Jardins de pierre de Francis Ford Coppola est une œuvre intimiste et sensible qui aborde la guerre de l’intérieur, avec pudeur et un vrai sens de l’équilibre.
Synopsis : 1969, Virginie. Au cimetière militaire d’Arlington, le lieutenant Jackie Willow est inhumé avec les honneurs de la nation. Avant de partir combattre au Vietnam, ce dernier avait fait ses premières armes au sein même de Fort Myer, chaperonné par le sergent Clell Hazard. Entre ce vétéran de Corée qui a cessé de croire à la nécessité de cette guerre et le jeune idéaliste Willow, une forte complicité s’était nouée au fil des mois…
Critique : 1986. Après la comédie Peggy sue s’est mariée, Francis Ford Coppola s’est vite attelé à un autre projet. Il faut renflouer les caisses laissées béantes par l’accident industriel de la décennie (ou presque), Coup de cœur. Ce film est alors, en 1982, le testament au Nouvel Hollywood et à la flamboyance de sa société, la Zoetrope.
Huit ans après Apocalypse Now, place aux ravages de la guerre sur les rivages américains
Pour Columbia TriStar, Coppola tourne le pendant intime d’Apocalypse Now, Jardins de pierre. Ce n’est pas son scénario, mais le matériau littéraire de départ, premier roman signé Nicholas Proffitt, ancien grand reporter pour Newsweek, qui l’emballe.
Ici, il s’agit de traiter de la guerre du Vietnam loin des champs de bataille, avec des soldats plantés en Amérique, dont l’exercice premier consiste à enterrer et célébrer la jeunesse morte au combat en Asie. La jeunesse est vibrante, pleine de vie, s’impatiente même lors des rites funéraires qui ne semblent plus les concerner, dans une réalité où la mort n’a plus de visage, où les tripes sont dissimulées dans des cercueils et les images de terrain diffusées à la télévision. Le média est largement présent et la protagoniste journaliste du Washington Post, jouée par Angelica Huston, démontre la dichotomie d’une nation tiraillée entre idéaux, idéalismes et illusions. On y retrouve là toute la force du roman de Proffitt.
Sagesse et contrition : Jardins de pierre se plante dans le marbre
Coppola est sage et joue la carte d’un académisme qui réfute les expérimentations sonores et visuelles qui flattaient la rétine sur ses métrages titanesques. Pourtant, tout fait écho en contrepoint à l’œuvre épique de 1979. La maturité, la contrition, la tenue sont de rigueur. Jardins de pierre apparaît être comme un complément d’un romanesque immobile de son chef-d’œuvre ultime.
L’article dossier sur APOCALYPSE NOW, c’est ici.
L’engagement de Coppola dans un récit équilibré et humain
L’engagement d’un soldat, le patriotisme, l’amour de l’armée, un mariage à peine consommé… tout vire au drame américain dès les premières minutes qui ouvrent sur la cérémonie funéraire du héros du film. Son récit se fera après l’incipit, sur le sol américain, avec de nombreux personnages qui rééquilibrent son exaltation des combats ; lui qui pense qu’un seul homme au bon endroit peut faire basculer la guerre vers la victoire…
Coppola se tient à distance, ne juge pas et se soustrait au pacifisme béat ou au sens du sacrifice patriotique. Il met en marche la tragédie dès le début, démontrant l’inéluctabilité de la défaite américaine ; la guerre broie des avenirs non vécus pour du vent, l’absurdité d’un conflit qui n’était pas à faire.
James Caan, dans le rôle d’un sergent qui prend “le bleu” sous son aile à son arrivée dans le camp militaire de Virginie, démontre une humanité et un traumatisme refoulé, qui complexifie la figure du militaire bourru, loin des violences explicites de Kubrick (Full Metal Jacket) et Oliver Stone (Platoon) à cette même époque.
La sobriété peut être assommante pour peu que l’on soit allergique au cadre consensuel du film à Oscars, mais Coppola sait pervertir de l’intérieur le plus inoffensif des mélodrames que beaucoup auraient submergé de bons sentiments.
Un échec en 1987 qui n’ira ni à Cannes ni aux Oscars
Coppola espérait Cannes, mais le film sortira aux USA en mai 1987 sans la force d’une présentation sur la Croisette. En lieu et place de la grandeur de la Côte d’Azur, le cinéaste devra se contenter de Moscou, en URSS. Forcément, moins glamour pour une première. La France devra, de son côté, attendre longtemps, jusqu’en janvier 1988 pour faire de cette œuvre l’un des moins vues de tous le répertoire de Coppola, avec 245 000 spectateurs, soit son 15e score sur 22 films.
Pour les Oscars, une sortie en mai, soit dix mois avant la cérémonie, condamnait Jardins de pierre à l’oubli par le public et les professionnels américains qui l’avaient, de toute façon, occulté dès sa sortie, avec moins de 7 millions de recettes à l’écran.
Un collector pour redécouvrir le film
Carlotta redonnera une très belle chance au film, en 2021, avec une édition collector Prestige qui répond aux besoins de redécouvrir ce travail trop méconnu. Force est d’admettre que Gardens of Stone a bien mieux vieilli dans ses propos que beaucoup de Vietnam flicks de son époque.