Rusty James est un classique intemporel qui compte parmi les plus grandes œuvres de Coppola. D’une beauté absolue.
Synopsis : Petite frappe locale, Rusty James rêve d’égaler les exploits de son grand frère, le mystérieux et charismatique Motorcycle Boy, légendaire chef de bande qui a choisi de s’éclipser. Un soir, une rixe tourne mal et Rusty James se retrouve gravement blessé. Il ne doit son salut qu’à l’intervention inattendue de son aîné…
Un échec injustifié aux USA
Critique : Deux souvenirs de Rusty James persistent. Celui d’un effroyable échec américain pour Francis Ford Coppola, dépassé par le gouffre financier de Coup de cœur et le tournage chaotique de Outsiders, que Warner ne cessait de vouloir retoquer, repoussant systématiquement la date de sortie ; et l’accueil français, enthousiaste, bienveillant, avec un franc succès au-delà du domaine de l’art et essai où l’on avait cantonné le film aux USA (un million d’entrées, tout de même !). Ces deux visions se heurtent à une réalité de terrain. L’Amérique, qui raffolait déjà des spectacles à effets spéciaux à la Amblin Entertainment, se détournait des auteurs phares des années 70, quand la France, plus ouverte à l’approche artistique des cinéastes visionnaires, repêchait quelques naufrages, dont l’acteur maudit Mickey Rourke était devenu un spécialiste : L’année du dragon de Cimino (47e annuel aux USA, 19e en France), Angel Heart, d’Alan Parker (66e annuel aux States, 20e en France !).
Le diptyque adolescent démarré avec Outsiders se boucle avec maestria
Rusty James, jumeau d’Outsiders, préparé insolemment sur le tournage de ce dernier, au grand dam des frères Warner, tourné avec une grande partie de son casting juvénile, est rejeté par Warner, puis acheté par Universal. Il connaît ensuite un four monstrueux aux USA (25M$ pour Outsiders, sorti en mars contre 2.4M$ pour Rumble Fish, titre en VO qui finit en 117e position annuelle aux USA). La critique sort ses armes et le public ne comprend pas le spectacle stylisé, en noir et blanc, que le réalisateur d’Apocalypse Now déploie. Une vision de cinéma grandiose jugée prétentieuse ou absconse. Evidemment, on n’est pas d’accord.
Le teen movie ultime
Teen movie ultime, avec un style forcément éloigné de la flamboyance technicolor d’Outsiders, Rusty James se rêve d’atteindre la sensibilité du public jeune de son temps. Avec ses combats de gangs chorégraphiés à la West Side Story et son culte à la beauté iconique de la jeunesse, proche de celui de La fureur de vivre (Matt Dillon irradie l’écran comme James Dean en son temps), le film est pourtant un pur produit de son époque. Il déploie une photographie en noir et blanc sublime, des jeux de lumière inhérents à sa décennie, évocateurs d’une production française entre Beineix, Besson, ou encore Mondino (la vision très gay de la figure récurrente du flic, que l’on croit sorti de Cruising ou d’une vidéo des Village People). Toutefois, point de gratuité de style. L’importance des couleurs, de leur absence, à quelques poissons près (les Rumble Fish, des combattants, donc, ceux du titre en VO, symboles de liberté réprimée, pour le magnifique personnage d’aliéné joué par Mickey Rourke), est déjà dans le roman de Susan Eloise Hinton (également auteure d’Outsiders), qui saluera la picturalité de l’œuvre.
Une photographie et des angles grandioses
Coppola porte une tendresse sans borne pour la famille de Rusty James, ce pur produit des bas quartiers. Il dépeint l’ado un peu lent et sans empathie dans le rapport à l’autre, systématiquement enclin à la baston, dans le culte du grand frangin, voyou poète sur sa moto, complètement idéalisé (Mickey Rourke, à la voix dévastatrice de beauté). Tous deux sont terrassés à la racine par l’absence de la mère, et l’alcoolisme du père (Dennis Hopper, grandes apparitions).
Dans des décors définis par le grand angle et des profondeurs de champ abyssales, les personnages se trouvent, se heurtent, se perdent, voire se meurent, tous immortalisés par Coppola qui donnent une démesure de studio à un sujet intimiste. Chaque plan relève de l’esquisse photographique, foudroyant de beauté, sur une musique troublante de créativité, signée par Stewart Copeland, à peine sorti du groupe The Police.
Une date des années 80 à revivre urgemment
Au final, Rusty James est gravé dans les années 80, mais sa psychologie universelle et ses références sur plusieurs décennies, en font une œuvre intemporelle, encore pertinente des décennies après sa sortie initiale, alors que Coppola lui-même n’a eu de cesse depuis, de clamer son amour pour le film, délivrant un Rusty James bis en 2009, le magnifique Tetro, l’ultime grand film de son impressionnante carrière.
Les sorties de la semaine du 15 février 1984
Biographies +
Francis Ford Coppola, Diane Lane, Mickey Rourke, Tom Waits, Laurence Fishburne, Nicolas Cage, Matt Dillon, Dennis Hopper, Vincent Spano, Diana Scarwid