Passé inaperçu à sa sortie, Ne vous retournez pas est l’une des œuvres phares d’une décennie virtuose. Toute la beauté de l’étrange par un maître des années 70 dans une Venise mortifère à l’atmosphère prégnante.
Synopsis : Quelques mois après la mort par noyade de leur petite fille, Laura Baxter et son époux John, appelé sur le chantier de restauration d’une église, se rendent à Venise. Mais la ville est devenue cet hiver-là le théâtre d’événements sordides et une étrange rencontre ravive chez le couple le souvenir douloureux de leur fillette.
Deuil à Venise
Critique : Œuvre phare des années 70, même si elle ne connut pas un grand succès en salle (à peine 100 000 entrées en France), Ne vous retournez pas compte parmi les jalons de la filmographie contrastée du cinéaste britannique Nicolas Roeg, dont l’essentiel des grands films se situe au début de sa carrière, entre 1970 et 1980. En l’occurrence, succédant au trip psychédélique obsessionnel La randonnée et s’intercalant avant le film de science-fiction déroutant avec David Bowie, L’homme qui venait d’ailleurs, Ne vous retournez pas appartient aux œuvres surnaturelles vénéneuses de cette décennie traversée de vision artistiques puissantes, transcendée par des points de vue cinématographiques fascinants et radicaux.
A l’instar de Mort à Venise et Nuits blanches de Visconti, le film présente une vision trouble de la cité des Doges, Roeg cultivant le morbide pour son adaptation d’une nouvelle de Daphné du Maurier (Les Oiseaux, Rebecca). Influencé forcément par Hitchcock, mais puisant également son inspiration dans la virtuosité formelle du thriller italien alors à la mode, le giallo, Roeg fait des merveilles à la réalisation, distillant un climat de surnaturel et de folie dans une intrigue qui mène un couple endeuillé par la mort de leur enfant, aux confins d’une cité de décrépitude et de ténèbres, où tout semble mener à une mort inéluctable.
Le cinéma dingue des années 70
Cette histoire de fantôme, préfigurant Le cercle infernal de Richard Loncraine, mais aussi le cinéma spectral ibérique des années 2000 (L’orphelinat, Les autres), est doublée d’une intrigue meurtrière avec un obscur psychopathe qui rode dans une ville sale, à la déliquescence certaine qui nous éloigne des clichés touristiques lumineux associés à cette ville italienne.
Ne vous retournez vous pas, sept fois nommé aux BAFTA
Roeg cherche indéniablement à perdre le spectateur dans les dédales d’une cité exsangue, qui sert de cadre à un script abscons. Le film est torturé par un montage de juxtapositions habiles et une mise en scène géométrique, magnifiquement découpée par des éléments obliques qui sont autant d’éclats et de tessons. Un délice pour les yeux, d’esthétique et d’ambiance.
Culminant dans un final mortifère qui atteint un paroxysme effroyable, Ne vous retournez pas mérite d’être redécouvert. Passé inaperçu en France en raison de la sortie de L’exorciste le jour même de sa distribution sur nos écrans, sa sensibilité artistique lui a valu sept nominations aux BAFTA, dont Meilleurs film, acteur (Sutherland, sorti de Klute, impérial), et actrice (Julie Christie, déchirante).