Baba Yaga : la critique du film (1973)

Fantastique | 1h22min
Note de la rédaction :
5/10
5
Baba Yaga, affiche VOD

  • Réalisateur : Corrado Farina
  • Acteurs : George Eastman, Carroll Baker, Ely Galleani, Isabelle de Funès, Corrado Farina
  • Date de sortie: 20 Sep 1973
  • Nationalité : Italien, Français
  • Titre original : Baba Yaga
  • Titres alternatifs : Baba Yaga, the Devil Witch (UK) / Magia negra (Espagne) / Baba Jaga (Pologne) / Foltergarten der Sinnlichkeit 2 (Allemagne)
  • Année de production : 1973
  • Scénariste(s) : Corrado Farina, Giulio Berruti, François de Lannurien d'après la BD de Guido Crepax
  • Directeur de la photographie : Aiace Parolin
  • Compositeur : Piero Umiliani
  • Société(s) de production : 14 Luglio Cinematografica, Productions Simone Allouche, Rewind Film
  • Distributeur (1ère sortie) : Film inédit en France. La date de sortie ci-dessus est celle en Italie.
  • Distributeur (reprise) : -
  • Date de reprise : -
  • Éditeur(s) vidéo : Le Chat qui Fume (blu-ray, 2021)
  • Date de sortie vidéo : 30 novembre 2021 (blu-ray)
  • Box-office France / Paris-périphérie : -
  • Box-office nord-américain : -
  • Budget : -
  • Rentabilité : -
  • Classification : -
  • Formats : 1.85 : 1 / Couleurs / Son : Mono
  • Festivals et récompenses : -
  • Illustrateur / Création graphique : Ermanno Iaia (dessin affiche italienne) / Frédéric Domont (création graphique du blu-ray)
  • Crédits : Rewind Films
Note des spectateurs :

A cheval entre film d’auteur à la Godard et un gothique fantastique un peu vieillot, Baba Yaga ne sait pas choisir et échoue sur les deux plans. Reste une esthétique travaillée et une ambiance pas désagréable.

Synopsis :  À Milan, dans les années 1970, la photographe de mode Valentina Rosselli croise un soir dans la rue une femme belle et mystérieuse, tout de noir vêtue, répondant au nom étrange de Baba Yaga. Cette rencontre engendre chez Valentina des rêves bizarres où se mêlent luxure et sadomasochisme, puis des incidents inexplicables provoqués par son appareil photo, sur lequel Baba Yaga semble avoir jeté un sort.

Un fumetti qui se veut fidèle à la BD de Crepax

Critique : Vers le milieu des années 60, les producteurs italiens se rendent compte qu’ils possèdent un trésor à portée de main, à savoir une multitude de fumetti (bandes dessinées italiennes) qui n’attendent qu’à être transposés à l’écran. Grâce au succès européen remporté par la saga française de Fantômas (Hunebelle), on a vu fleurir des déclinaisons transalpines comme Kriminal (Lenzi, 1966), Arrriva Dorellik (Steno, 1967), Le Retour de Kriminal (Cerchio, 1968), Satanik (Vivarelli, 1968) et le très célèbre Danger : Diabolik ! (Bava, 1968). Grand amateur de BD, le réalisateur Corrado Farina estime pour sa part qu’aucun cinéaste n’est vraiment parvenu à retranscrire l’ambiance des fumetti à l’écran.

Baba Yaga, blu-ray Chat qui Fume

© 1973 Rewind Film / © 2021 Le Chat qui Fume. Conception graphique : Frédéric Domont. Tous droits réservés.

Après avoir réalisé un premier film très intellectuel intitulé Hanno cambiato faccia en 1971, il tourne un court documentaire sur le dessinateur Guido Crepax. Le créateur du personnage de Valentina, héroïne de fumetti pour adultes, se prend d’amitié pour Farina et les deux hommes envisagent donc de travailler ensemble pour transposer les aventures de la jeune femme au cinéma. Le but de Farina est de parvenir à retrouver l’originalité formelle de la bande dessinée à travers des audaces stylistiques qui s’inspirent fortement de celles de la Nouvelle Vague.

Baba Yaga ou l’absence de cohérence

Le cinéaste est parvenu à convaincre des producteurs qui y voient un moyen de se faire de l’argent à bon compte, mais n’arrive pas à imposer ses choix au niveau du casting. Après avoir envisagé Charlotte Rampling ou Ingrid Thulin pour incarner la sorcière Baba Yaga, il est contraint de prendre la charismatique Carroll Baker, qui, malgré tout son talent, ne correspond pas vraiment au rôle. Pour Valentina, Farina se retrouve avec la jeune et inexpérimentée Isabelle De Funès (nièce de Louis) qui, elle, va parvenir à s’imposer. Pour le rôle masculin principal, Farina bénéficie du talent de George Eastman dans un contre-emploi total, lui qui était plutôt habitué aux emplois de salaud dans des westerns.

Finalement, Baba Yaga est mis en boîte assez rapidement, jonglant entre des extérieurs à Milan et des intérieurs tournés aux studios De Paolis de Rome. Le métrage bénéficie d’ailleurs de décors méticuleusement agencés – notamment dans la superbe demeure gothique. Toutefois, Baba Yaga souffre indubitablement de l’hésitation permanente du cinéaste entre des aspirations auteurisantes et une volonté de créer une œuvre accessible au plus grand nombre. Finalement, le long-métrage perd de sa cohérence et échoue en quelque sorte sur les deux tableaux.

Du cinéma intellectuel de gauche

Très marqué par son engagement à gauche, Corrado Farina est assurément un passionné de cinéma qui ne peut s’empêcher de multiplier les références explicites. Ainsi, il cite directement Jean-Luc Godard comme modèle, ce qui se retrouve dans quelques séquences où il fige l’image et tente d’introduire des décalages volontaires entre le son et l’image. Certains passages font également référence de manière assez directe au Blow Up d’Antonioni, sans pour autant en exploiter toutes les finesses.

Ensuite, les différentes réflexions des personnages nous invitent à réfléchir à l’impact de la société de consommation sur nos vies. Le réalisateur parsème les plans de références à Marx, mais aussi à l’expressionnisme allemand dans un grand bain culturel séduisant mais qui va s’avérer assez stérile, car ne menant nulle part. Il livre également un autoportrait très personnel à travers le personnage de cinéaste interprété par George Eastman. Celui-ci a des aspirations artistiques très élevées, mais il est contraint de tourner des publicités pour vivre. Il s’agit exactement de la même situation que celle de Corrado Farina qui fait donc ici son autocritique en comparant son métier à de la prostitution.

A trop vouloir embrasser…

Pourtant, ces éléments disséminés durant la première demi-heure vont ensuite céder la place à une poésie plus fantastique, parfois proche de celle d’un Jean Cocteau (l’arrivée de Baba Yaga dans une voiture ancienne). Pour autant, le métrage tutoie également l’érotisme soft qui se déchaînait alors partout en Europe, avant de glisser totalement dans le fantastique gothique lors d’un dernier quart d’heure superbe sur le plan esthétique, mais expédié en termes de narration. Avec Baba Yaga, on a donc souvent le sentiment d’une œuvre protéiforme qui serait comme un patchwork de tout ce que son auteur aimerait voir à l’écran. Cela finit par sérieusement nuire à l’intégrité de l’œuvre qui se refuse à trouver son style propre en cherchant à tous les adopter.

Même la musique de Piero Umiliani semble affectée par ce syndrome bicéphale. Ainsi, le compositeur est capable de créer un thème au piano absolument superbe, puis de partir dans des élucubrations jazzy franchement peu inspirées et surtout décalées par rapport aux images. Pour ce qui est des acteurs, Isabelle De Funès et George Eastman forment un couple de héros tout à fait convaincant et complémentaire, mais Carroll Baker ne semble pas vraiment à sa place en vieille sorcière venue d’un espace souterrain dont on ne saura rien du tout (il faut lire la BD pour en savoir davantage).

Une curiosité assez ennuyeuse

Pas désagréable, Baba Yaga manque surtout de rythme et se paye même le luxe de paraître long alors qu’il ne dure que 82 minutes. On est donc moins étonné d’apprendre que le film n’a quasiment pas été montré lors de sa sortie en Italie et qu’il a ensuite échoué dans sa tentative d’exportation. On notera toutefois que le film a été proposé tardivement au public allemand sous le titre Foltergarten der Sinnlichkeit 2, et donc présenté comme une suite d’Emmanuelle et Françoise, film de Joe d’Amato sorti pourtant deux ans après Baba Yaga. Les joies de l’exploitation!

Ainsi, malgré une coproduction avec la France, Baba Yaga n’est pas sorti sur nos écrans et est resté inédit jusqu’à son exhumation par Le Chat qui Fume qui propose le métrage en blu-ray, doté d’une très belle copie et de suppléments très intéressants, comme toujours chez cet éditeur passionné. Même si le film est loin d’être une perle, il mérite le détour pour les cinéphiles curieux de découvrir des tentatives de fusion entre cinéma d’auteur exigeant et pur film d’exploitation. Une curiosité, assurément.

Critique de Virgile Dumez

Acheter le film en blu-ray sur le site de l’éditeur

Baba Yaga, jaquette blu-ray

© 1973 Rewind Film / © 2021 Le Chat qui Fume. Conception graphique : Frédéric Domont. Tous droits réservés.

Biographies +

George Eastman, Carroll Baker, Ely Galleani, Isabelle De Funès, Corrado Farina

Trailers & Vidéos

x