Quand les traumas paranoïaques de Polanski épousent l’habilité de la nouvelle garde du cinéma surnaturel, le résultat est épatant d’effroi et de maîtrise. Hérédité relève d’un cinéma monstrueux et déviant, de ceux qui font date. Terreur psychologique et graphique garantie.
Synopsis : Lorsque Ellen, matriarche de la famille Graham, décède, sa famille découvre des secrets de plus en plus terrifiants sur sa lignée. Une hérédité sinistre à laquelle il semble impossible d’échapper.
Critique : Vendu en France avec un buzz épatant, Hérédité est, en son temps, le plus gros succès de la boîte de production et de distribution A24 (It comes at night, The Witch). Véritable révélation de Sundance 2018, le film porte en lui, à sa sortie, l’espoir du renouveau horrifique ; on en attend donc forcément une claque douloureuse, une nouvelle date du cinéma de genre, celle à laquelle sa réputation sulfureuse nous a préparés. Banco, on y est…
Se présentant comme un effroyable drame familial où le deuil, traumatisant, s’insinue lentement, telle une dépression flegmatique qui vient à glacer les sangs, ce premier film virtuose d’Ari Aster tient beaucoup, dans son approche lente et maîtrisée au succès des grandes œuvres délicieusement absconses des années 70, où la terreur surgissait d’un quotidien morne, où la paranoïa dévastait les méninges, ébranlait la raison et clouait les spectateurs à leurs fauteuils. Aussi, la parenté avec les œuvres de Polanski comme Rosemary’s Baby ou Le Locataire, mais aussi le Possession de Zulawski, est évidente.
On retrouve le génie de ces œuvres fondatrices dans la virtuosité de la réalisation qui accompagne solidement les mécanismes de l’angoisse, avec un sens inné de l’espace, une fluidité des plans, qui donnent du sens au point de vue de la caméra, où rien ne paraît jamais gratuit, même quand l’horreur se montre explicite. L’architecture solide ne fait pas table rase du passé pour bâtir son impressionnant climat de déliquescence psychologique. Ari Aster croit autant à l’intensité de la terreur cérébrale que ses prédécesseurs : l’on citera parmi les prophètes du genre, David Lynch, Aster accouchant pour son premier long a l’écran de ce qu’il y a de plus revigorant : une œuvre libre, qui sait se défausser des formules élémentaires pour s’avancer dans une narration courageuse. La réalisation audacieuse nous invite progressivement à sombrer dans un sentiment de folie collective où notre résistance, en qualité de spectateur, est inexorablement attaquée. Tous nos a priori disparaissent quand le fantastique, tortueux et douloureusement graphique, se déploie en séquences hallucinantes, où l’on ne sait plus trop quoi croire.
L’intérêt majeur pour le spectateur réside à trouver dans les pulsions de peur et d’horreur, le plaisir malsain que le genre, quand il touche au sublime, peut procurer. L’auteur Ari Aster reconstruit le genre que l’on croyait gangrené par son rapport marchand au public adolescent ; pourtant il sait aussi utiliser les effroyables codes d’un James Wan quand il est à son meilleur, dans l’implication du surnaturel et des présences maléfiques, lors des scènes les plus ténébreuses. Mais contrairement au cinéaste de Conjuring, ce nouveau génie dans la mise en abyme des émotions dépressives, livre une œuvre complexe, d’une maturité remarquable, finalement bien plus folle qu’un Get out, sorti la même année, qui, à certains moments, se rabaissait à quelques formules éculées (la gentille copine qui se transforme en dix secondes en la plus féroce des garces).
Excellent directeur d’acteurs, Aster compose avec un casting de premier choix. Toni Collette, que l’on connaissait bien entamée dans la série United States of Tara, où elle multipliait les personnalités contraires, est ici effroyablement atteinte. Elle mériterait bien une nomination aux Oscars, pour son incarnation de Mater Dolorosa accablée, dont on suit la chute dans l’irrationnel, palier par palier. Elle délivre sa plus grande prestation dans un environnement malfaisant et sinueux, celui d’un microcosme d’épouvante, où elle s’amuse aussi à nous perdre avec elle. On l’espérait aux Oscar, mais ces derniers boudèrent le film qui ne fut même pas nominé, contrairement à Get out qui obtint de nombreuses nominations récompensant un succès au box-office plus large. Pourtant le petit budget de Hérédité, récompensé par 44M$ aux USA et une vente mondial du film pour une exploitation en salle, bénéficiait d’une réalisation à la Kubrick formidable, d’une histoire insolite où le spectateur est comblé de ne pas de jamais savoir où cette histoire tortueuse va aboutir, si ce n’est, et l’on ne trahira pas le scénario en le suggérant, à un paroxysme de folie et d’horreur dérangeante.
Avec Hérédité, Ari Aster a signé un chef-d’œuvre du genre. Il réitérera en 2019 avec son second long, Midsommar.
Le film d’épouvante de l’année 2018 brille de pleins feux en HD.
17 minutes de scènes supplémentaires sont proposées. Elles sont toutes basées sur le personnage du fils ; elles regorgent d’entretiens entre deux portes entre le père psy et son fiston dépressif. Curieusement, il n’y a pas de cohérence chronologique dans la présentation de ces coupes. L’on finira ainsi la lecture suivie des scènes coupées avec un fragment qui aurait dû ouvrir la section. L’on apprécie les 20mn de making-of en compagnie d’Ari Aster. Le jeune cinéaste surdoué révèle quelques éléments intéressants, notamment dans l’approche du personnage joué par Alex Wolff, vraiment impeccable dans le rôle de cet adolescent rongé par la culpabilité, mais aussi sur les décors, la musique… Les acteurs participent à l’élan de promotion. Toni Collette est égale à elle-même, pleine d’humour ; Gabriel Byrne, peu amoureux du genre, essaie de justifier sa présence au générique par la profondeur psychologique des personnages… Les bandes-annonces ne présentent aucun intérêt, puisqu’il n’y a pas celle du film en question, mais l’on se contente d’autres sorties de l’éditeur. Un bug ponctuel (?) nous a empêché d’accéder à la galerie d’images.
Impressionnante de précision, l’image scalpel écorche les personnages dans la restitution des peaux, éblouit par la gestion des ombres… C’est ténébreux et tellement défini que le décor de couloirs gagne en majesté et profondeur. C’est beau le cinéma d’épouvante en haute-définition.
Son : Drame intimiste, film d’apparition flippant… {Hérédité} l’emporte sous tous les plans en DTS HD Master Audio. La VOSTF garantit sursaut avec une magistrale composition sonore qui s’approprie les enceintes, y compris en arrière. L’environnement du film n’est pas très sain, et chaque enceinte est là pour le souligner, avec audace et sens certain de la transcendance. Non testé en Français 5.1 DTS HD.
Critique et test vidéo : Frédéric Mignard