Beau is afraid est une oeuvre cérébrale démente, issue de l’ingéniosité débridée d’Ari Aster. Son troisième cauchemar cinématographique après Hérédité et Midsommar, alambiqué de trois heures, fera rire jaune les spectateurs non avisés qui se perdront dans un labyrinthe de névroses où le grotesque côtoie le sublime. Un film immense, mais non sans écueil.
Synopsis : Beau tente désespérément de rejoindre sa mère.
Mais l’univers semble se liguer contre lui…
La trilogie de la famille d’Ari Aster, toujours aux confins de la folie
Critique : Ari Aster ne nous a jamais déçus. Lorsque l’on découvre sans aucun bagage médiatique Hérédité en projection de presse, le sort est scellé. Un génie vient de naître. Son cinéma fantastique dépasse toutes les terreurs du cinéma contemporain pour redéfinir une vision de l’angoisse qui fait sienne. Il pousse la maestria encore plus loin avec Midsommar, de nouveau découvert en projection de presse, sans aucun écho pour se préparer au choc émotionnel. Les deux films A24, distribués par Metropolitan FilmExport, ne seront nullement récompensés aux Oscars où le talent de créateur n’est pas un critère à prendre en compte. Pas grave. Ari Aster a le génie d’un Kubrick, la passion d’un Spielberg. Son cinéma de visionnaire passera au-dessus de la bienséance académique.
Une comédie existentielle qui se veut épique, doublée d’un cauchemar terrifiant
Avec Beau is Afraid, le cinéaste nous a fait peur à l’annonce du projet. Il affirme vouloir s’éloigner de l’horreur – genre qu’il adore -, de ses deux premiers objets de cauchemar pour investir la comédie. En fait, il définit même son incursion dans ce cinéma comme une comédie existentielle où Woody Allen rencontrerait Le Seigneur des anneaux, dans un périple long de trois heures. Sur le papier, ce n’est pas forcément accrocheur, mais placardé sur un écran très large – là où il faut découvrir l’électron libre -, l’expérience est totale et conforte nos attentes. La comédie sombre vendue par le cinéaste et l’équipe de marketing d’A24 n’est pas. Il y a bien quelques moments cocasses, des révélations farfelues que d’aucuns qualifieront sans mal de grotesques, et qui donc sidèrent, mais de la comédie, on en voit peu pendant une cette longue traversée de la psyché mouvementée d’un angoissé de l’existence.
Beau is Afraid, un film orgueil et de génie
Beau is Afraid, c’est la version réussie de Southland Tales et Under the Silver Lake, deux oeuvres vaines et prétentieuses, sans queue ni tête, que le public avait maudites. Pis, leurs auteurs avaient été fustigés, ce qui ébranla les carrières prometteuses qui leur avaient été promises. Richard Kelly avait enthousiasmé la sphère indépendante avec son Donnie Darko avant de se perdre avec Southland Tales. David Robert Mitchell avait fasciné les foules par son horreur sociale et spectrale, avec le mélancolique It Follows. Sa chute fut immédiatement actée après la mauvaise réception d’Under the Silver Lake, pensum métaphysique qui jouait du chapeau en se regardant le nombril.
A priori, en réalisant un fantasme de cinéma qui lui trottait dans l’inconscient depuis plus de dix ans, Ari Aster imite l’orgueil des deux déjantés de la pellicule. L’œuvre absconse qui lui sert de troisième long est délirante dans sa narration alambiquée où l’on change d’identité ou d’âge. L’esprit frappeur de David Lynch n’est jamais loin. La frénésie des tableaux de l’absurde où les repères spatiaux temporels s’entrechoquent, jusqu’à de vertigineuses mises en abîmes où se distingue une longue séquence d’animation, rend impossible la bienveillance d’un public large, venu voir au mieux une comédie, ou au pire un film d’horreur.
Comme Southland Tales et Under the Silver Lake, Aster semble avoir été frappé du même syndrome du génie replié dans son intellect qui méprise la cinéphilie des multiplexes pour ne vouloir parler qu’aux aficionados d’OFNI insaisissables, comme on peut en voir beaucoup en festival. Néanmoins, le talent d’Ari Aster dépasse celui de Richard Kelly et de David Robert Mitchell. Aster est un désaxé de l’image, capable de dilater ou de contracter le temps pour accoucher de ce que l’on pourrait qualifier d’authentique cauchemar, ce qui vient évidemment adouber sa narration déconnectée.
Tuer la mère et vivre ? Récit d’une thérapie de trois heures
Pour être plus précis, Beau is Afraid est une longue séance d’analyse à but thérapeutique qui va se prolonger au-delà du cabinet de l’étrange psychologue que consulte Beau. Celui-ci est, dans un premier temps, un adulte vieillissant, vieux garçon parano qui rechigne à retrouver sa mère abusive. Il est joué avec dextérité par Joaquin Phoenix dans une fragilité psychologique déconcertante. Protagoniste déséquilibré, effrayé de la vie et du monde urbain dystopique, obsédé par la paranoïa ambiante d’une société anxiogène minée par le crime, Beau incarne l’angoisse, la peur de l’autre, la névrose d’être. Il est intrinsèquement inadapté au monde. L’obligation familiale consistant à aller rejoindre sa mère pour quelques jours va se transformer en véritable périple épique et précipiter la mort de celle-ci. Désormais, il est sommé d’aller aux funérailles de cette maman esseulée, abandonnée par son fiston.
Est-ce que Beau a essayé de tuer la mère pour renaître enfin dans un monde qu’il n’a jamais pu embrasser ? En tout cas, pendant ces trois heures de parcours vers l’infiniment sombre où il sera question d’hérédité et d’occulte à travers le personnage de sorcière et de tyran qu’incarne la matriarche, l’exercice de reconstruction de Beau relève de l’impossible, tant il va être déboulonné. On saluera la prestation exceptionnelle de Patti LuPone, la première Evita Peron de Broadway, en mère castratrice qui privera son fils de toute vie sexuelle (les testicules monstrueux du protagoniste sont là pour le signifier). L’actrice, telle une diva camp est éblouissante dans ses dialogues vachards qu’elle débite avec un talent théâtral qui dépasse largement la force de ses mythiques cordes vocales.
Des cauchemars mis en abîme qui sondent la dépression
Beau is Afraid joue de la souffrance de l’enfant abusé, investit les plaies béantes générées par la famille destructrice, détricote le complexe œdipien pour faire de l’antre du psychologue, un cabinet des curiosités où la fonction même du lieu est déviée : le patient, inlassablement dépressif, est jugé avec férocité par la puissance du collectif qui relève de la catharsis et du divin. La République doit laver ses péchés.
Et après trois heures de désordre mental, d’hallucinations collectives et de divagations psychiatriques, le public est laissé seul face à ses sentiments contraires. L’on trouve du génie dans chaque instant du récit méphistophélique d’Ari Aster tout comme l’on se sent frustrés d’avoir assisté à un non-film où le spectateur finit par être l’aliéné quand il prend conscience que les enjeux narratifs hors des symboles relèvent de l’abstraction et du néant.
Dans cette oeuvre insensée, tout est malaise et rétribution. Techniquement, artistiquement et émotionnellement, c’est tout simplement immense. Beau is Afraid n’est pas consensuel et pour cela, il survivra à sa seule sortie en salle.
Les sorties de la semaine du 26 avril 2023
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