Pur film de mafia, Le boss met la pédale douce sur l’action pour se consacrer à la dénonciation de la corruption généralisée qui sévissait en Italie dans les années 70. Le résultat, bien que marqué par des outrances, est plutôt efficace.
Synopsis : Homme de main de Don Giuseppe Daniello, lui-même principal lieutenant de Don Corrasco, Nick Lanzetta profite que la famille ennemie soit réunie dans un cinéma pour la décimer à coups de lance-grenade. Cet évènement sera le déclencheur d’une montée de violence entre les deux familles, entre chantage, enlèvement et meurtres…
Le troisième volet de la Trilogie du Milieu
Critique : Le cinéaste Fernando Di Leo vient de connaître de beaux succès avec deux poliziottesci qui sont désormais considérés comme les deux premiers volets de la Trilogie du Milieu : Milan Calibre 9 (1972) et Passeport pour deux tueurs (1972). Ceux-ci étaient fortement ancrés dans la géographie urbaine de Milan et poussaient au maximum les curseurs de l’action et de la violence. Avec son long métrage suivant intitulé Le boss (1973), Fernando Di Leo renouvèle fortement son inspiration, même s’il retrouve en tête de casting l’acteur Henry Silva.
Tout d’abord, l’intrigue n’est aucunement située à Milan, mais bien à Palerme et donc en Sicile. Ensuite, le script n’est aucunement basé sur une nouvelle de Giorgio Scerbanenco comme les deux précédents, mais sur un roman américain signé de l’écrivain irlando-américain Peter McCurtin qui vient de remporter plusieurs prix avec Mafioso qui deviendra donc Le boss au cinéma. Dès lors, le cinéaste délaisse l’action pure et dure pour tourner un film de mafia comme il en existe des dizaines depuis le triomphe international rencontré par Le parrain (Francis Ford Coppola, 1972).
Fernando Di Leo, apôtre de l’outrance et de la violence
Certes, Le boss démarre très fort avec un pré-générique explosif où Henry Silva, homme de main de la mafia, dégomme un gang complet à coups de lance-grenades dans une salle de projection privée. La séquence, totalement dingue et qui laisse apparaître quelques mannequins bien visibles en lieu et place des cadavres, nous plonge directement dans un certain cinéma bis de l’outrance.
Cela se confirme dès que les acteurs entrent en lice puisque la plupart surjouent de manière volontairement grossière. On pense notamment au préfet incarné par le comique Vittorio Caprioli qui en fait des caisses, mais aussi Gianni Garko en policier corrompu. Dans le style outrancier, on signalera également la prestation bigger than life de Pier Paolo Capponi en mafieux désireux de venger la mort de son frère. A l’opposé, certains acteurs semblent davantage mesurés, comme les Américains Henry Silva et Richard Conte, mais aussi Marino Masé et l’unique femme du casting, la jolie Antonia Santilli, connue alors pour être la doublure d’Ornella Muti lors de ses séquences dénudées.
Le boss, un grand film misanthrope
Cet aspect de pur cinéma d’exploitation se retrouve également dans le traitement peu scrupuleux infligé au personnage féminin n’est que de la chair fraîche entre les mains de ces messieurs. Certes, le cinéaste offre à l’actrice un rôle de jeune femme libre et capable de mener sa sexualité comme elle l’entend, mais son regard n’en demeure pas moins marqué d’une certaine misogynie qui explose lors des scènes de dégradation et d’humiliation. Enfin, malgré le caractère anarchiste du cinéaste, on notera qu’il moque de manière très vive la jeunesse hippie, largement caricaturée ici.
Outre ces éléments, Le boss offre un portrait peu aimable du milieu mafieux car Fernando Di Leo n’est aucunement fasciné par ces truands, contrairement à ses homologues américains comme Francis Ford Coppola et Martin Scorsese. Dans le film, le cinéaste n’idéalise jamais ses personnages qui sont tous habités d’une grande soif de pouvoir et de domination, tout en laissant s’exprimer une incroyable violence dans leurs rapports avec autrui.
Une habile critique du pouvoir en place
Le basculement intervient notamment au bout d’une quarantaine de minutes lorsque le spectateur découvre que le héros interprété par Henry Silva – que l’on prend initialement comme un homme d’honneur – est capable de traitrise uniquement pour servir ses intérêts propres. Dès lors, le spectateur comprend qu’aucun personnage positif ne lui sera proposé dans ce grand bal des pourris. Certes, la Mafia est un repaire de vipères, mais la police en croque au passage, tandis que la fin du film nous démontrera que tout est orchestré par le pouvoir politique en place, à savoir la fameuse Démocratie chrétienne au cœur de ce que l’on a appelé les années de plomb.
On notera d’ailleurs que, malgré les outrances du film, la démonstration politique s’avère très convaincante et plutôt finement amenée. Fernando Di Leo fait donc état d’une société italienne intégralement gangrenée par la corruption, que ce soient les élites, les députés, mais également l’Eglise catholique et romaine. Dans sa dénonciation, il n’hésite d’ailleurs pas à citer des noms d’hommes politiques de l’époque, ce qui lui a valu quelques démêlés avec la censure qui souhaitait supprimer quelques phrases de dialogues pour éviter un procès en diffamation, intenté par Giovanni Gioia. Finalement, après une suspension d’exploitation, Le boss a pu sortir normalement car le ministre Gioia a retiré sa plainte, conscient qu’elle signifiait sa culpabilité auprès du grand public.
De nombreuses menaces ont plané sur ce long métrage
Ces déconvenues prouvent à quel point Fernando Di Leo a tapé dans le mille, lui qui n’a pas réussi à tourner l’ensemble du film à Palerme à cause des menaces proférées par une mafia peu encline à se faire critiquer. Voilà qui explique la profusion de décors peu identifiables et de scènes d’intérieur, contrairement aux deux films précédents fortement ancrés dans la géographie milanaise.
Boosté par une réalisation efficace et surtout par l’apport non négligeable d’une excellente partition musicale de Luis Bacalov, Le boss se termine sur un carton qui annonce une éventuelle suite. Contrairement à ce qui est souvent écrit, cette indication nous semble surtout ironique, précisant que le cercle vicieux décrit dans le long métrage ne peut jamais s’arrêter. Notre théorie paraît validée par l’absence de suite d’un film qui a pourtant connu une jolie carrière en Italie.
Le boss n’est arrivé dans les salles françaises qu’en mai 1974 par les bons soins des Films Marbeuf. Il est sorti à semaine dans un seul cinéma, le Hollywood Boulevard de René Chateau où il a tenu une semaine, pour un total de 2 975 spectateurs.
Peu vu à l’époque, le thriller est ressorti plus d’une décennie plus tard, en province, via Metropolitan FilmExport, sous le titre de L’Executeur de la mafia.
Il a ensuite connu le droit à une sortie VHS en 1985 chez Delta Vidéo, avant d’être remis d’actualité au début des années 2020 par une reprise au cinéma et une sortie DVD / Blu-ray dans la collection d’Elephant Films consacrée au genre du poliziottesco.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 22 mai 1974
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Biographies +
Fernando Di Leo, Gianni Garko, Richard Conte, Howard Ross, Andrea Scotti, Henry Silva, Pietro Torrisi, Pier Paolo Capponi, Marino Masé, Claudio Nicastro, Vittorio Caprioli, Antonia Santilli
Mots clés
Cinéma italien, Poliziottesco, Film de mafia, La violence faite aux femmes, Les années de plomb au cinéma