Réalisateur, producteur et acteur américain d’origine austro-hongroise, Otto Preminger est né en 1905 ou 1906 en fonction des sources. Selon certains, il serait né à Vienne, tandis que d’autres affirment une naissance à Wiznitz, une petite ville de l’empire austro-hongrois qui est aujourd’hui située en Ukraine.
Otto Preminger, un homme de théâtre
En tout cas, tous sont d’accord pour dire que son père fut procureur général de l’empire des Habsbourg et qu’Otto a passé son enfance à Vienne où il a découvert le théâtre. Tout en menant des études de droit, le jeune Otto joue sur les planches sous la direction de Max Reinhardt. Toutefois, dès le début des années 30, il préfère se consacrer à la mise en scène des spectacles de la troupe du maître.
Dans le même temps, il tâte de la mise en scène cinématographique avec un premier film intitulé Le Grand Amour (1931) qui ne se fait pas particulièrement remarquer. En 1935, il est invité à s’exiler aux Etats-Unis et à venir travailler sur une pièce de théâtre à New York, puis sur un film à Hollywood.
Une arrivée compliquée à Hollywood
Otto Preminger signe un contrat de courte durée avec la 20th Century-Fox. Il réalise alors Under Your Spell (1936), puis est débarqué du tournage de Nancy Steele a disparu (1937) pour être affecté à celui de Charmante famille (1937).
Cette situation ne plaît pas au cinéaste qui est déjà connu pour son caractère bien trempé. La rupture avec la 20th Century-Fox intervient lors du tournage du film d’aventures Le proscrit (1938). A la suite d’un désaccord avec le grand patron Darryl F. Zanuck, Otto Preminger est remplacé par le réalisateur Alfred L. Werker et licencié du studio.
Désormais persona non grata à Hollywood, Otto Preminger revient à la mise en scène de théâtre à Broadway où il monte de très nombreux spectacles jusqu’en 1942. Son succès dans la pièce Margin for Error, aussi bien en tant que metteur en scène qu’acteur lui permet de revenir la tête haute à Hollywood et notamment à la 20th Century-Fox qui a fait l’acquisition des droits de la pièce. Dès lors, Otto Preminger impose non seulement sa réintégration au casting, mais également à la réalisation. Ainsi, il tourne en 1943 Margin for Error qui est un succès aux States. Ainsi, Otto Preminger obtient un nouveau contrat.
Le temps béni de Laura et des films noirs
Si les cinéphiles oublieront rapidement In the Meantime, Darling (1944), comédie mineure, ils ne pourront échapper au charme de Laura (1944). Débuté par le cinéaste Rouben Mamoulian, le film noir est repris en cours de tournage par Preminger qui respecte à la lettre le script qui lui est proposé. Il s’agit en tout cas du premier chef d’œuvre du réalisateur qui rencontre là son premier triomphe commercial, avec également 1 171 448 amateurs de noirceur en France. Le long-métrage obtient aussi plusieurs nominations aux Oscars et une statuette pour sa superbe photographie en noir et blanc signée Joseph LaShelle.
Il démontre également sa capacité à reprendre le travail des autres en cours de route avec brio. Ainsi, il remplace Ernst Lubitsch au pied levé sur Scandale à la cour (1945), puis enchaîne aussitôt avec Crime passionnel (1945), un nouveau film noir remarquable. Toutefois, il est contraint d’accepter ensuite quelques commandes moins enthousiasmantes comme Quadrille d’amour (1946), puis Ambre (1947). Ce dernier se heurte à la censure qui le contraint à supprimer certains plans de son film. Le cinéaste s’exécute de mauvaise grâce.
Le réalisateur retrouve un peu plus d’indépendance avec son film suivant intitulé Femme ou maîtresse (1947) qui est porté par la grande Joan Crawford. Il reste fidèle à Ernst Lubitsch dont il termine officieusement La dame au manteau d’hermine (1948) après la mort de son ami, puis il dirige le remake de L’éventail de Lady Windermere (1949) qui était initialement une œuvre muette de Lubitsch datant de 1925).
Pourtant, ce ne sont pas ces œuvres qui retiennent vraiment l’attention, mais plutôt ses films noirs, genre dans lequel le réalisateur s’épanouit pleinement. Il y revient avec Le mystérieux docteur Korvo (1950) où il retrouve la grande Gene Tierney, puis enchaîne avec Mark Dixon, détective (1950), La Treizième lettre (1951) et surtout Un si doux visage (1952) qui est devenu un grand classique du genre. A noter que ces œuvres considérées aujourd’hui comme des classiques furent peu connus et peu diffusés en France à l’époque. Après avoir travaillé quelques jours sur Le trésor du Guatemala (1953) de Delmer Daves, Otto Preminger termine son contrat avec la Fox et décide de ne pas le renouveler.
Un réalisateur farouchement indépendant à Hollywood
En quête d’indépendance, le réalisateur choisit de devenir son propre producteur, ce qui était plutôt rare et courageux à l’époque. Il débute cette période par une comédie romantique intitulée La lune était bleue (1953) avec David Niven et William Holden. Le métrage est un beau succès et reçoit même trois nominations aux Oscars. Ce premier pas dans l’indépendance est donc un succès encourageant pour le monstre sacré, craint sur les plateaux de tournage pour son caractère bien trempé. Il s’agit également du tout premier long-métrage de Preminger à sortir sans visa d’exploitation car certains dialogues étaient considérés comme choquants à l’époque. C’est d’ailleurs ce léger parfum de scandale qui a fait la notoriété du film aux States.
Revenu momentanément à la Fox, Preminger tourne le western romantique La rivière sans retour (1954) avec Marilyn Monroe et Robert Mitchum. Il s’agit d’un des premiers films tournés en Cinémascope. Le film est un triomphe international avec par exemple 2,5 millions de spectateurs en France. Preminger renforce encore sa position de grand réalisateur avec le film musical Carmen Jones (1954) qui reçoit quelques nominations aux Oscars.
Toutefois, le tempérament indépendant de Preminger reprend le dessus et il se lance dans le sulfureux L’homme au bras d’or (1955) avec Frank Sinatra qui traite d’un sujet tabou, à savoir la drogue. Le drame indépendant est un gros succès commercial (même 599 238 camés en France), lié à son parfum de scandale et reçoit à nouveau des nominations aux Oscars, sans obtenir de statuette. Depuis, le métrage est devenu un classique du cinéma américain des années 50. Au passage, Otto Preminger demande à Saul Bass de réaliser des génériques animés originaux qui révolutionnent l’art de la présentation d’un film.
L’époque des superproductions prestigieuses
En cette même année 1955, Otto Preminger s’ouvre pour la première fois aux sujets historiques avec Condamné au silence (1955) qui met en scène Gary Cooper. Grâce à sa star, le métrage attire 1,3 millions de spectateurs en France et constitue donc une bonne affaire pour Preminger. Le cinéaste continue dans le genre du biopic historique avec le très contesté Sainte Jeanne (1957) qui est mené par l’actrice Jean Seberg. Son accueil glacial par les critiques en ont fait un cuisant échec international. Toujours avec sa nouvelle égérie Jean Seberg, Preminger s’empare du roman de Françoise Sagan Bonjour tristesse (1957) qui ne convainc que moyennement, mais qui n’en demeure pas moins un succès en France avec 1,7 million de spectateurs férus de littérature contemporaine.
Après Carmen Jones, il retrouve le film musical avec Porgy and Bess (1959) mené par Sidney Poitier. Adapté de la musique de Gershwin, ce musical laisse la France indifférente, mais connaît toutefois un destin plus valorisé aux States où il est nominé aux Oscars dans quatre catégories. C’est finalement la musique originale d’André Previn qui est récompensée. C’est la même année que Preminger tourne son seul grand classique de cette période, à savoir Autopsie d’un meurtre (1959) porté par le grand James Stewart. Le long-métrage qui suit une affaire judiciaire n’a pas été un succès commercial mémorable, mais il compense largement avec ses sept nominations aux Oscars et surtout son prix du meilleur acteur pour James Stewart au Festival de Venise. Aujourd’hui, le métrage est considéré comme un classique du patrimoine cinématographique hollywoodien.
Après avoir prouvé au monde entier quel cinéaste important il était, Preminger va retrouver le chemin du succès commercial avec sa fresque Exodus (1960) qui raconte la création de l’Etat d’Israël. Paul Newman mène le casting de cette superproduction au discours douteux, mais qui déplace les foules. 3,8 millions de spectateurs en France et plus de 21 millions de dollars amassés aux Etats-Unis, soit l’équivalent aujourd’hui de plus de 218 millions de dollars. Le film se hisse ainsi à la quatrième marche du podium de l’année 1960 aux States et à la 10ème place du box-office français de 1961.
Conforté dans sa position dominante, Otto Preminger jouit alors d’un réel pouvoir à Hollywood, alors même qu’il produit ses œuvres en indépendant. Dès lors, le cinéaste se plonge dans les rouages de la politique avec l’excellent Tempête à Washington (1962) qui n’attire personne en France par son sujet trop américain. Toujours intéressé par des sujets institutionnels, Preminger enchaîne avec le coûteux Le cardinal (1963). Si le succès est considérable en France avec 2,5 millions d’entrées, les Américains ont été moins séduits par ce long-métrage sur le catholicisme. La superproduction termine 18ème de l’année 1963 aux Etats-Unis. Cela permet à Otto Preminger d’être nominé à l’Oscar du meilleur réalisateur, parmi cinq autres nominations qui restèrent lettre morte.
Une carrière en déclin à partir du milieu des années 60
Deux ans plus tard, Otto Preminger réunit John Wayne et Kirk Douglas pour le film de guerre Première victoire (1965) qui ne casse pas la baraque. En France, son résultat est à l’image de ce qui se passe aux Etats-Unis avec seulement 930 748 entrées pour une œuvre qui paraît démodée avant même sa sortie. On préfère largement Bunny Lake a disparu (1965), le retour de Preminger au thriller noir. Ce film réalisé en Angleterre peut rétrospectivement être considéré comme le dernier grand film d’un cinéaste qui va ensuite connaître un lent déclin. Malgré la présence de Michael Caine et de Jane Fonda, Preminger ne convainc pas grand monde avec son drame Que vienne la nuit (1967).
Pour sa comédie Skidoo (1968), Preminger embauche de vieilles gloires comiques comme Groucho Marx et récolte une volée de bois vert. Le long-métrage est un cuisant échec commercial, comme en attestent ses entrées françaises au nombre de 897. Une sacrée contre-performance pour un ancien cinéaste millionnaire. Malgré la présence très tendance de Liza Minnelli, Dis-moi que tu m’aimes, Junie Moon (1970) est un nouvel échec, même si le film est présenté en compétition officielle au prestigieux Festival de Cannes. Il n’est toujours pas pris au sérieux avec Des amis comme les miens (1971) qui n’intéresse que 22 925 nostalgiques de la grandeur passée de Preminger en France.
En 1975, Preminger revient avec Rosebud qui passe totalement inaperçu, aussi bien aux Etats-Unis qu’en France. Désormais en bout de course, le réalisateur désormais âgé termine son impressionnante carrière avec La guerre des otages (1979) qu’il tourne avec un budget conséquent en Angleterre. Mais là encore, le succès n’est pas au rendez-vous, ni en Angleterre, ni aux States, ni même en France (avec seulement 35 870 égarés).
Il s’agit de la dernière incursion du réalisateur au cinéma. Il passe ses dernières années à écrire ses mémoires, alors même qu’il est atteint de la maladie d’Alzheimer. Toutefois, c’est un cancer du poumon qui l’emporte en 1986 alors qu’il avait autour de 80 ans. Il restera pour toujours l’un des grands de Hollywood, ayant sans cesse affronté la censure par l’audace des sujets qu’il a abordés.