Sorte de western normand, La horse est un film d’une grande efficacité, magnifié par un Jean Gabin très charismatique et davantage porté sur la violence que d’habitude. Une réussite.
Synopsis : Auguste, patriarche misanthrope règne en maître sur quatre cents hectares de terre dans les marais de la baie de Seine. Un jour, il trouve dans sa baraque de chasse, un paquet de drogue. Il découvre que son propre petit-fils est impliqué dans un trafic clandestin, détruit la drogue et décide de faire justice lui-même sur ses terres…
Retour de Gabin en patriarche intraitable
Critique : En 1968, le romancier normand Georges Godefroy publie La horse sous le pseudonyme de Michel Lambesc, comme à chaque fois que l’auteur aborde le genre policier. Joli succès de la série noire, le roman est aussitôt acheté par le producteur Gérard Beytout du groupe SNC pour en tirer une adaptation cinéma. Transposé en scénario par Pascal Jardin et Pierre Granier-Deferre, La horse est très rapidement proposé à Jean Gabin qui y voit l’opportunité d’incarner une nouvelle figure de patriarche. L’acteur se sent d’autant plus proche du personnage qu’il possède lui aussi des terres en Normandie et qu’un tournage non loin de chez lui est donc envisageable.
Si Pierre Granier-Deferre n’a pas encore fait ses preuves au box-office puisque même La métamorphose des cloportes (1965) avec Lino Ventura avait été une déception, Jean Gabin se sent en confiance avec celui qu’il a connu en tant qu’assistant sur des œuvres comme Le cas du docteur Laurent (Le Chanois, 1957), Les grandes familles (La Patellière, 1958) et Rue des prairies (La Patellière, 1959). On sait à quel point la star avait besoin de se sentir en confiance, entouré de techniciens rompus à l’exercice.
La horse : l’unique western normand
Légèrement inspiré de l’affaire Dominici – que Gabin tournera quelques années plus tard sous la direction de Claude Bernard-Aubert – La horse est censé être un thriller rural, mais en réalité Pierre Granier-Deferre en a fait un western normand. Effectivement, l’intrigue criminelle n’a pas vraiment de surprises à offrir puisque les tenants et aboutissants sont fixés dès les premières minutes du long-métrage. Confronté à un gang de dealers de drogues (la horse est l’autre nom de l’héroïne), un patriarche à la tête d’une imposante ferme décide de faire justice lui-même. La vendetta à l’ancienne ressemble à s’y méprendre à un script de western où le propriétaire terrien doit prendre les armes pour défendre ses terres et sa famille.
Cette référence au genre, américain par essence, est encore renforcée par l’aspect mutique du personnage principal incarné avec beaucoup d’autorité par un Jean Gabin plus glaçant que d’habitude. D’une rudesse incroyable, l’homme règne sans partage sur une famille élargie où il est impossible de contester son autorité. Alors que son petit-fils – excellent Marc Porel – est impliqué dans un trafic de drogues, le vieux n’accepte pas que son nom soit sali et prend donc les choses en main, sans autre considération morale que celle de défendre son honneur.
Gabin au centre d’un conflit très violent
Le spectateur est ainsi très surpris lorsque le patriarche s’en prend violemment aux dealers, n’hésitant pas à les éliminer un à un. La tension maintenue durant tout le film explose à plusieurs reprises lors de séquences qui évitent la complaisance, mais parviennent à transmettre toute la violence du conflit. L’air de rien, le long-métrage s’avère très cruel, que ce soit envers les truands, les animaux – l’hallucinante scène du massacre des vaches – ou encore les femmes, dont l’une est carrément violée.
Tourné avec beaucoup de pudeur par un Pierre Granier-Deferre inspiré, La horse bénéficie également de beaux paysages normands magnifiés par la photographie de Walter Wottitz. Enfin, le film ne serait pas aussi réussi sans l’excellente partition musicale de Serge Gainsbourg, à la fois pop, entraînante et parfaitement en accord avec les images. Totalement dominé par l’interprétation monumentale de Gabin, La horse est également servi par des acteurs de bonne tenue dont aucun ne fait d’ombre au patriarche, ce qui est bien évidemment en parfaite alchimie avec le sujet traité.
La fin d’un certain monde rural
Effectivement, derrière son aspect de thriller violent, La horse en profite pour évoquer la disparition progressive d’un monde rural en voie d’extinction. Le long-métrage oppose notamment le monde moderne (par le biais des truands, mais aussi des policiers et gendarmes) au monde paysan encore traditionnel. Granier-Deferre y décrit avec beaucoup de pertinence l’omerta qui régnait dans ces familles où les secrets pullulaient, mais aussi cette défiance naturelle envers tout étranger. Bref, le métrage plonge en plein cœur de ces familles traditionnelles qui existaient encore en cette fin des années 60, mais n’allaient pas tarder à être balayées par la modernité galopante.
Si le cinéaste valorise en toute fin la figure d’autorité du patriarche parvenu à sauvegarder son « troupeau », il n’est pourtant pas dupe de ce type de comportement, associé à une société en voie de disparition. Personnage à la fois fascinant et rebutant par son odieux autoritarisme, le vieux patriarche est donc le symbole d’une époque révolue. On ne la regrettera pas.
La horse, un beau succès sur la durée
Sorti au mois de février 1970 (le dimanche 22 plus précisément) au milieu d’une forte concurrence, La horse déçoit les attentes lors de sa semaine d’investiture parisienne avec une quatrième place qui laissait augurer du pire. Pourtant, le long-métrage a connu une embellie grâce à un bon bouche à oreille, remontant ainsi à la deuxième position lors des 2ème et 3ème semaines de son exploitation. Même constat sur l’ensemble du territoire français où la première semaine fut décevante, avant que le film ne gagne progressivement des places jusqu’à remonter à la deuxième marche du podium en troisième semaine. La horse est ensuite resté dans les cinq premières places du box-office national jusqu’au mois de mai 1970. Avec plus de 2 millions d’entrées et une 17ème place annuelle, le thriller rural peut être considéré comme un joli succès pour un Jean Gabin vieillissant.
Désormais disponible dans un superbe mediabook en édition limitée chez Coin de Mire Cinéma, La horse bénéficie d’une copie de très bonne tenue, ainsi que de goodies formidables comme des reproductions de photos du film, de l’affiche et du dossier de presse d’époque. A posséder d’urgence.
Critique de Virgile Dumez