Sublimé par un noir et blanc magnifique et le charme de Barbara Steele, Danse macabre est un petit classique du cinéma gothique italien, dont on adore l’ambiance et les audaces.
Synopsis : 2 novembre, le Jour des Morts. C’est la nuit où se manifestent les esprits du Château de Providence, et Lord Blackwood, propriétaire de cette demeure historique, cherche, comme chaque année, un homme courageux capable de détruire la légende. Le journaliste Alan Foster ne croit pas aux récits effrayants selon lesquels personne ne serait jamais sorti vivant du château après y avoir passé la nuit. Certain de pouvoir tirer de l’aventure un excellent article, il accepte volontiers le défi…
Un démarquage du fantastique gothique anglosaxon
Critique : Au début des années 60, le cinéma italien tente de copier les succès américains et européens du moment avec des productions qui ont parfois su rivaliser avec leurs modèles prestigieux. Dès 1960, Mario Bava a ouvert la voie du cinéma gothique italien avec son chef d’œuvre Le masque du démon (1960) qui a fait de son actrice Barbara Steele une star du genre.
Rappelons toutefois que le but initial de ce type de production était de rivaliser avec le cinéma d’horreur britannique alors en plein essor grâce au studio de la Hammer. Cela explique la présence de noms anglosaxons au générique de Danse macabre (1964) qui est réalisé par Anthony Dawson (Antonio Margheriti) et interprété par Henry Kruger (Arturo Dominici), Montgomery Gleen (Silvano Tranquilli), Raul H. Newman (Umberto Raho) ou encore Phil Karson (Giovanni Cianfriglia).
Margheriti, seul maître à bord du film
Ce générique cryptique n’a d’ailleurs pas facilité les recherches de la part des historiens du cinéma afin de savoir qui a fait quoi sur cette petite production fauchée. Ainsi, de nombreux sites et livres indiquent une participation très active de Sergio Corbucci à la réalisation du long-métrage, ce qui a été largement démenti par plusieurs entretiens avec Ruggero Deodato (alors assistant) qui a insisté sur le fait que Margheriti a tourné l’ensemble du film. Initialement prévu pour être réalisé par Corbucci, celui-ci se serait désisté à la dernière minute, proposant à Margheriti de prendre sa suite.
Blu-ray © Severin Films. © 1964 Giovanni Addessi Produzione Cinematografica – Ulysse Productions – Vulsinia Films. All Rights Reserved.
Antonio Margheriti retrouve donc un univers macabre et gothique qu’il connaît déjà pour avoir déjà tourné le très bon La vierge de Nuremberg (1963), démontrant une réelle appétence pour ce type d’univers fait de demeures hantées, de décors poussiéreux et de cryptes baignées dans la brume. Pour Danse macabre, le cinéaste dispose non seulement d’un scénario assez solide de Sergio Corbucci et Giovanni Grimaldi, mais également de décors issus d’une autre production intitulée Le religieux de Monza (Sergio Corbucci, 1963), une comédie médiévale.
Edgar Allan Poe cité, mais peu convoqué
Comme le pratiquait souvent Roger Corman aux Etats-Unis, l’argument est censé être tiré d’une nouvelle d’Edgar Allan Poe, mais il s’agit une fois de plus d’un pieux mensonge. En réalité, Poe intervient bien dans le film, mais en tant que personnage et donc en tant que source d’inspiration. Il est interprété par un Silvano Tranquilli charismatique durant le prologue de ce qui va devenir un pur film de fantômes.
Alors que le point de départ de l’intrigue n’a rien de bouleversant – un journaliste trop curieux fait le pari qu’il peut survivre à une nuit passée dans un château hanté – les auteurs sont parvenus à synthétiser tout ce qui fait l’attrait du cinéma gothique italien en un seul long métrage. Tout d’abord, le film d’horreur bénéficie d’un magnifique noir et blanc contrasté élaboré par Riccardo Pallottini. Son goût évident pour les noirs profonds permet de mettre en valeur les décors superbes de ce château fantasmatique. Certes, Danse macabre n’a pas la perfection formelle de son glorieux ainé Le masque du démon, mais on s’en approche fortement.
Danse macabre, un brillant cauchemar éveillé
Ensuite, Danse macabre ose plonger le spectateur dans un monde parallèle durant la quasi-totalité de la projection, abolissant notamment les barrières du temps, de l’espace et jouant sur les incessantes interactions entre morts et vivants. Dans la même position inconfortable que le journaliste interprété avec charisme par Georges Rivière, le spectateur finit par douter de ce qu’il voit. Conçu comme un cauchemar éveillé, Danse macabre nous convie à suivre les évolutions de fantômes qui doivent revivre éternellement leur mort tragique.
On notera d’ailleurs que leur statut n’est jamais très clair puisqu’ils se comportent à la fois comme des fantômes (ils disparaissent en un clin d’œil), mais aussi des vampires (ils réclament du sang frais) et même des zombis (ils dévorent les vivants). Cette incertitude qui pourrait passer pour de la négligence vis-à-vis des grands mythes du fantastique vient au contraire fortifier le sentiment d’inconfort du spectateur.
Des séquences érotiques qui ont été longtemps écartées des copies
Mais Danse macabre ne serait pas un sommet du cinéma bis rital sans l’apport de notations érotiques très osées pour l’époque. Ainsi, la relation entre la superbe Barbara Steele et Margrete Robsahm est clairement décrite comme saphique, tombant donc sous le sceau du lesbianisme. Enfin, la sculpturale Sylvia Sorrent nous gratifie d’un plan dénudé qui dévoile sans pudeur son opulente poitrine. Autant dire que ces deux passages ont été largement commentés en Italie où le scandale a été conséquent.
Malheureusement pour les spectateurs français de l’époque, la copie française a été expurgée de ces passages pour permettre au film de recevoir une interdiction bénigne aux moins de 13 ans. Désormais, la version restaurée en HD contient bien ces deux moments qui firent l’objet de fantasme auprès des fantasticophiles des années 60.
Un film récemment restauré
D’une lenteur hypnotique qui n’exclut pas la fascination, Danse macabre est donc une œuvre majeure du cinéma gothique italien des années 60 et une preuve supplémentaire du talent d’Antonio Margheriti dès qu’il s’attaquait à un univers sombre et torturé. Rarement édité en France, le long métrage a fait l’objet d’une récente restauration, en partie financée en crowdfunding, qui a été projetée à plusieurs reprises à la Cinémathèque française fin 2023. En 2024, on attend également la sortie d’une édition HD chez Artus Films. On a vraiment hâte de découvrir ce petit classique dans les conditions qu’il mérite vraiment.
Pour être complet, on signalera au passage que le cinéaste Antonio Margheriti a lui-même réalisé un remake de son film, cette fois-ci en couleurs, sous le titre Les Fantômes de Hurlevent (1971) avec le trio Anthony Franciosa, Michèle Mercier et Klaus Kinski. Malgré un budget nettement supérieur, le résultat ne semble pas avoir convaincu les cinéphiles.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 21 avril 1965
Voir le film en VOD
© 1964 Giovanni Addessi Produzione Cinematografica – Ulysse Productions – Vulsinia Films / Affiche : C. Belinsky. Tous droits réservés.
Biographies +
Antonio Margheriti (Anthony M. Dawson), Salvo Randone, Silvano Tranquilli, Barbara Steele, Georges Rivière, Giovanni Cianfriglia, Arturo Dominici, Umberto Raho, Margrete Robsahm
Mots clés
Cinéma gothique, Les maisons hantées au cinéma, Les fantômes au cinéma, Les Films Marbeuf