Premier film professionnel de Wim Wenders, L’angoisse du gardien de but au moment du penalty est une œuvre exigeante qui s’inscrit pleinement dans un cinéma contemplatif à la Antonioni. Pour public averti.
Synopsis : Expulsé par l’arbitre, un gardien de but erre dans les rues de Vienne. Il fait la connaissance d’une jeune femme, passe la nuit avec elle, et la tue au matin.
Un premier film professionnel pour un cinéaste majeur en devenir
Critique : Lorsqu’il découvre le manuscrit du futur roman de son ami Peter Handke intitulé L’angoisse du gardien de but au moment du penalty, l’apprenti-cinéaste Wim Wenders se met en tête de l’adapter au cinéma, avant même qu’il ne soit publié. Pour réaliser ce premier véritable film professionnel – son précédent long était un film de fin d’études intitulé Summer in the City – le jeune cinéaste s’appuie sur la structure indépendante Filmverlag der Autoren et sur une aide de la part de la télévision autrichienne. Dès lors, il peut compter sur un budget établi à 600 000 deutschemarks, une enveloppe suffisante pour embaucher des acteurs professionnels comme Arthur Brauss.
Si Wim Wenders a envisagé pendant quelques temps de faire jouer le véritable gardien de foot national allemand Wolfgang Fahrian, il change son fusil d’épaule en privilégiant la qualité du jeu d’acteur sur celle du sportif. Pour cela, il engage donc Arthur Brauss qui fut autrefois un sportif émérite, mais dans une tout autre discipline, le saut à la perche. Cependant, le comédien a déjà une carrière de comédien bien fournie, ayant joué dans des coproductions internationales comme Le Train (John Frankenheimer, 1964) ou encore L’express du colonel von Ryan (Mark Robson, 1965). Cette décision fut fondamentale car le long métrage s’attarde surtout sur le caractère du personnage principal et non sur ses capacités sportives, largement laissées hors champ.
La tentation vite avortée du polar
En fait, ce premier essai de Wim Wenders entre parfaitement en résonnance avec l’œuvre littéraire de Peter Handke dont il reprend les thématiques sur l’incommunicabilité, mais aussi sur l’errance sans but d’êtres à la dérive. Fortement influencé par le théâtre de Samuel Becket, Handke réfute toute forme de narration classique et préfère laisser libre cours à une modernité stylistique très intellectualisée. Pour sa traduction filmique, Wim Wenders s’inscrit totalement dans un cinéma expérimental proche des interrogations contemporaines d’un Michelangelo Antonioni.
Ainsi, le personnage central de L’angoisse du gardien de but au moment du penalty erre dans l’existence, sans avoir de but apparent. Dépourvue de sens, sa vie s’écoule au fil des œuvres cinématographiques qu’il absorbe ou des tubes rock qu’il écoute. Et un matin comme les autres, il tue une femme par étranglement. Cet acte qui met aussitôt le spectateur en alerte est décrit de manière neutre et sans aucun affect. Dès lors, le compte-à-rebours est lancé pour savoir quand les policiers mettront la main sur ce meurtrier aussi banal qu’inquiétant.
Quand le spectateur suit le ballon, Wenders regarde le gardien…
Pourtant, même si Wim Wenders ne cesse de se référer au cinéma et au rock, deux éléments de la pop culture américaine, il opte pour un traitement intellectuel à l’européenne. Ainsi, il annule volontairement tout effet de suspense en diluant des scènes anodines au-delà du raisonnable et en multipliant les ellipses concernant les événements faisant avancer l’intrigue. Rapidement, on sent bien que le protagoniste lui-même se moque de savoir s’il va être pris. Usant de la métaphore footballistique, le cinéaste fait du gardien de but – le joueur que l’on regarde le moins sur le terrain puisque l’on suit du regard le ballon – un personnage effacé à l’extrême.
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Sorte d’anticipation programmatique de tout son cinéma, Wim Wenders veut filmer ce que le spectateur ne voit jamais : il évite donc les moments de tension dramatique pour se concentrer uniquement sur l’accessoire et la banalité du quotidien. Ainsi, il parvient à créer un sentiment diffus d’étrangeté familière. Tout ce que fait le personnage principal apparaît comme banal et quotidien, mais le spectateur garde toujours dans un coin de sa tête qu’il s’agit d’un assassin.
Un résultat inattendu qui a plu aux critiques, tout en déstabilisant le public
Le résultat est assurément audacieux et terriblement ambitieux, même si la réalisation encore un peu sommaire du réalisateur ne parvient pas encore à magnifier les nombreux moments en creux d’un film très lent et contemplatif. Pour l’aider dans sa tentative de déstabilisation du public, le cinéaste peut compter sur la musique de son complice Jürgen Knieper qui crée une atmosphère malsaine par l’usage de discordances. La photographie en couleurs de Robby Müller met quant à elle en valeur les décors et paysages de cette région frontalière avec l’Autriche par l’emploi d’une belle palette chromatique. Esthétiquement, le long métrage est donc d’une belle tenue.
Présenté d’abord à la télévision, avant une sortie en salles en Allemagne au mois d’octobre 1972, L’angoisse du gardien de but au moment du penalty a également été proposé au Festival de Venise où il a obtenu le Prix FIPRESCI. Malgré une excellente presse, le long métrage fut un cuisant échec dans les salles germaniques, au point que le film n’est sorti en France qu’en 1978, au moment où le cinéaste commençait à être connu des cinéphiles français. MK2 à la distribution n’a pu toutefois en tirer que 23 452 tickets vendus, à mi-chemin des 50 000 entrées parisiennes d’Alice dans les villes que le distributeur proposait dans les salles au mois de juin 1977.
Une œuvre restée longtemps invisible pour des questions de droits musicaux
Par la suite, ce premier vrai film professionnel de Wim Wenders n’a pu faire l’objet d’une exploitation vidéo à cause de nombreux problèmes de droits musicaux. Effectivement, lors de la création du film, le cinéaste a utilisé de nombreux morceaux de rock dont il n’a pas payé les droits. Dès lors, le long métrage s’est retrouvé bloqué pendant des années à cause de ce vice de forme.
Depuis le milieu des années 2010, L’angoisse du gardien de but au moment du penalty a été restauré au niveau de l’image et également du son. Certains droits d’auteur ont été acquittés, tandis que d’autres chansons ont tout simplement été remplacées par d’autres, libres au niveau du copyright. Le drame intimiste ne semble pas avoir trop souffert de ce toilettage qui permet de le revoir dans d’excellentes conditions de visionnage. C’est cette version restaurée qui a été reprise en salles chez nous en 2018 par Les Acacias dans une vaste rétrospective des premiers chefs d’œuvre du maître du cinéma allemand.
Critique de Virgile Dumez
Box-office :
En sortant L’angoisse du gardien de but au moment du penalty de Wim Wenders le 13 septembre 1978, MK2 Diffusion a pris un risque. Le même jour Swan Diffusion programmait dans le circuit Gaumont le film Despair de Rainer Werner Fassbinder qui visait exactement le même public germanophile. Les cinéphiles pouvait voir le dernier Billy Wilder, Fedora, avec William Holden. Pour les amateurs de productions commerciales, deux films phénomènes sortaient le même jour : Midnight Express d’Alan Parker approchera les 6 millions d’entrées France sur plusieurs années, Grease avec l’idole des jeunes John Travolta refilera la fièvre du samedi soir à plus de 5 300 000 spectateurs.
Le 13 septembre, Wim Wenders trouve 4 écrans parisiens et 7 854 spectateurs, dont 3 081 spectateurs au Racine. Le reste des entrées se répartit entre l’Entrepot, les 14-Juillet- Parnasse et Bastille. Ce beau démarrage lui vaut la tête du classement art et essai. Il faut dire que la sortie de Despair est finalement repoussée au 20 septembre où le succès sera au rendez-vous. Parmi les films de la semaine, plusieurs films de genre travaillent les modes du moment : L’inévitable catastrophe ouvre sa ruche à 30 060 spectateurs et Les gladiateurs du futur défile devant 22 070 spectateurs.
L’angoisse du gardien de but au moment du penalty de Wim Wenders restera 10 semaines à l’affiche et finira sa carrière à 23 000 entrées. En deuxième semaine, L’angoisse du gardien de but au moment du penalty passait à 5 351 spectateurs malgré l’ajout d’un écran (l’Elysées Lincoln). En semaine 3, le premier film de Wim Wenders rétrograde à 3 275 entrées dans 4 salles, puis à 1 714 entrées dans 2 cinémas, le Racine et le 14 Jt-Parnasse. C’est en 6e semaine que L’angoisse du gardien de but au moment du penalty réussit enfin à franchir les 20 000 entrées. Fassbinder y parvient en 5 semaines.
Box-office : Frédéric Mignard
Les sorties de la semaine du 13 septembre 1978
Voir le film en VOD
©1972 Filmverlag der Autoren – Telefilm Wien – Westdeutscher Rundfunk (WDR) – Wim Wenders Stiftung – Österreichischer Rundfunk (ORF) / Affiche : Yves Prince. Tous droits réservés.
Biographies +
Wim Wenders, Rüdiger Vogler, Arthur Brauss, Kai Fischer
Mots clés
Cinéma allemand, Les crises existentielles au cinéma, Road Movie, Le rock au cinéma