Davantage un film d’auteur qu’un thriller trépidant, Stillwater bénéficie d’un scénario bien écrit, de personnages bien campés et d’une réelle complexité psychologique. Et ceci malgré une durée un peu excessive.
Synopsis : Travaillant sur des plateformes pétrolières, Bill Baker est un homme taiseux et taciturne qui a longtemps négligé sa famille. Il décide de faire le voyage de l’Oklahoma jusqu’à Marseille pour aller voir sa fille Allison, dont il n’a jamais été proche, mais qui est incarcérée pour un meurtre qu’elle affirme ne pas avoir commis. Quand Allison lui parle d’un nouvel indice susceptible de l’innocenter, Bill se retrouve confronté à la barrière de la langue et à un système judiciaire complexe qu’il ne comprend pas. Avec l’aide de Virginie, une comédienne rencontrée par hasard, il se met en tête de s’occuper lui-même de l’affaire et de prouver l’innocence de sa fille…
Un projet ancien, maintes fois retravaillé
Critique : La première version du script de Stillwater a été écrite vers 2007 par Tom McCarthy qui s’était inspiré d’un fait divers intervenu en Italie où une jeune Américaine nommée Amanda Knox a été condamnée pour le meurtre de sa colocataire. Pourtant, le scénariste n’est alors pas content du résultat et il décide de laisser le script dormir dans un tiroir. Il le ressort finalement au milieu des années 2010 et souhaite le reprendre du début avec de nouveaux partenaires pour le guider. Comme il a choisi de situer l’action à Marseille, ville qui l’a fasciné pour sa lumière et son brassage culturel, McCarthy a fait appel à deux scénaristes français, Thomas Bidegain et Noé Debré, pour écrire un scénario qui soit aussi ambitieux que possible, tout en étant crédible, à la fois pour des Américains et des Français.
Grâce au succès remporté par Spotlight en 2015, Tom McCarthy est parvenu à convaincre ses anciens producteurs de le suivre dans cette aventure, de même que la star Matt Damon qui y voit l’occasion de changer d’emploi et de tourner à l’étranger. Tout ce petit monde a donc débarqué à Marseille pour y réaliser un thriller qui est avant tout un vrai film d’auteur.
Stillwater s’inscrit dans un style réaliste propre au cinéma de Tom McCarthy
Si le pitch de départ fait craindre une énième histoire à la Taken (Morel, 2008), Stillwater évite en réalité les pièges du simple film commercial en déployant une intrigue bien plus réaliste et surtout moins rentre-dedans. Dès les premières images se situant en Oklahoma, dans l’Amérique des foreurs de puits de pétrole, le style visuel dépouillé de Tom McCarthy nous indique que nous serons bien face à un film d’auteur fidèle à la ligne artistique habituelle de l’auteur de The Visitor (2007) ou de Spotlight (2015).
On pourrait d’ailleurs reprocher au cinéaste cette absence d’ambition sur le plan visuel, mais sa volonté est clairement ailleurs, notamment dans la description attentive de ses personnages et de leur environnement. Ainsi, dès les premières scènes, Matt Damon étonne par sa capacité à incarner un membre de la classe ouvrière américaine de manière crédible. La star démocrate s’efface donc pour camper un homme au bout du rouleau qui ne vote même pas pour Trump puisqu’il faudrait pour cela se rendre aux urnes. Ancien alcoolique qui a délaissé sa famille pour la divine bouteille, le prolétaire se rend pourtant à Marseille pour voir sa fille emprisonnée pour un meurtre qu’elle n’aurait pas commis.
La rencontre de deux mondes bien différents
Tout à coup, au contact d’un pays étranger qui ne cesse de lui rappeler qu’il est américain, il commence à prendre conscience de ce qu’il a raté et tente d’aider sa fille jouée très justement par Abigail Breslin. Pour l’aider dans sa quête personnelle, Matt Damon est guidé par une femme et sa petite fille, incarnées par l’excellente Camille Cottin et la craquante Lilou Siauvaud. Alors que le personnage interprété par Matt Damon est un peu rustre, l’introduction de ces deux protagonistes féminins apporte enfin au film une touche d’humanité qui lui faisait volontairement défaut jusque-là.
Dès lors, Stillwater n’est pas tant un thriller trépidant qu’une description attentive de la ville de Marseille et des différences culturelles béantes entre l’Amérique et la France multiculturelle. La grande qualité de Tom McCarthy est de ne juger aucun de ses personnages et de laisser à chacun d’entre eux la possibilité de s’amender. Comme on le voyait déjà dans The Visitor (2007), Tom McCarthy a surtout pour ambition de rapprocher des êtres brisés par l’existence, et ceci par-delà leurs différences d’origine ou de culture.
Une sortie repoussée pour cause de crise sanitaire mondiale
Si le thriller fonctionne plutôt bien, allant même jusqu’à bousculer les traditionnelles notions de bien et de mal, ce sont finalement les relations entre les personnages qui font tout le sel de ce long-métrage attachant qui n’a en réalité qu’un seul défaut, à savoir une durée un peu trop importante. Un montage légèrement resserré aurait permis davantage d’efficacité et une montée plus rigoureuse de la tension, ce qui n’entrait pas nécessairement en contradiction avec le développement de la psychologie des différents protagonistes.
En l’état, Stillwater demeure une œuvre ambitieuse et séduisante qui confirme le talent de Tom McCarthy pour brosser le portrait de petites gens dépassés par les événements et la marche du monde. Tourné en 2019 à Marseille, Stillwater devait initialement sortir aux Etats-Unis en 2020, mais la pandémie de Covid-19 en a décidé autrement et le métrage a finalement été présenté en avant-première au Festival de Cannes 2021 qui s’est déroulé exceptionnellement début juillet cette année-là. Le thriller est sorti fin juillet aux States et n’a rapporté que 5 M$ lors de son premier week-end, ce qui en a fait une sévère déception, malgré son budget limité. Stillwater n’a généré en Amérique du Nord que 14,4 M$.
Stillwater déçoit au box-office
Après avoir été présenté au Festival de Deauville, Stillwater n’a guère performé en France où les entrées sont décevantes dès la première semaine (135 000 entrées dans 462 cinémas). Le film américain ne fait pas le poids face à Dune (2e semaine), Boîte noire (3e), BAC Nord (6e) et Shang-Chi (4e). Il entre donc en 5e position.
La deuxième semaine fait illusion (-30%, 94 000), mais le total de 229 000 spectateurs reste alors en-deçà du potentiel de ce thriller sur la citée fosséenne.
Les semaines 3 (42 298) et 4 (18 562) démontrent une impossibilité de se maintenir. Matt Damon rameute à peine 3 210 spectateurs en 6e semaine. La star américaine, aimée du public français, et une intrigue à Marseille, n’ont pas aidé le film à susciter l’envie de spectateurs rétifs face à la Covid.
Avec un total de 301 381 curieux, l’échec est important, puisqu’il s’agissait du potentiel du film sur Paris Périphérie en temps normal. C’est évidemment l’un des pires scores de Matt Damon sur les dix dernières années. Décidément, la France ne semble pas porter chance à l’acteur puisque celui-ci a également joué dans un autre échec commercial tourné chez nous, Le dernier duel de Ridley Scott.
La carrière internationale de Stillwater sera tout aussi laborieuse qu’en France, avec à peine 14M$ aux USA et des flops notoires partout dans le monde, en particulier au Royaume-Uni, en Allemagne, en Italie et en Espagne.
Critique de Virgile Dumez
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Tom McCarthy, Matt Damon, Camille Cottin, Idir Azougli, Naidra Ayadi, Anne Le Ny, Abigail Breslin, Lilou Siauvaud, Moussa Maaskri