Donnie Darko, film légendaire de toute une génération, probablement l’un des meilleurs teen movies jamais réalisé, est une oeuvre visionnaire fascinante de mystère, à découvrir la première fois dans sa version cinéma et non dans le director’s cut qui gâche bien des plaisirs.
Donnie Darko, le joyau sombre des années 2000
Synopsis : Middlesex, Iowa, 1988. Donnie Darko est un adolescent de seize ans pas comme les autres. Introverti et émotionnellement perturbé, il entretient une amitié avec un certain Frank, un lapin géant que lui seul peut voir et entendre. Une nuit où Donnie est réveillé par la voix de son ami imaginaire qui lui intime de le suivre, il réchappe miraculeusement à un accident qui aurait pu lui être fatal. Au même moment, Frank lui annonce que la fin du monde est proche. Dès lors, Donnie va obéir à la voix et provoquer une série d’événements qui sèmeront le trouble au sein de la communauté…
Donnie Darko est une oeuvre générationnelle
Critique : Ecrire sur Donnie Darko en 2019, à l’occasion de sa ressortie tardive en France, relève du lieu commun. Dès sa sortie, beaucoup ont écrit sur cette première oeuvre formidable, qui sortait d’un an de buzz depuis sa présentation à Sundance, en 2001. Cette oeuvre à tiroirs, à la construction alambiquée, digne successeur des noirceurs lynchiennes, donnaient lieu à de nombreuses interprétations chez les cinéphiles transis de fascination face à ce bijou éclatant qui n’avait trouvé son public ni aux USA ni en France, malgré la présence de Drew Barrymore, qui sortait du blockbuster déconneur Charlie’s Angels, l’écho positif de la presse et, chez nous, un joli prix à Gérardmer. Imaginez, en France, une fin de carrière à 70 000 entrées. Oui, c’était ça Donnie Darko, en 2002. Quelques miettes une semaine où il affrontait From Hell avec Johnny Depp, et surtout Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre…
Jake Gyllenhaal, une révélation instantanée
Le film qui révéla la bouille alors joufflue de Jake Gyllenhaal -même de 20 balais qui s’amuse d’ailleurs à des joutes verbales savoureuses de grossièreté avec sa vraie sœur dans le film -, est l’oeuvre d’une génération, celle d’un public qui allait se précipiter dans la trentaine durant cette décade, avec une peinture des années 80 comme aucun autre cinéaste n’y parviendra jamais par la suite, J.J. Abrams et les roublards frangins Duffer de Stranger things inclus.
Darko que l’on a choyé après l’avoir dévoré plusieurs fois en salle pour mieux sonder ses mystères et jouir (osons le mot) de sa B.O. légendaire, puis en DVD, en blu-ray, et enfin dans le collector 4K et 4 disques de l’éditeur Arrow vidéo (master très décevant, au passage), en 2016, ressort en cet été 2019 en France, grâce à la persévérance du distributeur Carlotta qui a pu récupérer les droits français, et a fait un magnifique travail de marketing pour permettre à l’oeuvre de toucher une nouvelle génération de spectateurs. Les jeunes cinéphiles, gavés aux adaptations de comics, en ont bien besoin. Il faut se décrasser les yeux face à une vraie psychologie d’ado perturbé qui se lance dans une course contre la montre pour sortir du chaos de son âge. Le personnage d’ado schizo, joué par Gyllenhaal (au passage déjà monumental), a d’ailleurs beaucoup de points communs avec le socle d’ados héroïques du genre américain, même s’il avoue n’avoir jamais été très friand de ce type de lectures dans sa jeunesse.
Le big-bang apocalyptique de l’adolescence
Film d’une infinie solitude sur l’adolescence vouée à s’achever par un big-bang apocalyptique, se vit comme une expérience personnelle, poussant le spectateur dans ses retranchements sensoriels et psychologiques. Avec sa mise en scène ouatée, sa photographie pointilleuse d’un cauchemar éveillé, et sa musique iconique exploitée de façon exponentielle (les tubes de Tears For Fears, Echo and the Bunnymen…), l’univers sombre de Donnie, qui est un peu “wacko” (traduire en français par “dingo”), est une initiation à l’âge adulte qui se fait dans le trouble, celui de la maladie, de l’incompréhension du monde extérieur qui semble échapper à toute rationalité, à la difficulté de se détacher des placebos de l’enfance (le bunny imaginaire, double de Donnie, déguisé en lapin maléfique -> gueule culte, recherché chaque année par votre serviteur pour Halloween!).
Satire sociale et séquences hallucinantes
Dans un contexte politique Reaganien et de Busherie volume 1 (on parle ici de feu père Bush), l’adolescence sexuée, frustrée, débordant de références pop qu’elle ingurgite avec fougue et dérision (voir le discours sur la sexualité des Schtroumpfs débité par Donnie) est au vitriole, celle d’une époque. Richard Kelly délivre la satire sociale d’une Amérique contrastée et fardée, avec la peinture d’intégristes religieux qui essaient de s’approprier l’école ou celle d’un charlatan évangéliste par devant, pédophile par derrière (l’affreux personnage joué par Patrick Swayze, dont il s’agissait de l’ultime bon rôle, huit ans avant sa mort prématurée).
Dans un monde qui ne tourne plus très rond aux yeux désabusés de Donnie, le fantastique-psychologique, la science-fiction physique, et la poésie picturale, mélangée à la terrifiante musique de Michael Andrews (osons le dire, l’un des meilleurs score de la décade 00’s), convoquent l’étrange de séquences hallucinantes (le réacteur d’avion qui tombe dans le salon de la famille si standard des Darko, la projection d’Evil Dead dans une salle de cinéma qui ouvre un portail temporel).
Avec Donnie, somnambule qui nous ouvre les yeux sur un monde de ténèbres, ses ténèbres, on lévite, happé par l’excellence artistique totale d’une œuvre qui transcende ce que le cinéma américain indépendant a pu proposer dans dans les années 2000. En fan de Stephen King et Stanley Kubrick, Richard Kelly, le plus authentique des artistes, qui se prendra quand même bien la tête sur son autre thèse apocalyptique complètement dérangée, Southland tales (un flop), avant de devenir infréquentable pour Hollywood (l’échec de The Box qui l’a précipité dans la catégorie des auteurs maudits), a réalisé un authentique chef d’oeuvre (et l’expression n’est pas galvaudée), qui ne sera même pas entachée par la sortie ridicule d’un spinoff, Donnie Darko 2, l’héritage du sang, en 2009.
Attention, pour les curieux qui souhaiteraient voir le Director’s cut, il est important de savoir que les auteurs n’ont pas toujours raison et que le montage plus mollasson et le choix de chansons moins charismatiques, gâchera un peu le plaisir. Donc, quitte à s’envoyer en l’air pour sa première fois, foncez sur la version salle, la seule 100% approuvée par CinéDweller.
Critique : Frédéric Mignard