Mourir peut attendre marque une fin de cycle en dents de scie, handicapée par une mise en scène et une esthétique peu convaincantes. Cary Joji Fukunaga déçoit.
Synopsis : James Bond n’est plus en service et profite d’une vie tranquille en Jamaïque. Mais son répit est de courte durée car l’agent de la CIA Felix Leiter fait son retour pour lui demander son aide. Sa mission, qui est de secourir un scientifique kidnappé, va se révéler plus traître que prévu, et mener 007 sur la piste d’un méchant possédant une nouvelle technologie particulièrement dangereuse.
La saga James Bond sur CinéDweller
Critique : Pour clore l’ère Daniel Craig dans la saga James Bond, le choix du cinéaste Cary Joji Fukunaga intriguait, celui-ci étant davantage porté sur les drames humanitaires (les migrations d’Amérique latine vers les USA dans Sin nombre, la tragédie des enfants soldats pour Beasts of No Nation tristement découvert sur Netflix) que le blockbuster puissant. Or, les Daniel Craig, sous l’impulsion de Sam Mendes, étaient parvenus à faire la synthèse entre l’intelligence d’écriture, la finesse psychologique, et l’action épatante en toute harmonie.
Mourir peut attendre, une conclusion en demi-teinte
Malheureusement la promesse du cinéaste pour conclure la période de Daniel Craig relève in fine du mauvais goût. Mourir peut attendre est probablement le moins racé des quatre derniers James Bond, avec des défauts patents qui entravent des retrouvailles repoussées pendant un an et demi en raison de la crise sanitaire de la Covid-19. Pour mémoire, cette énorme production de plus de 250 millions de dollars, à la durée de 2h40, était initialement prévue pour une sortie en avril 2020. Mais celle-ci a été différée d’abord de six mois, quelques semaines à peine avant son lancement, symbolisant toute la crise de l’activité cinématographique pendant la pandémie.
Esthétiquement, la photographie heurte beaucoup la rétine pendant la première heure, en raison d’associations de couleurs malheureuses, dans les lumières et décors qui heurtent les habitudes classieuses de 007. C’est visible d’ailleurs dès le générique d’ouverture qui est un ratage. Cette volonté esthétique relève d’une empreinte personnelle singulière, mais que l’on déplore tant cet aspect est accentué par la médiocrité de certains effets numériques. Sans jamais atteindre la bouillie filmique de Meurs un autre jour, James Bond 25 est trop souvent un film de décors factices et d’images de synthèse pas très heureuses, qui rendent la texture globale artificielle. C’est d’autant plus vrai lors des séquences solaires, par exemple autour de la retraite de James Bond, en compagnie de l’actrice Léa Seydoux, au tout début du métrage. Ce n’est pas que Mourir peut attendre démérite dans la saga, mais le segment passe notamment après Casino Royale et Skyfall qui représentent tous deux des sommets intergénérationnels.
Dans ce numéro anniversaire (le vingt-cinquième film), les producteurs semblent avoir voulu conserver une cohérence psychologique et dramatique avec les anciens films de l’époque Daniel Craig, mais la formule ne prend plus vraiment. La faute au script. Le dossier de presse aura beau mettre l’accent sur la volonté de conclure la lignée de sequels tracée par Daniel Craig, le temps très long qui sépare Spectre (2015) et Mourir peut attendre (2020), démontre des errances dans l’écriture et une vision qui n’était pas si claire que cela depuis le brillant Casino Royale (2006).
Si Daniel Craig demeure remarquable dans le jeu, la silhouette et la présence brute, Bond, pour sa part, a perdu de sa superbe dans la volonté quelque peu conservatrice des scénaristes à vouloir le domestiquer à tout prix. Réduire le héros à la fatalité pépère du couple est une résignation qui se justifie par les cheminements du scénario, mais on n’est pas convaincu par l’issue et plus globalement par le choix de l’actrice pour mettre la corde au cou de cet aventurier. Le personnage de Léa Seydoux est peu crédible pour devenir la femme de sa vie. Après l’incarnation tendue et passionnée d’Eva Green en Vesper, dans Casino Royale. Les apparitions de Léa Seydoux jurent un peu par sa jeunesse et son manque de tourments, alors qu’elle a vécu quelques traumas qui devraient en faire un personnage plus dur que romantique. Oui, la romance ne réussit vraiment pas à James Bond.
Nous ne chercherons d’ailleurs pas à trahir un script reposant sur des rebondissements inattendus qui feront l’intérêt de la découverte. Il est même important de voir ce segment pour vraiment faire le tour complet de l’ère Daniel Craig. Malgré tout, il ne faut pas s’attendre à de vraies bonnes surprises. Ces dernières sont rares. On citera néanmoins la nouvelle 007, Lashana Lynch, qui est probablement la plus exaltante des nouveautés du film. L’actrice qui était d’une fadeur incroyable dans Captain Marvel, marque Mourir peut attendre de sa présence dès qu’elle apparaît à l’écran. Elle dégage une aura physique, un charisme et surtout des ressources de second degré qui méritaient bien davantage d’apparitions. Sa présence dans la suite des aventures de 007 sera la bienvenue. De même, on est toujours ravi de retrouver Naomie Harris en Miss Moneypenny, la seule à avoir su succéder avec brio au personnage immortalisé par Lois Maxwell, à l’époque des Sean Connery et Roger Moore, après des choix hasardeux. En effet, qui se souvient encore des courtes apparitions de Caroline Bliss auprès de Timothy Dalton ? De même, qui a vraiment mémorisé Samantha Bond dans les films avec Pierce Brosnan ?
En revanche, le personnage de M, repris par Ralph Fiennes dans Skyfall, n’est toujours pas parvenu à trouver de la hauteur. On ne cesse de regretter Judi Dench dans ce rôle qu’elle a génialement porté.
Comme la qualité d’un James Bond se jauge surtout par la férocité de son vilain, on savourera une rencontre référentielle entre Bond et son ennemi juré Blofeld (Christoph Waltz), dont l’incarcération évoque un peu Le silence des agneaux et le face-à-face avec Hannibal Lecter. Bien réalisée, cette scène provoque quelques frissons d’excitation. On sera moins élogieux quant au personnage de Rami Malek (Lyutsifer Safin, fallait oser !). Cette figure du Mal mégalo se cantonne à un jeu autiste qui ne permet pas d’approfondir sa démence meurtrière. Et pourtant, son personnage est désormais primordial dans la galaxie James Bond.
Au final, Mourir peut attendre, segment essentiel dans la franchise portée solidement par Daniel Craig, l’est davantage par ses soubresauts narratifs que ses qualités formelles. Si le film ne tue pas notre envie de revoir 007 joué par un autre acteur, il a radicalement balayé tout notre intérêt pour le cinéaste Cary Joji Fukunaga dont la filmographie essentiellement télévisuelle (les séries True Detective, Maniac) confirme bien que sa place n’est pas au cinéma. Et dire que Danny Boyle devait initialement être le réalisateur de ce projet qu’il a quitté en raison de différends artistiques. Cette mésaventure lors de la préproduction du film en dit long sur ce qu’est ce James Bond, une conclusion faussement audacieuse et terriblement conservatrice.