Le dernier duel est un très grand film qui évoque des thématiques actuelles, sans jamais trahir l’esprit du temps évoqué, ici le Moyen Âge. Passionnant de bout en bout.
Synopsis : Basé sur des événements réels, le film dévoile d’anciennes hypothèses sur le dernier duel judiciaire connu en France – également nommé « Jugement de Dieu » – entre Jean de Carrouges et Jacques Le Gris, deux amis devenus au fil du temps des rivaux acharnés. Carrouges est un chevalier respecté, connu pour sa bravoure et son habileté sur le champ de bataille. Le Gris est un écuyer normand dont l’intelligence et l’éloquence font de lui l’un des nobles les plus admirés de la cour.
Lorsque Marguerite, la femme de Carrouges, est violemment agressée par Le Gris – une accusation que ce dernier récuse – elle refuse de garder le silence, n’hésitant pas à dénoncer son agresseur et à s’imposer dans un acte de bravoure et de défi qui met sa vie en danger. L’épreuve de combat qui s’ensuit – un éprouvant duel à mort – place la destinée de chacun d’eux entre les mains de Dieu.
Ridley Scott de retour au Moyen Âge
Critique : Avec Le dernier duel, l’octogénaire Ridley Scott semble vouloir boucler en beauté sa filmographie débutée en 1977 avec Les duellistes. Si le réalisateur a donné ses lettres de noblesse à la science-fiction, il a aussi montré tout au long de sa filmographie un goût pour l’Histoire. Alors que tous ses essais dans le genre n’ont pas été concluants, les médiévistes se souviennent toutefois de la belle pertinence de son Kingdom of Heaven (2005) qui évoquait avec beaucoup de justesse la période troublée des Croisades et notamment les liens chevaleresques.
Fondé sur un ouvrage écrit par Eric Jager, un universitaire américain qui a étudié pendant dix ans l’histoire de ce duel opposant Jean de Carrouges et Jacques Le Gris dans la France de Charles VI, Le dernier duel (2021) a le très grand mérite de ne pas trahir la mentalité de l’époque évoquée. Si le film est trop souvent présenté comme étant une œuvre féministe sur le problème du consentement (en gros, comment définir lorsqu’il y a viol ou non ?), surfant ainsi sur la vague #MeToo, ce point de vue est extrêmement réducteur.
Une brillante analyse d’une société patriarcale, mais pas seulement…
Certes, le long-métrage décrit bien une société moyenâgeuse patriarcale où les femmes n’ont guère de droit, mais ont par contre le devoir de poursuivre la lignée en procréant. Toutefois, il ne peut en aucun cas être limité à cet unique élément. Construit comme le chef-d’œuvre Rashomon (1950) d’Akira Kurosawa, Le dernier duel invite le spectateur à suivre trois fois la même histoire selon les points de vue des trois protagonistes. Ainsi, les deux premiers tiers du film sont constitués des avis des deux hommes impliqués – très bons Matt Damon et Adam Driver – rappelant au passage la domination masculine de la société de l’époque. Mais sans se faire porte-étendard d’une cause, Ridley Scott prend le temps de décrire le contexte historique et les us et coutumes du temps, sans jamais juger les agissements des différents personnages.
Ainsi, il rappelle le poids immense qui pèse sur les épaules des hommes de cette époque, qui ont le devoir absolu de faire honneur à leur lignée, sont appelés sans cesse au combat par leurs suzerains et doivent assurer une descendance sans avoir choisi leur conjointe. Certes brutal, le personnage incarné par Matt Damon est finalement prisonnier d’un système féodal où il entend faire briller son nom en étant pourtant un piètre soldat. Son incapacité à enfanter et donner de l’amour s’explique également par ses relations complexes avec une mère d’une froideur extrême (excellente Harriet Walter, dont on comprendra également les raisons en cours de film).
Le dernier duel décrit une société médiévale corsetée par des règles strictes et immuables
La seconde partie est davantage centrée sur le personnage d’écuyer incarné avec charisme par Adam Driver. Plus libertin, mais aussi intrigant auprès de son suzerain, l’homme place ses pions et convoite les biens de son supérieur jusqu’à vouloir posséder sa femme. Si ce personnage est sans doute le plus sombre, il est également victime de sa position inférieure dans une société féodale entièrement bâtie sur la notion de hiérarchie.
Enfin, la troisième partie nous invite à connaître le point de vue de la femme violée jouée avec retenue par Jodie Comer. Ce segment nous amènera à découvrir la vérité, mais indique aussi à quel point la femme n’était qu’une monnaie d’échange, une possession de plus permettant d’obtenir des portions de fiefs supplémentaires. La femme d’alors n’est donc que la fille de son père, puis la femme de son mari et enfin la mère de ses enfants. A aucun moment elle ne peut se réaliser elle-même, ce qui est parfaitement montré, sans en faire pour autant un manifeste féministe adressé à notre époque, mais en respectant l’Histoire. De même, les auteurs démontrent avec force l’absence totale de solidarité féminine, là où les hommes ont développé un système de domination parfaitement huilé et fondé sur la religion.
Le métrage rappelle au passage les dangers de l’obscurantisme religieux
Réalisé avec un talent toujours intact, Le dernier duel se termine donc par le fameux affrontement qui permettra de rendre une justice divine. L’extrême violence du combat – qui justifie l’interdiction du film aux moins de douze ans – établit là encore une égalité entre les deux antagonistes, tous deux prisonniers d’un système féodal impitoyable. Au passage, Ridley Scott règle une fois de plus ses comptes avec l’Église et l’obscurantisme religieux, comme dans ses réalisations antérieures.
Passionnant de bout en bout, réalisé de main de maître par un cinéaste encore capable de fulgurances, Le dernier duel est certes une œuvre féministe, mais c’est avant tout un excellent film d’Histoire qui démontre l’absurdité des règles que les sociétés humaines se sont toujours imposées à elles-mêmes, et ceci par-delà le temps.
Initialement prévu pour une sortie en décembre 2020 aux États-Unis et en janvier 2021 en France, le long-métrage a été repoussé à cause de la pandémie mondiale de la Covid-19. Finalement, Le dernier duel est arrivé sur nos écrans au mois d’octobre 2021.
Critique de Virgile Dumez