Walter Hill réactive le film noir à sa manière avec Johnny Belle Gueule, œuvre pêchue et radicale qui a malheureusement du mal à sortir de l’ornière de la série B. Mickey Rourke y est impérial.
Synopsis : Johnny Belle Gueule est un escroc à la petite semaine, défiguré à la suite d’un accident de jeunesse. Trahi par ses associés véreux, il échoue en prison. Là, un chirurgien pris de pitié remodèle son visage. Une fois dehors, il doit choisir entre la rédemption et la vengeance…
Un projet de longue haleine
Critique : Publié en 1972, le roman de John Godey intitulé The Three Worlds of Johnny Handsome a rapidement intéressé les producteurs américains qui y ont vu une opportunité de réactiver le genre du film noir. Pourtant, le long-métrage est resté plusieurs années à l’état de projet. Il fut d’abord proposé à Richard Gere, mais c’est surtout Al Pacino qui l’a développé le plus avec l’aide de son complice le réalisateur Harold Becker. Après avoir effectué de nombreuses révisions du script, le duo a fini par abandonner, préférant se concentrer sur une autre histoire – qui donnera Sea of Love, mélodie pour un meurtre (1989), également avec l’actrice Ellen Barkin.
Une fois le projet à l’eau, le studio Carolco a tenté à plusieurs reprises d’impliquer le cinéaste Walter Hill qui a pourtant refusé le job. Après plusieurs tentatives, Walter Hill, qui sortait tout juste du gros carton de Double détente (1988), finit par accepter le challenge, avec cette fois-ci Mickey Rourke dans le rôle principal. Pour Walter Hill, il s’agissait de réactiver le film noir, sous-genre qu’il avait abordé avec Driver (1978) et qui recommençait à séduire les cinéastes durant les années 80. On se souvient ainsi de La fièvre au corps (Kasdan, 1981), Le facteur sonne toujours deux fois (Rafelson, 1981), J’aurai ta peau (Heffron, 1982), Hammett (Wenders, 1982), Sang pour sang (Coen, 1984), Angel Heart (Parker, 1987), La veuve noire (Rafelson, 1987), Kill Me Again (Dahl, 1989) ou encore Hot Spot (Hopper, 1990). La liste est longue et non exhaustive, preuve qu’il ne s’agissait aucunement d’un hasard, mais bien d’une tendance de fond que certains critiques ont qualifié de néo-noire.
Un traitement assez caricatural d’un sujet sensible
Au cœur de ce corpus, Johnny Belle Gueule se distingue par la présence aux commandes d’un réalisateur davantage connu pour sa capacité à dégoupiller des scènes d’action pêchue qu’à créer des ambiances suaves et troublantes. Et de fait, si Walter Hill se révèle très à l’aise lorsqu’il nous présente son trio de braqueurs en pleine action tonitruante, il l’est beaucoup moins pour aborder des thèmes plus complexes comme celui de la réinsertion des anciens criminels.
En fait, Walter Hill manque clairement de sensibilité pour traiter son sujet sans avoir recours à la caricature et aux gros effets. Ainsi, les personnages – à l’exception de celui incarné avec sensibilité par un excellent Mickey Rourke – sont globalement unidimensionnels. Lance Henriksen et sa compagne Ellen Barkin sont d’odieux braqueurs à qui on ne trouvera guère de circonstances atténuantes. De l’autre côté de la barrière, le flic obstiné campé par Morgan Freeman entre aussi dans la catégorie des méchants par son envie de faire chuter le repenti Johnny Belle Gueule. Enfin, du côté des personnages positifs, on ne verra que de la bonté dans le regard du médecin plasticien joué par Forest Whitaker, ainsi que dans celui de la jeune Elizabeth McGovern.
Johnny Belle Gueule n’est finalement qu’une sympathique série B
Finalement, il n’y a guère que le personnage principal qui est un peu plus travaillé, traversé par le doute. Cherchant avant tout à se racheter une conduite et aspirant à une forme de normalité qui lui a été refusée par son physique disgracieux, Johnny Belle Gueule cherche également à être fidèle à son ami dont il doit venger la mort. Le long-métrage, très ramassé et compact, n’ennuie jamais, mais manque parfois de substance alors que la notion de rédemption est complexe à aborder. De même, on aurait aimé plus de subtilité sur la distinction entre le physique d’un homme et son état d’esprit. Si les thématiques sont effleurées, elles ne sont jamais traitées en tant que telles.
Réalisé avec un talent certain, notamment lors des séquences de casse et de suspense, Johnny Belle Gueule bénéficie également de la prestation de l’ensemble du casting. On apprécie aussi la musique country blues de Ry Cooder qui tisse une ambiance moite du meilleur effet. Il contribue beaucoup à l’atmosphère générale d’un film qui a certes bien du mal à décoller de son statut de petite série B. Pourtant, son budget de vingt millions de dollars était conséquent pour l’époque et on se demande parfois ce qu’est devenu cet argent, pas nécessairement visible à l’écran.
Un nouvel échec commercial pour Mickey Rourke
Sympathique, mais tout à fait dispensable, Johnny Belle Gueule a été un cruel échec commercial partout dans le monde, confirmant l’inexorable déclin de l’étoile filante Mickey Rourke. Ses films suivants (L’orchidée sauvage, Desperate Hours, Harley Davidson et l’homme aux santiags et Sables mortels) achèveront d’enterrer sa carrière, avant une métamorphose physique qui le fera peu à peu ressembler au personnage qu’il incarnait justement au début de Johnny Belle Gueule à l’aide de maquillages savants.
Sorti en France au mois de novembre 1989, Johnny Belle Gueule s’est fracassé les ailes avec seulement 334 941 amateurs de films noirs. Par la suite, le long-métrage a été édité en VHS, puis en DVD, mais il reste encore méconnu pour beaucoup. On peut pourtant saluer de nos jours sa radicalité et son absence de concessions de la part d’un cinéaste qui a tenu bon face aux pressions et termine son œuvre comme elle le devait, de manière tragique. Cette fin très noire est assurément le bon point d’un film inégal, mais finalement assez attachant.
Critique de Virgile Dumez