Classique film de vengeance, Colère noire est un poliziottesco recommandable, même s’il est parfois maladroit dans sa dénonciation politique. A prendre comme un bon divertissement populaire du samedi soir.
Synopsis : Deux enfants sont enlevés à la sortie de l’école. L’un est fils d’un riche promoteur, l’autre celui d’un simple garagiste. Après une demande de rançon de 10 milliards, les kidnappeurs exécutent le fils du garagiste. La vengeance du père sera terrible…
Pour un poliziottesco de plus…
Critique : En 1972, le scénariste et réalisateur italien Fernando Di Leo trouve enfin sa voie dans le genre à la mode du poliziottesco. Ainsi, il connaît un important succès avec ce que l’on nommera par la suite La trilogie du Milieu composée de Milan calibre 9 (1972), Passeport pour deux tueurs (1972) et Le boss (1973). Poursuivant sur sa lancée, le réalisateur va encore plus loin dans la dénonciation d’un pouvoir corrompu avec Salut les pourris (1974) où il fait la rencontre de l’acteur français Luc Merenda. Ce thriller lui vaut même des problèmes avec la censure et Di Leo est contraint de soustraire une scène montrant des membres du gouvernement recevoir des pots de vin de la part de mafieux.
Fernando Di Leo saisit alors une proposition de la part du producteur Galliano Juso qui entend surfer sur la vague de kidnappings qui sévit alors en Italie pour créer une histoire de vengeance (ou vigilante movie) comme savent si bien les faire les Américains depuis L’inspecteur Harry (Don Siegel, 1971) avec Clint Eastwood et Un justicier dans la ville (Michael Winner, 1974) avec Charles Bronson. Doté d’un budget assez serré, Fernando Di Leo ne peut disposer d’une grande star pour mener son projet et doit se rabattre sur Luc Merenda qui est toutefois très populaire en Italie grâce à plusieurs succès dans le genre du poliziottesco.
Une première demi-heure maladroite
Cerise sur le gâteau, Galliano Juso lui offre la possibilité de faire jouer James Mason qui était à cette époque en recherche de rôles en Italie, pour d’obscures raisons fiscales. Cela se révèlera être une fausse bonne idée, puisque l’acteur ne fait guère d’effort pour incarner son personnage d’homme d’affaires implacable, d’autant que l’alchimie avec Luc Merenda ne fonctionne pas à l’écran. Il faut dire que l’acteur français est plutôt limité dans son jeu et les passages plus mélodramatiques ne sont pas à son avantage. Il est nettement plus convaincant dès que sa moto est de sortie et qu’il doit effectuer lui-même ses cascades. Luc Merenda est avant tout un acteur physique qui déploie son talent lors des moments plus costauds.
Or, dans Colère noire, Fernando Di Leo prend son temps avant d’en arriver aux scènes d’action qu’il maîtrise parfaitement. Ainsi, le cinéaste appuie sans doute un peu trop lourdement – mais la finesse n’est pas son apanage – sur le fossé social qui sépare le modeste garagiste (Luc Merenda) du grand capitaine d’industrie (James Mason) pourtant unis dans un drame commun : leurs enfants ont été enlevés par des truands contre rançon. Une pratique effectivement très courante au cours des années 70 et que Fernando Di Leo aborde frontalement.
Les années de plomb… dans la tête
Il insiste durant une première demi-heure qui tourne un peu en rond sur l’inefficacité de la police italienne, et ceci même si le personnage du commissaire joué par le comique Vittorio Caprioli demeure en tout point sympathique. Di Leo ne s’en prend pas tant aux fonctionnaires de police qu’à un capitalisme sauvage qui pousse l’homme d’affaires à négocier avec les ravisseurs, même si la vie de son gosse est en jeu. Di Leo n’est pas loin de suggérer que le véritable criminel se tient confortablement installé dans son bureau, avec ses secrétaires et ses avocats.
Toujours prêt pour pousser les curseurs le plus loin possible, Fernando Di Leo bouscule le spectateur au bout des trente premières minutes avec une séquence dure et mélodramatique qui ne peut que bouleverser. Dès lors, le personnage de Luc Merenda prend les choses en main et décide de mettre en œuvre une implacable vengeance contre les instigateurs du rapt. Ce sont ces nombreuses séquences d’action qui font tout le sel de Colère noire. On en oublie alors la pauvreté du jeu de Luc Merenda qui arbore désormais un visage impassible, mais déterminé. Il est surtout impeccable dans les scènes de poursuite à moto où il est de tous les plans puisqu’il était lui-même un motard aguerri depuis son adolescence. Si le scénario répond à une mécanique primaire, le spectateur amateur de bis trouvera la quête de vengeance du héros parfaitement compréhensible et même cathartique.
Un ensemble inégal, mais réellement efficace
Réalisé avec un réel sens du découpage de l’action, Colère noire bénéficie également d’une bonne musique de Luis Bacalov, quelque part entre pop rock kitsch et pulsions jazzy. L’ensemble se dote donc d’une réelle efficacité, et ceci malgré la prévisibilité de l’intrigue et l’interprétation plutôt chancelante des comédiens. Le réalisateur dégoupille une fois de plus un divertissement populaire dans le bon sens du terme.
Pourtant, celui-ci ne semble pas avoir été pleinement satisfait du résultat final, notamment à cause du jeu peu convaincant des acteurs comme il le déclare dans un entretien donné à Claude Ledû en 1988 et retranscrit dans le Mad Movies hors-série n°5 consacré au cinéma populaire italien (2003) :
Il ne me manquait pas grand-chose pour arriver à faire un grand film, mais je crois que le problème a résidé dans l’interprétation. D’abord parce que Luc Merenda, malgré son application et son enthousiasme, n’était pas au niveau du rôle. Il m’aurait fallu Franco Nero. C’était mon idée de départ mais le film devait se faire encore une fois très vite et j’ai dû reprendre Merenda. […] James Mason représente tant de choses. Quelle erreur ! Je m’en suis rendu compte dès le départ, dans les premières scènes entre Merenda et Mason […] Le cinéma, c’est une alchimie mystérieuse. Il y a certaines formules qui ne fonctionnent pas. C’était le cas. Je crois d’ailleurs que James Mason s’en est aperçu très vite. […] Il savait que je savais qu’il n’avait rien à faire là.
Une rareté exploitée d’abord en VHS en France
Malgré de réelles qualités, le thriller d’action n’a pas abordé le territoire français, sauf peut-être dans quelques villes du Sud-Est selon le site Encyclociné. On peut en tout cas considérer le long-métrage comme un inédit uniquement exploité en VHS en France sous le titre Dirty Deal (Colère noire) chez l’éditeur Jet Vidéo. Exhumé en 2023 par l’éditeur Elephant Films, Colère noire est enfin disponible dans une copie restaurée de bonne tenue malgré quelques plans plus abîmés que d’autres. L’occasion unique de découvrir une rareté qui nous rappelle le savoir-faire des professionnels italiens durant les années 70-80.
Critique de Virgile Dumez
Acheter le film en DVD / blu-ray
Le poliziottesco sur CinéDweller
Biographies +
Fernando Di Leo, Valentina Cortese, James Mason, Marino Masé, Renato Baldini, Luc Merenda, Irina Maleeva, Vittorio Caprioli