Film majeur qui possède de multiples niveaux de lecture, Fedora clôt de manière magistrale la carrière de Billy Wilder et peut se voir comme un complément idéal de son chef-d’œuvre Boulevard du crépuscule.
Synopsis : Fedora, grande star hollywoodienne désormais retirée en Europe, met fin à sa vie en se jetant sous un train. Deux semaines auparavant, le producteur Barry Detweiler était parti à sa recherche dans l’espoir de la faire revenir sur le devant de la scène. Mais la mystérieuse Fedora vit désormais recluse auprès de gens étranges et s’avère difficile à approcher…
Billy Wilder actualise son classique Sunset Boulevard
Critique : En 1976, le célèbre romancier Tom Tryon (déjà adapté par Robert Mulligan avec L’autre) publie le recueil de nouvelles intitulé Crowned Heads dans lequel Billy Wilder pioche pour construire avec son scénariste fétiche I.A.L. Diamond le script de Fedora (1978). Il faut dire que le sujet ne pouvait qu’intéresser le cinéaste de Boulevard du crépuscule (1950), puisqu’on retrouve au centre de l’intrigue une star déchue de Hollywood, ainsi qu’un producteur ambitieux qui souhaite la remettre en selle. Le cinéaste semble donc avoir voulu boucler la boucle en tournant à plus de 70 ans une sorte de testament filmique qui reprendrait la structure alambiquée de son chef-d’œuvre de 1950.
Toutefois, pas question pour Billy Wilder de se laisser tenter par une quelconque nostalgie ou encore de s’endormir sur ses lauriers. Avec Fedora, il construit notamment un script en tout point admirable qui ose bousculer la narration comme il a su si bien le faire autrefois. Il n’hésite pas à commencer son film par le décès de la fameuse star déchue, avant de nous proposer un long flashback où le spectateur adopte le point de vue extérieur du producteur désireux de sauver la star d’un entourage prédateur. Toujours audacieux, Wilder propose même un flashback à l’intérieur du flashback, multipliant ainsi les niveaux de narration.
Un film à twist qui redéfinit la notion de narration
Si sa réalisation peut apparaître un peu trop fonctionnelle dans les prémices du film, celle-ci se fait plus rigoureuse et inventive au fur et à mesure que le mystère se dévoile peu à peu. Et dans son genre, Fedora ne déçoit aucunement tant les révélations qui vont se succéder ne peuvent guère se deviner à l’avance.
Comme fréquemment dans son cinéma, Wilder opère à mi-parcours un changement de narrateur – et donc de point de vue – qui vient bouleverser totalement la vision que l’on avait jusque-là de cette histoire. Afin de ne pas gâcher le plaisir des spectateurs, nous ne pourrons pas analyser le long-métrage en profondeur sous peine d’en dévoiler le savoureux twist central. Sachez en tout cas que cela apporte au long-métrage une dimension tragique non négligeable quant au personnage incarné avec talent par Marthe Keller.
Une brillante mise en abyme du cinématographe
Au passage, le réalisateur règle ses comptes avec le star system et son fonctionnement entièrement fondé sur l’image et l’apparence. Toutefois, comme il est divinement intelligent, Wilder réussit à la fois à poser un regard moderne sur ce monde dépassé du glamour hollywoodien, tout en étant admiratif d’une époque qu’il a bien connue. On connait la légendaire misanthropie du réalisateur qui s’exerçait à tout propos, mais il arrive à sauver la plupart des personnages de son film, et ceci malgré leurs comportements odieux.
Enfin, signalons un autre niveau de lecture qui vient ajouter un peu plus de profondeur à un ensemble déjà fort riche. Le long-métrage peut également se voir comme une prodigieuse mise en abyme du cinéma. Le monde d’apparence qu’il décrit n’est-il pas l’essence même du cinématographe ? N’est-on pas en train de regarder un film dans lequel des acteurs jouent le rôle de comédiens qui interprètent également un rôle ? Cette proposition ambitieuse permet de réfléchir sur le statut de l’image filmée sans pour autant tomber dans le pensum plombant.
Fedora ou le bonheur d’une œuvre totale
Ainsi, Fedora peut se voir également comme un film total où l’intrigue propose du suspense, de la romance, des retournements de situation et même des moments de pure tragédie, tout en étant une puissante réflexion sur le médium cinéma. Il n’est donc pas interdit de voir dans ce très beau film un superbe testament de la part d’un auteur, pourtant variablement inspiré en fonction des époques.
Pour arriver à ses fins, Wilder a retrouvé William Holden, son acteur fétiche des années 50, qu’il emploie avec maestria. Face à lui, le casting féminin est remarquable, avec une Marthe Keller charismatique et une Hildegard Knef inoubliable. Enfin, les superbes paysages et les décors d’Alexandre Trauner complètent un tableau qui fait de Fedora une réussite majeure.
Un long-métrage passé injustement inaperçu à sa sortie
Pourtant, le public n’a guère répondu présent à l’époque, considérant sans doute le métrage comme démodé. Si bon nombre de critiques européens ont salué l’un des derniers grands films d’un maître, les Américains furent moins emballés. Le long-métrage n’a d’ailleurs quasiment pas été diffusé sur les écrans américains, lâché par un distributeur frileux et peu convaincu. Ce fut une énième amère déception pour Billy Wilder qui y a perdu beaucoup d’argent (il était son propre producteur). Il ne revient ensuite qu’une seule fois derrière la caméra pour une œuvre de commande intitulée Victor la gaffe (titre vidéo français) ou Buddy Buddy en VO (1981) qui adapte la pièce de Francis Veber L’emmerdeur. Cet ultime long-métrage fut autant une déception artistique que commerciale, poussant Wilder à la retraite.
Comptant parmi les grandes réussites de Billy Wilder, Fedora est donc une œuvre à redécouvrir d’urgence pour tous les amateurs du cinéaste.
Critique de Virgile Dumez