Peggy Sue s’est mariée est une comédie fantastique fantaisiste. Peut-être l’œuvre la plus accessible de Coppola, qui inspirera Camille Redouble de Noémie Lvovsky. Kathleen Turner est l’une des raisons de redécouvrir cette prom comedy joliment désuète, mais savoureusement féministe.
Synopsis : La quarantaine passée, Peggy Sue vient de se séparer de Charlie, son grand amour de jeunesse. Un soir, elle se rend à la fête des anciens du lycée Buchanan, classe 1960 : Peggy Sue retrouve tous ses camarades d’alors et se fait élire reine de la soirée. Mais lorsqu’elle découvre Charlie dans l’assemblée, la voilà qui s’évanouit… pour se réveiller vingt-cinq ans plus tôt, à l’infirmerie du lycée !
Pourquoi Peggy Sue s’est mariée n’a pas fonctionné en France ?
Critique : Les Français n’ont pas fait de Peggy s’est mariée le succès qu’il méritait. Alors que Coppola revenait de gros échecs aux USA, notamment ceux de Rusty James et Cotton Club, l’Amérique accueille généreusement la comédie nostalgique et rétro du réalisateur d’Apocalypse Now. Les Français, eux, avaient fait de Outsiders, Rusty James et Cotton Club de vrais succès de box-office. Alors pourquoi cette indifférence vis-à-vis de Peggy Sue? Kathleen Turner ne venait-elle pas de sortir des triomphes de A la poursuite du diamant vert et de son sequel, Le diamant du Nil ?
Plusieurs raisons à cela. La crise du cinéma, en janvier 1987, allait couler toutes les sorties du mois, à l’exception de Nola Darling n’en fait qu’à sa tête (la révélation Spike Lee), La messe est finie (la révélation Nanni Moretti), Blue Velvet et La mouche, les deux vainqueurs d’Avoriaz 87 et surtout deux des étrangetés les plus formidables de David Lynch et David Cronenberg.
Un prom movie moins mature que les précédents jalons de Coppola
Le reste de l’actualité était au mieux terne, au pire désastreux. Peggy Sue s’est mariée rentre dans la catégorie des carrières ternes, avec 423 549 entrées, loin du million obtenu par les trois derniers films du cinéaste. La romance fifties était pourtant commerciale, certainement trop pour un public plus mature, sûrement étudiant et cinéphile, peu enclin aux prom movies et aux postulats fantastiques à une époque où ce public s’orientait désormais vers Wenders ou Jarmusch.
© 1986 TriStar Pictures, Inc. Tous droits réservés
Le phénomène des bals de fin d’année, à l’exception du Carrie de Brian De Palma, relevait surtout de l’institution américaine et les Français les associaient à des comédies légères pour ados. Or, même si les ZAZ et quelques comédies comme Police Academy pouvaient annuellement triompher, le public français préférait de loin le made in France en matière d’humour (la bande du Splendid était au sommet de sa popularité).
Remonter le temps de sa propre histoire : un fantasme universel récupéré par les cinémas français et américain
Revoir Peggy Sue s’est mariée, plus de trente ans après, revient à immédiatement relever le niveau du spectacle, maintenant que tous les préjugés de l’époque se sont dissipés. Peggy Sue s’est mariée a même connu des remakes indirects en France avec Camille redouble de Noémie Lvovsky et Bis de Dominique Farrugia en 2015, démontrant la porosité de notre production face à l’influence américaine. Evidemment, le cinéma hollywoodien, adepte des échanges de corps et des voyages temporels, a également repris l’idée, notamment dans 17 ans encore, la comédie avec Zac Efron post-High School Musical (2009). Ce dernier avait été un triomphe aux USA.
Œuvre de commande, mais film personnel
Même si Peggy Sue s’est mariée n’est pas un projet de Coppola mais une pure commande (Penny Marshall devait initialement le réaliser) qu’il embrassa pour renflouer les caisses de sa société ruinée par Coup de cœur et Cotton Club, son travail est invariablement supérieur à tous les films cités plus haut. Coppola, conscient des codes de la comédie, ne cherche pas à redimensionner le spectacle comique par la réalisation. En revanche, la mise en scène est belle, joliment éclairée, et prend toute sa valeur à la revoyure en HD. Le cinéaste, fils des années 50, se replonge lui-même dans cette époque avec un regard de nostalgie qui semble souvent être le sien. Revoir ses parents jeunes, une famille à qui l’on n’a pas su, ni voulu dire les choses… Le postulat fantastique interpelle l’universel adulte et interroge sur notre capacité à vouloir changer les choses tant qu’on le peut. Mais le veut-on vraiment ?
Règlements de compte avec le puritanisme et le machisme des années 50
Pour le personnage de Peggy Sue, c’est surtout l’occasion de régler ses comptes avec son mari, que l’on retrouve au présent et passé. Nicolas Cage est l’acteur choisi par Coppola pour incarner la puérilité masculine frappé par le démon de la quarantaine et qui a abandonné sa femme pour une autre, malgré ses promesses lors de leurs belles années lycéennes où la flamme brûlait ardemment.
Si le discours et la conclusion peuvent paraître conservateurs, le choix de Kathleen Turner l’est moins. L’actrice, qui sortait du sulfureux et interdit aux moins de 18 ans, Les jours et les nuits de China Blue, est une force de caractère et donne du poids au discours féministe dans lequel baigne le film. Pour Peggy Sue, revenir dans le passé, c’est devoir se confronter de nouveau à la place rétrograde de la femme dans la société des années 50, et à une vision puritaine de la sexualité, en particulier pour les jeunes filles tout aussi fécondes en fantasmes que les jeunes hommes. Son coup d’un soir avec le fantasme de sa jeunesse, un Beatnik qui rêve de Kerouac, ne remet nullement en question son amour pour celui qu’elle choisira pour la vie.
Un jeu d’acteurs par toujours au firmament
Si Turner est épatante, le casting lui n’est pas toujours à la hauteur de son jeu. Nicolas Cage, imposé par son oncle de réalisateur, semble avoir eu beaucoup de problèmes avec l’actrice principale qui lui reprochait notamment son manque d’investissement. Senti attaqué dans les médias, Cage intentera un procès contre les propos diffamatoires de Turner et l’emporta. Forcément, cela pimente la projection de Peggy Sue s’est mariée quand on connaît les antagonismes des uns et des autres.
L’élégant et mélancolique Peggy Sue s’est mariée n’est pas un must, mais un bel aparté dans la filmographie de Francis Ford Coppola que l’Histoire n’a pas voulu retenir. Il serait pourtant pertinent pour les cinéphiles d’y retrouver son bonheur. En 2021, l’éditeur Carlotta a récupéré l’autorisation d’exploiter pour quelque temps le film pour une sortie en vidéo, dans une édition collector qui ne laissera pas insensible. Son éditeur historique ne vous avait pas fait ce plaisir jusqu’alors. On redécouvre avec notre propre mélancolie le film dans une mise en abîme habile.
Sorties de la semaine du 7 janvier 1987
Edition Prestige Limitée Carlotta
Nos chroniques des films Carlotta
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