D’aucuns pourraient l’appeler mineur, Le couteau de glace d’Umberto Lenzi, polar inédit en France, avec Carroll Baker, cultive un bon climat de film d’exploitation rital comme on les aime.
Synopsis : Adolescente, Martha Caldwell a réchappé d’une catastrophe ferroviaire dans laquelle elle a vu mourir ses parents, traumatisme qui l’a rendue muette. Quinze ans ont passé quand Martha, qui vit désormais avec son oncle Ralph, féru d’occultisme, dans une propriété située à Montseny, dans les Pyrénées espagnoles, reçoit la visite de sa cousine Jenny Ascot, célèbre chanteuse résidant en Angleterre. Cette dernière est mortellement poignardée durant la nuit. La police mène son enquête, tandis que d’autres meurtres surviennent. Les soupçons se portent vers une secte sataniste, à moins qu’il ne s’agisse d’un tueur en série isolé. Dans un cas comme dans l’autre, Martha pourrait bien être la prochaine victime…
Le duo Umberto Lenzi – Carroll Baker réitère dans le polar
Critique : Curieusement inédit en France jusqu’en 2020, année où il est apparu en vidéo chez Le Chat qui fume, Le couteau dans la glace appartient aux thrillers que le réalisateur Umberto Lenzi tourna avec sa muse de quelques années, la gloire déchue de Hollywood, Carroll Baker. L’actrice alignait alors les films d’exploitation en Italie et ce à peine une dizaine d’années après sa nomination aux Oscars pour son rôle à scandale dans Baby Doll d’Elia Kazan.
La blonde sulfureuse a tourné bien des polars avec le cinéaste, Si douces si perverses ou Orgasmo sont les deux classiques qui ont marqué leur fructueuse collaboration. Le couteau de glace ne démérite pas pour autant. Le thriller psychologique tortueux, à l’élégance lumineuse des thrillers italiens des années 70, met en scène Baker en un personnage muet muré dans son trauma d’enfance qui a fauché ses parents. Le point de départ scénaristique est voulu par Lenzi comme un clin d’œil à l’un de ses maîtres, Robert Siodmak et Deux mains, la nuit où, en 1945, il était question de crimes contre des femmes en situation de handicap.
Un whodunit classique et peu porté sur la violence graphique
Loin des gialli violents qui commençaient à transformer le genre en Italie sous l’impulsion de Dario Argento, Le couteau de glace commence comme un roman-photo de par sa photographie un peu surexposée des premières scènes. Ce tic inhérent à l’époque se calme très vite avec un goût pour des ambiances un peu morbides qui se feraient l’écho d’une citation d’Edgar Allan Poe qui ouvre le film, et que le réalisateur avoue avoir monté de toutes pièces.
Alors que l’héroïne accueille dans ses Pyrénées (le film est une coproduction espagnole) sa cousine (formidable Ida Galli que l’on voit finalement trop peu, malgré quelques flashback sur la fin), les morts commencent à se multiplier autour du personnage joué par Carroll Baker, incluant cette cousine de sang… Le spectre du satanisme, en écho à l’affaire de Sharon Tate assassinée par Charles Manson, est l’une des ombres malveillantes qui planent sur cette œuvre aux pistes multiples et au rebondissement final forcément à rebrousse-poil de tout ce qui a été présenté au gré de l’intrigue embrumée (chauffeur patibulaire, hippie halluciné au regard d’argent…).
Un Lenzi de bonne tenue
L’histoire policière se déploie parallèlement à une thérapie pour exorciser les démons du passé de la belle héroïne hitchcockienne qu’incarne brillamment Carroll Baker. Sans génie, mais avec une efficacité magnifiée par la HD qui permet de découvrir le film, Lenzi se montre bon faiseur d’histoire et traîne sa caméra là où il faut pour attiser les tensions sans pour autant s’abaisser au voyeurisme sexuel ou morbide qu’il saura lui aussi utiliser à son tour, comme la plupart de ses homologues du cinéma de genre transalpin.
Malgré quelques faiblesses de script, Le couteau de glace est un polar glaçant qui compte parmi les bons avatars du thriller italien de cette époque prolifique.
Le test blu-ray :
Le digipack édité à 1 000 exemplaires, donc il s’agit d’une édition ultra-limitée, arbore 3 disques (DVD, blu-ray et CD) et confirme la cohérence de traitement des designs du Chat qui fume.
Compléments : 5 /5
Encore mieux que le film, les bonus. Le Chat qui Fume balance du lourd pour cette édition. La compilation sur CD, totalement inattendue, de 20 morceaux de gialli, remporte tous les suffrages.
Parmi les bonus audiovisuels, on applaudit l’interview carrière du cinéaste Umberto Lenzi par le pourvoyeur de suppléments bis Freak-O-Rama. Cet enregistrement contemporain, qui date de quelques mois avant la mort du cinéaste, est étonnante. Le cinéaste y déploie passion, énergie et de belles facultés de mémoire pour s’avouer, au bout d’une heure, lessivé. On le comprend. Ce grand monsieur, qui a tourné avec Henry Fonda et Jean-Louis Trintignant, n’est jamais à court d’arguments.
Cette interview grandiose évoque toutes les étapes de la carrière du réalisateur de Cannibal Ferox qui se confie sur ses rapports aux différents genres qu’il a été amené à aborder. L’artisan appliqué nous permet d’aller à la source des informations sur ses films d’espionnage, ses thrillers, gialli, films de guerre, qu’il affectionnait tant, ses polars urbains et son aversion pour le cinéma d’horreur et sa pitoyable décennie 80… Il est intéressant de l’entendre parler des vedettes qu’il a côtoyées. Américaines ou italiennes, il est question d’image de soi, de rivalité et donc de tout ce qui peut rendre ce genre d’entretien cocasse.
Cette interview s’agrémente d’un second entretien, antérieur, de plus de 20 minutes, durant lequel le cinéaste nous éclaircit sur Le couteau de glace. L’auteur évoque son inspiration, le casting jusqu’à ses réserves sur le jeu de l’acteur américain Alan Scott, les difficultés techniques lors du tournage. C’est passionnant et complémentaire à l’interview carrière.
Une présentation du film par Jean-François Rauger, critique et surtout directeur de la programmation de la Cinémathèque, replace Le couteau de glace dans la carrière de Lenzi et au sein des polars italiens de l’époque. Il évoque ses faiblesses, mais aussi ses atouts, sa singularité, avec l’aisance qu’on lui connaît. Forcément pertinent.
La bande-annonce figure sur le blu-ray. La personnalisation est totale.
Image : 4 / 5
Master lumineux, attrayant dans son introspection des détails, de l’espace qui fait néanmoins un peu peur au début lors des scènes de brouillard ou de roman-photo qui n’inspirent pas le même enthousiasme.
Son : 4 /5
Le blu-ray propose deux pistes audio. N’ayant pas fait l’objet d’une sortie salle ou VHS, la VF n’est pas de mise ; en revanche, comme toujours pour les films italiens de l’époque, l’anglais et l’italien sont servis en DTS HD Master Audio 2.0. Aucune des deux pistes n’est exempte de défauts, mais elles sont toutes les deux écoutables. Ainsi, la piste italienne paraît plus puissante, bénéficiant d’une plus grande ouverture sonore, mais un peu polluée par un léger bruit métallique permanent. La piste anglaise évacue ce léger désagrément, mais paraît plus étouffée dans son rendu général, et donc moins efficace dans sa restitution de la musique, si importante dans ce genre de long-métrage. A vous de choisir où va votre préférence.