc pas le réalisateur pressenti, à savoir Richard Loncraine. Ce dernier n’avait qu’une expérience limitée au cinéma, n’ayant tourné que Flame (1975), un film sur le rock, mais ayant aussi à son actif une plus longue liste de créations télévisuelles.
Peu intéressé par le genre fantastique, Richard Loncraine a décidé de réorienter le script vers une étude plus psychologique à l’aide du scénariste Dave Humphries. Il s’est d’ailleurs décidé à accepter la réalisation du film après avoir entendu les musiques composées pour l’occasion par Colin Towns. La perspective de travailler avec Mia Farrow, la star de Rosemary’s Baby (Roman Polanski, 1968), fut une autre motivation pour Loncraine. Malheureusement pour lui, à quelques jours du début du tournage, les producteurs canadiens ont menacé d’abandonner l’affaire. En seulement quelques jours, le producteur exécutif Julian Melzack est parti au Canada pour régler ce problème et négocier avec Alfred Pariser. Si le partenariat est finalement confirmé, c’est toutefois avec un budget largement revu à la baisse et des exigences supplémentaires, comme l’intégration de meurtres en plus grand nombre et d’une orientation plus commerciale.
Le Cercle Infernal en 4K Ultra HD chez Shout Factory – © 1977 Trimuse Entertainment Inc. All Rights Reserved.
Le cercle infernal ou le deuil impossible
Afin de conserver la main sur le projet, Richard Loncraine a donc accepté les nouvelles conditions qui ont sans aucun doute dénaturé le projet initial qui devait être encore plus intimiste. Cela n’empêche toutefois pas Le cercle infernal de se hisser à un excellent niveau, au point d’être aujourd’hui considéré – à juste titre d’ailleurs – comme un petit classique du genre fantastique des années 70. Très proche du fantastique onirique développé par Jack Clayton dans Les innocents (1961), Robert Mulligan dans L’autre (1972) et Nicolas Roeg dans Ne vous retournez pas (1973), Le cercle infernal n’a guère à rougir de ses aînés tant il développe une atmosphère déprimante du meilleur effet.
Cela démarre très fort avec une première scène traumatisante qui voit la mort soudaine d’une gamine dans les bras de sa mère incarnée avec puissance et introspection par une saisissante Mia Farrow. Dès lors, la période de deuil est aussi celle des remises en question pour cette femme qui décide de prendre son indépendance par rapport à un mari odieux joué avec prestance par Keir Dullea. Fragile psychologiquement, mais bien décidée à prendre sa vie en main, cette femme refuse l’injonction qui lui est faite par son entourage de passer à autre chose. En réalité, Julia ne veut pas faire son travail de deuil et tient donc à ne jamais oublier sa fille disparue trop tôt.
1977, l’odyssée de l’espace mental
Dès lors, le film met en place une intrigue parallèle où la mère endeuillée cherche à comprendre quel est le fantôme qui hante sa nouvelle maison. Est-ce sa propre fille ou l’esprit torturé d’une autre gamine anciennement décédée dans la maison ? Richard Loncraine va jouer constamment sur les deux tableaux durant toute la durée du film, sans que l’on puisse vraiment se décider sur le sens à donner à l’intrigue. Est-ce que la mère est bien assaillie par un esprit enfantin maléfique ? Ou n’est-ce que la projection du désir de mort de cette femme dépressive ?
Le Cercle Infernal en 4K Ultra HD chez Imprint (Australie) © 1977 Trimuse Entertainment Inc. All Rights Reserved.
Ce caractère indécidable de l’intrigue a longtemps été vu comme une faiblesse du long-métrage et, de fait, plusieurs éléments purement factuels demeurent totalement inexpliqués. Dans Le cercle infernal, des personnages masculins importants disparaissent sans que l’on comprenne vraiment pourquoi et surtout qui agit. Cela sent la concession envers les producteurs afin de livrer un produit qui s’approcherait davantage de L’exorciste (William Friedkin, 1973) que des films cités plus haut. Pourtant, cela rend la projection encore plus déstabilisante et renforce finalement la thèse du film psychologique. La maison ne serait plus qu’une projection de l’espace mental dépressif d’une femme qui fait le ménage autour d’elle, avant de rejoindre sa fille dans l’au-delà. D’ailleurs, la géographie de la maison n’est jamais clairement établie non plus et cette délicieuse incertitude crée justement l’espace nécessaire à l’éclosion du fantastique.
Le cercle infernal, un Grand Prix du Festival d’Avoriaz mérité
Largement aidée par la jolie photographie nébuleuse de Peter Hannan, la réalisation de Richard Loncraine parcoure avec beaucoup de grâce les espaces clos de la maison et fait preuve de magnifiques fulgurances dont fait clairement partie le tout dernier plan du film, simplement sublime et inoubliable. L’ensemble est soutenu par la splendide partition musicale de Colin Towns aux terribles accents mélancoliques. Cela fait donc du Cercle infernal une œuvre à l’esthétique très travaillée et un très grand film dépressif, porté notamment par le jeu ô combien bouleversant de Mia Farrow, au sommet de sa carrière.
Reçu avec beaucoup de bienveillance par le jury du Festival d’Avoriaz en 1978, Le cercle infernal a eu les honneurs du Grand Prix. Ainsi, le jury a fait preuve d’une belle clairvoyance, alors que le long-métrage allait ensuite essuyer des critiques plus que mitigées par l’ensemble de la presse britannique, puis française. D’ailleurs, malgré son prix, Le cercle infernal n’a guère performé au box-office français avec 268 155 fantômes dans les salles en fin de carrière.
Le Cercle Infernal en DVD chez PVB Distribution – © 2006 PVB Editions. Tous droits réservés.
Une œuvre majeure qui doit être redécouverte par les cinéphiles
Pire, aux Etats-Unis, le long-métrage est resté inédit pendant plusieurs années malgré la présence au générique de Mia Farrow. Ce n’est qu’en 1981 qu’un distributeur indépendant choisit de diffuser le métrage dans un nombre limité de cinémas, sous le titre de The Haunting of Julia, histoire de préciser au public qu’il va bien voir un film d’horreur.
Edité par la suite en VHS en France par Dynasty Films, le film est rapidement tombé dans l’oubli jusqu’aux années 2000 où une nouvelle génération de cinéphiles a redécouvert cette perle du fantastique des années 70, passant outre ses défauts réels de construction pour y voir le portrait déchirant d’une femme en bout de course. Il faut dire que le long-métrage n’était plus édité pour de très complexes problèmes de droits, liés notamment à la liquidation des différentes sociétés de coproduction. Depuis l’intervention de plusieurs fans du film, il a notamment eu droit très récemment à plusieurs parutions mondiales, dont une édition blu-ray et UHD 4K par Le Chat qui Fume sortie en juin 2023. Cette édition très limitée a été très rapidement épuisée, preuve s’il en est de la popularité du long-métrage auprès des amateurs de cinéma fantastique. Et c’est tant mieux !
Critique de Virgile Dumez
Un film approuvé par William Friedkin et Alain Delon ?
Le cercle infernal, apparaît en France en 1978 à Avoriaz où il repart glorieusement avec le Grand Prix. Le jury présidé par William Friedkin était constitué de Fernando Arrabal, Jane Birkin, Sergio Leone, Michel Legrand, Michel Drach, Alain Delon, Jeanne Moreau, Nadine Trintignant, Henri Verneuil, le romancier et scénariste Didier Decoin, le peintre et sculpteur Karel Appel, l’auteur Daniel Boulanger, Félicien Marceau.
En compétition cette année-là, des classiques, Eraserhead, du débutant David Lynch, La dernière vague de Peter Weir, des diableries (Holocaust 2000 d’Alberto De Martino), des invasions d’insectes (L’horrible invasion de John Bud Cardos, Les abeilles sauvages de Bruce Geller), des curiosités françaises (Photo souvenir avec Jean-Claude Carrière), des reptiles aquatiques affamés (Le crocodile de la mort de Tobe Hooper), des transformations d’homme en rhinocéros (Rhinocéros de Tom O’Horgan, avec Gene Wilder), des transformations d’humain en rats (La nuit de la métamorphose de Krsto Papic)…
© Horror Kult Collection. All Rights Reserved.
Richard Lonkraine plus fort que David Lynch à Avoriaz
Lorsqu’il décroche le Grand Prix, Le cercle infernal n’a pas encore de distributeur, à l’instar des autres primés (La dernière vague qui a remporté le Prix du Jury ; Eraserhead fort de sa Mention spéciale). Au moins a-t-il une maison de disques, puisque Polydor s’apprête à édité la musique événement de Colin Towns en 33 tours.
Distribué dans les salles de l’Hexagone peu avant le festival de Cannes, Le cercle infernal bénéficie des circuits Gaumont-Pathé et Multiciné à Paris. Il est programmé en version originale aux France Elysées et Quintette. En version doublé, il trouve sa place au Gaumont Richelieu, Clichy Pathé, Montparnasse 83, Gaumont Opéra, Gaumont Sud, au Cambrone et au Nation.
En 4e semaine, Le cercle infernal voit son affluence se réduire à 6 001 spectateurs, alors qu’il est encore exploité au France Elysées, à l’UGC Odéon, au St-Lazare Pasquier, au Gaumont Richelieu, à La Fauvette au Nation et aux 3 Secrétan.
Le film de terreur sourde ne tiendra que 5 semaines sur la capitale et sa banlieue. Son ultime semaine le condamne à 2 écrans (France Elysées, Gaumont Richelieu) et un total hebdomadaire peu gratifiant de 1 606 spectateurs. Ce sont donc 75 043 Parisiens qui ont pu le découvrir pour un total peu mirobolant de 268 155 spectateurs sur l’ensemble de notre territoire.
Une exploitation VHS très discrète chez Dynasty, puis en 2006 en DVD chez PVB, dans une copie indigne du support, ne permettent pas au film de satisfaire les curiosités des quelques cinéphiles qui ont entendu parler de lui. Heureusement, en 2023, Le Cercle infernal bouche la boucle avec des éditions 4K et blu-ray qui éclosent d’une même copie miraculeuse, après des décennies dans les limbes de l’oubli. La légende urbaine à la réputation grandiose peut enfin devenir un objet de visionnage et non plus de curiosité insaisissable. Un nouveau culte émerge de cette reconnaissance officielle chez les plus grands éditeurs indépendants de la planète.
Box-office de Frédéric Mignard
Les sorties de la semaine du 3 mai 1978
© 1977 Trimuse Entertainment Inc. All Rights Reserved.
Biographies +
Richard Loncraine, Mia Farrow, Nigel Havers, Keir Dullea, Tom Conti, Jill Bennett
Mots clés
Film sur le deuil, Les enfants maléfiques au cinéma, Les classiques du cinéma fantastique des années 70, Les maisons hantées au cinéma