Under the Silver Lake, troisième long métrage de David Robert Mitchell, confirme la singularité d’un auteur en marge du système hollywoodien, mais n’échappe pas toujours à l’exercice de style.
Synopsis : À Los Angeles, Sam, trente-trois ans, sans emploi, rêve de célébrité. Lorsque Sarah, une jeune et énigmatique voisine, se volatilise brusquement, il se lance à sa recherche et entreprend alors une enquête obsessionnelle surréaliste à travers la ville. Elle le fera plonger jusque dans les profondeurs les plus ténébreuses de la Cité des Anges, où il devra élucider disparitions et meurtres mystérieux sur fond de scandales et conspirations…
Enquête à Los Angeles
Critique : David Robert Mitchell avait été révélé à la Semaine de la Critique avec ses deux premiers longs métrages, The Myth of the American Sleepover (2010) ; et surtout le troublant It Follows (2014), trip fantastique qui renouvelait le genre et témoignait d’un beau travail visuel. Disposant d’un budget plus confortable, le réalisateur signe ici un film dans une veine plus radicale, convoquant les mythes de l’histoire de Hollywood et imprégnant le récit d’un onirisme envoûtant, le tout en croisant les codes du polar, de la comédie loufoque et du film d’horreur. Les références du cinéaste sont explicites, dès que le spectateur surprend Sam matant ses voisines avec des jumelles à l’instar de James Stewart dans Fenêtre sur cour, puis se livrant à une filature contemplative comme ce même acteur dans Vertigo. David Robert Mitchell connaît donc son petit Hitchcock illustré et n’hésite pas à remonter plus loin dans ses souvenirs de cinéphile, allant jusqu’à évoquer et montrer Janet Gaynor dans L’Heure suprême, grandiose mélo muet de Frank Borzage, tout en se moulant dans les conventions d’un cinéma tant d’auteur que de quartier : on songe ici au Gregg Araki de Nowhere pour le délire paranoïaque ou celui de Kaboom pour le filmage d’une sexualité extrême.
Mais c’est surtout à David Lynch que l’on pensera, pas seulement pour le dynamitage des genres et l’ambiance surréaliste, mais aussi et surtout pour le scénario, mise en abîme de l’usine à rêves hollywoodienne, dix-sept ans après le sublime Mulholland Drive. Ces références n’écrasent pas le cinéaste, qui réalise un délire audacieux, presque aussi incompréhensible que Le Grand sommeil de Howard Hawks ou Meurtre dans un jardin anglais de Peter Greenaway. Et les situations insolites et personnages excentriques donnent à l’œuvre une tournure étrange, tant on se demande si ce que découvre le protagoniste relève de son imagination torturée ou révèle un véritable complot mené par des forces obscures mais puissantes de la planète Hollywood.
Under the Silver Lake, la confirmation d’un auteur singulier
Dès lors, vont défiler sous nos yeux des tueurs de chiens, des loups-garous au visage de vamps, des starlettes travaillant pour une société d’escorts, un vieux compositeur sarcastique ayant écrit tous les tubes musicaux des cinquante dernières années, ou un gourou de secte enrôlant de bien jolies et perverses créatures… Le tout dans une narration en forme de puzzle qui a le mérite de sortir des sentiers battus. Pour le cinéaste, son film « traite du sens caché que recèlent les choses qui nous sont chères – les films, la musique et les magazines qui façonnent notre culture. La pop culture est désormais la seule culture : un lac dans lequel nous baignons tous. Mais certaines choses se passent à notre insu, sous la surface de l’eau ». Le charme opéré par Under the Silver Lake doit beaucoup aux collaborateurs artistiques et techniques, dont Mike Gioulakis à la photo, aussi sophistiquée que celle qu’il élabora dans Split de M. Night Shyamalan.
Pourquoi le film n’entraîne-t-il pas alors une adhésion totale ? Sans doute avons-nous le sentiment d’assister à un bel exercice de style intelligent et soigné, mais d’une longueur excessive, un peu vain et qui cherche trop à épater le cinéphile. L’interprétation est par ailleurs inégale. Si Topher Grace est étonnant, Andrew Garfield se montre plus limité que prévu, lui qui voulait explorer un autre cinéma après avoir été évincé de la franchise Spider-Man. Le sympathique comédien peine à porter le film sur ses épaules, quand le choix d’un Robert Pattinson ou d’un Ezra Miller aurait été plus judicieux. Et la très belle Riley Keough manque particulièrement de tempérament dramatique. Malgré ces réserves, Under the Silver Lake demeure un bel objet du cinéma indépendant américain. Sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes 2018, le film y reçut un accueil contrasté. Le long métrage connaîtra une exploitation commerciale en demi-teinte, attirant certes 206 714 spectateurs en France ; mais à l’étranger, ce fut un désastre.
Critique de Gérard Crespo