Pur chef-d’œuvre qui analyse la fracture générationnelle des années 60, La vérité dénonce la froideur de la justice et offre à Brigitte Bardot son plus beau rôle. Un jalon du cinéma français.
Synopsis : Après avoir passé son enfance en province, Dominique réussit à convaincre ses parents de la laisser accompagner sa sœur, Annie, qui part à Paris. Dominique se fâche rapidement avec Annie et va habiter seule au quartier latin où elle accumule des aventures. Elle rencontre alors Gilbert, un ami de sa sœur, qu’elle décide de provoquer…
L’affaire Pauline Dubuisson comme source d’inspiration
Critique : Le cinéaste Henri-Georges Clouzot a déjà signé quelques jalons du cinéma français comme Le corbeau (1943), Quai des orfèvres (1947), Le salaire de la peur (1953) et Les diaboliques (1955) lorsqu’il aborde l’écriture du script de La vérité à la fin des années 50. Le réalisateur est déjà connu pour son goût du scandale, ainsi que ses méthodes tyranniques sur les plateaux afin de tirer le meilleur de ses acteurs.
Si aucune référence n’est présente au générique, La vérité (1960) s’inspire directement d’une affaire judiciaire qui a secoué la France en 1953. Il s’agit de l’affaire Pauline Dubuisson, jeune femme ayant assassiné son fiancé après que celui-ci a rompu avec elle. Ce qui a notamment marqué Henri-Georges Clouzot durant cette affaire très médiatisée, c’est bien le déferlement de haine qui s’est abattu sur la jeune femme et l’incompréhension de la société vis-à-vis de sa situation personnelle. Afin de coller au plus près de cette affaire, Clouzot a même fait appel à maître Simone Drieu pour participer à l’écriture du scénario. Elle-même fut l’assistante de l’avocat de la famille des plaignants.
Le procès de la scandaleuse Bardot
Toutefois, le coup de génie de Clouzot vient de son choix pour incarner la jeune accusée. En choisissant la belle Brigitte Bardot, le cinéaste savait qu’il n’employait pas qu’une actrice, mais aussi un symbole. Déjà en plein cœur de la Bardot mania depuis 1956 et le succès de Et Dieu créa la femme (Vadim), la jeune star vit un enfer au quotidien en étant sans cesse poursuivie par les paparazzi. Alors qu’elle fascine et envoûte la jeunesse qui se reconnaît en sa soif de liberté, BB est détestée par la vieille génération qui voit en elle une fille de mauvaise vie. D’ailleurs, lorsqu’elle accepte de tourner dans La vérité (1960), Bardot sait pertinemment que le procès du film sera en réalité le sien, ce qui n’échappe pas à la sagacité de Clouzot.
Et de fait, si le cinéaste s’inscrit ici pleinement dans une certaine tradition du film de procès, il s’en échappe à plusieurs reprises par la grâce de flashback qui composent un portrait multiple et contradictoire d’une femme accusée de meurtre. La question n’est pas tant de savoir si la jeune femme est coupable puisqu’elle a avoué son geste, mais de déterminer si elle a prémédité froidement son acte ou si elle a agi sous le coup de la passion amoureuse. La nuance est importante sur le plan juridique et la peine encourue n’est plus la même en fonction de cette donnée (pour mémoire, la peine de mort était encore en vigueur en France à cette époque).
La vérité : une fracture béante entre la jeunesse et ses ainés
Si Henri-Georges Clouzot prend un malin plaisir à décrire minutieusement le fonctionnement de la justice, avec ses rites et passages obligés, il préfère surtout peindre le portrait sociétal d’une France alors coupée en deux. D’un côté, il filme à travers les flashback l’évolution d’une jeunesse d’après-guerre qui songe avant tout à s’amuser et profiter de la vie dans une forme d’insouciance. Sa description n’est d’ailleurs pas toujours tendre, notamment envers le personnage incarné avec naturel par Brigitte Bardot. Véritable tête à claque durant la première demi-heure du film, la jeune ingénue semble provoquer les hommes sans même s’en rendre compte. Son attitude volage peut faire bondir lorsque cela s’accompagne d’une ignorance crasse et assumée.
De l’autre, durant le procès, Clouzot montre à quel point les garants de la justice se concentrent finalement davantage sur ce mode de vie insouciant que sur les faits. Ils incarnent à eux seuls cette société française traditionnelle et bourgeoise qui cherche à défendre coûte que coûte son modèle patriarcal et refuse aux jeunes filles le droit de s’émanciper. Durant ces séquences, seul l’avocat joué avec talent par Charles Vanel semble plus compréhensif, même si l’on peut s’interroger sur la sincérité de sa démarche, puisqu’il s’agit de son métier, et rien de plus.
Le jugement d’une société patriarcale
Tandis que le film avance, le portrait qui est dressé du fiancé – excellent Sami Frey, déjà en mode froid et distant – ne fait quasiment plus de doute. Il s’agit ici de montrer l’attitude dominante d’un homme qui croit pouvoir jouer avec les sentiments d’une jeune femme frivole, sans en payer un jour les conséquences. Son personnage symbolise à lui tout seul cette domination masculine que les jurés – tous des hommes – vont défendre bec et ongle, dans une sorte de solidarité bien entendue.
Dès lors, Brigitte Bardot incarne une sorte d’électron libre, une boule de passion au cœur d’une société froide, pour ne pas dire frigide, incapable de la moindre empathie pour celles et ceux qui ne se conforment pas à son moule. Au fur et à mesure qu’avance le film, Bardot devient un petit animal blessé qui se heurte au mur de la justice. Mise à mal par la tyrannie de Clouzot, la jeune actrice a été malmenée de façon à la faire sortir d’elle-même devant la caméra. On imagine aisément la souffrance vécue par la star au vu de sa prestation, absolument remarquable.
Elle est entourée par des pointures telles que Louis Seigner, Paul Meurisse et Charles Vanel. Du côté des jeunes, on apprécie également Sami Frey, dans un rôle pourtant très antipathique, ou encore Marie-José Nat en sœur antagoniste. La réalisation de Clouzot est quant à elle d’une rigueur formidable, au point de laisser le spectateur les bras ballants après cette scène finale absolument glaciale qui ne peut qu’indigner.
Le triomphe de Bardot
Totalement maîtrisé et d’une absolue perfection, La vérité (1960) s’impose donc comme l’un des meilleurs films de son auteur. Sorti en grandes pompes au mois de novembre 1960, le long-métrage a connu un formidable succès, même s’il loupe la pôle position lors de sa présentation parisienne, doublé par Psychose (Hitchcock) et Le passage du Rhin (Cayatte). Toutefois, le film va s’imposer lorsque son parc de salles sera étendu, devenant un énorme succès, aussi bien à Paris qu’en province. Avec 5,6 millions d’entrées sur l’ensemble du territoire, La vérité (1960) se hisse finalement à la troisième marche du podium annuel, confirmant le poids écrasant de Brigitte Bardot dans le paysage cinématographique français. Il bat notamment des records sur Paris où il est diffusé un temps au Marivaux où il fait sensation.
Le chef-d’œuvre tourne au phénomène lorsqu’il remporte également des prix à l’étranger. Il est ainsi nommé à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère en 1961 et remporte le Golden Globe dans cette même catégorie. Brigitte Bardot obtient quant à elle le prix de la meilleure actrice étrangère au David di Donatello (Italie) en 1961. Enfin, les fans de la star peuvent également poursuivre l’expérience du film durant les mois suivants en lisant les pages des magazines people qui content en détail l’idylle vécue par Bardot et Sami Frey. Ou comment la réalité rejoint la fiction.
Critique de Virgile Dumez