Thriller à machination efficace, Troubles manipule avec aisance le spectateur et bénéficie d’un twist final inattendu. Une réussite qui fut pourtant un échec commercial mondial à sa sortie.
Synopsis : Dan Merrick, richissime promoteur immobilier, a été victime d’un terrible accident de voiture qui l’a laissé amnésique. Sa femme Judith, qui l’accompagnait, en est sortie indemne. Après une longue convalescence et plusieurs opérations esthétiques, il retrouve son visage mais pas la mémoire. L’amour de sa femme l’aide à revivre. Mais son passé inconnu le torture. La découverte de photos où Judith est nue avec un autre homme et sa rencontre avec un détective, Gus Klein, vont lui révéler la vérité…
Le premier film tourné aux Etats-Unis par Wolfgang Petersen
Critique : Après le triomphe international de son film de guerre Le bateau (1981) et de son œuvre de fantasy L’histoire sans fin (1984), le réalisateur allemand Wolfgang Petersen a obtenu son passeport pour Hollywood. Il y réalise notamment le film de science-fiction pacifiste Enemy (1985) pour le compte de la Twentieth Century Fox, même si le tournage s’est déroulé intégralement en Allemagne et en Espagne. Cette fois, l’échec fut total et le cinéaste a mis près de cinq ans avant de pouvoir concrétiser son projet suivant, à savoir le thriller Troubles (1991).
Cela faisait plus de dix ans que le cinéaste souhaitait adapter le roman The Plastic Nightmare de Richard Neely publié en 1969. Il se charge d’ailleurs d’en rédiger lui-même le scénario avant de faire le tour des studios pour trouver preneur. Contraint de le produire en toute indépendance, Wolfgang Petersen trouve un soutien en obtenant un accord de distribution avec la MGM. Il faut dire que le long métrage s’inscrit dans un genre décidément très populaire au début des années 90, à savoir le thriller à machination avec une bonne dose d’érotisme, le tout abordant la thématique du couple.
Troubles paie son tribut au cinéma d’Alfred Hitchcock
Le point de départ de Troubles est d’ailleurs assez classique puisqu’à la suite d’un accident de voiture spectaculaire, l’architecte Dan Merrick (Tom Berenger, parfait en mâle alpha) a perdu la mémoire. Soutenu par son épouse aimante – Greta Scacchi, plutôt à l’aise dans l’ambiguïté – l’homme retrouve rapidement ses capacités physiques, mais découvre petit à petit que l’idylle vécue avec son épouse cache en réalité une histoire bien plus complexe, voire carrément tordue. Le scénario place donc le spectateur dans la même position que le personnage principal, avec de nombreux éléments qui paraissent obscurs dans un premier temps, avant que toute la lumière ne se fasse à mesure des bobines.
© 1991 Capella International -Pathé Entertainment / Jaquette : Dreano. Tous droits réservés.
Pour cela, Wolfgang Petersen ménage parfaitement le suspense en s’inscrivant dans la droite ligne des thrillers d’Hitchcock des années 50 ou encore de ses déclinaisons plus modernes signées Brian De Palma au début des années 80. Réalisé avec soin, le métrage intercale régulièrement des séquences de poursuite en voiture ou des révélations qui viennent raviver l’attention du spectateur. Pour cela, il peut compter sur ses comédiens, et notamment sur la présence de Bob Hoskins, parfait en détective privé revenu de tout.
Un twist final inattendu qui divise
On notera également l’excellence de la première séquence d’accident, réalisée avec une véritable voiture propulsée à toute vitesse dans le vide. L’absence de maquette explique l’extraordinaire efficacité de la scène, revue ensuite à plusieurs reprises dans les flashs de mémoire du protagoniste principal. Le film entier promène donc le spectateur dans l’attente d’une révélation finale qui fait son petit effet. Il est impossible d’évoquer ce twist, mais il faut savoir que certains l’adorent pour son côté imprévisible, tandis que d’autres le critiquent en le trouvant absurde. Pour notre part, on se range plutôt du côté de ses défenseurs tout en ayant conscience de son aspect fortement improbable. En fait, tout dépend ici de votre capacité à la suspension d’incrédulité.
En fait, Troubles semble quelque peu en porte-à-faux avec le genre qu’il aborde puisque certains éléments semblent vouloir saisir l’air du temps – l’ajout de timides séquences érotiques – tandis que le style le rattache plutôt à toute une tradition du thriller à machination des années 60. C’est sans doute cet aspect plus conventionnel qui a fait du long métrage un échec commercial cinglant. Effectivement, lors de sa sortie nord-américaine, Shattered n’est pas parvenu à rembourser son budget cossu de 22 000 000 $ (soit 51 310 000 $ au cours de 2025). Avec seulement 11 511 031 $ de recettes (soit 26 850 000 $ au cours de 2025), le thriller a été une très mauvaise affaire pour la MGM.
Box-office parisien de Troubles
En France, le métrage a été proposé par MK2 Diffusion la semaine du 25 septembre 1991, alors que débarquait sur les écrans français le blockbuster sur les pompiers Backdraft (Ron Howard), mais aussi la Palme d’or Barton Fink (les frères Coen), le contemplatif Urga (Nikita Mikhalkov) ou encore Le voleur d’enfants (Christian de Chalonge) avec Marcello Mastroianni. Dans ses 25 salles à Paris et sa périphérie, Troubles ne parvient pas à s’imposer puisqu’il n’entre qu’en huitième position du box-office parisien hebdomadaire avec seulement 28 188 amateurs de thriller, tandis que le plus difficile Urga glane 32 809 cinéphiles dans seulement huit salles.
Bon nombre de continuations passent même devant le thriller censé attirer les curieux. Dès la semaine suivante, Troubles perd sept de ses salles et dégringole à la 10ème place du classement avec 19 460 retardataires. En quinze jours, le film n’a pas réussi à mobiliser 50 000 Parisiens, ce qui constitue un sacré revers. Toutefois dans un contexte de sortie morose, Troubles parvient à se maintenir à 16 914 spectateurs malgré une perte de six salles en troisième septaine. Cependant, le métrage va vite être balayé par la déferlante Terminator 2 (James Cameron) qui déboule dans les salles le 16 octobre 1991. Le petit thriller modeste en est alors à 10 989 résistants et va finir doucement sa carrière à 102 903 entrées.
Et dans le reste de la France ?
Sur la France, Troubles n’ira pas au-delà des 180 000 tickets vendus, ce qui a condamné toute sortie du long métrage en VHS dans nos contrées. Par la suite, MK2 a perdu son droit d’exploitation du film, ce qui a empêché toute sortie en DVD jusqu’en 2009 dans une édition peu prestigieuse dégoupillée par Pathé qui en a récupéré les droits. Toujours considéré comme un vilain petit canard, le film est désormais disponible sur Paramount + dans une copie allemande en version originale sous-titrée de bonne qualité. Aucun blu-ray ne semble à l’horizon pour ce polar de série pourtant de bonne tenue.
En ce qui concerne la carrière hollywoodienne de Wolfgang Petersen, elle s’est enfin révélée rentable deux ans plus tard avec le succès de son thriller suivant, le très efficace Dans la ligne de mire (1993), avec Clint Eastwood.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 25 septembre 1991
Acheter le film en DVD
Voir le film en VOD
© 1991 Capella International – Davis Entertainment – Palace Pictures / Affiche : Yeti (agence). Tous droits réservés.
Biographies +
Wolfgang Petersen, Bob Hoskins, Tom Berenger, Joanne Whalley, Greta Scacchi
Mots clés
Cinéma américain, Thriller domestique, Film noir, L’identité au cinéma, La manipulation au cinéma