Pour ses cinquante ans, James Bond revient aux sources avec Skyfall, volet spectral et déroutant dans son enracinement profond dans les limbes de la mort d’où l’on sent toujours poindre l’étincelle d’une résurrection.
Synopsis : Dans sa 23ème aventure de cinéma, James Bond doit prouver sa loyauté envers M lorsque le passé de celle-ci revient la hanter, et que le MI6 est attaqué.
Les cinquante ans de James Bond
Critique : Absent pendant trois ans, après un Quantum of Solace seulement correct, James Bond revient célébrer en fanfare ses cinquante ans. Personne n’a échappé au folklore bondien qui a envahi librairies, rayons DVD et chaînes de télévision, 007 étant partout, y compris et surtout au cinéma. Skyfall sort le 26 octobre 2012, profitant d’une attente colossale des fans qui commençaient à s’impatienter. Ont-ils raison d’attendre encore quelque chose d’une saga vieille de plus de cinquante ans, à l’époque du tout technologique où les geek movies viennent mettre la pâté aux idoles du passé ? A voir.
Un cinéaste d’envergure aux commandes
C’est un cinéaste cadré, Sam Mendes, issu de la production indépendante (American Beauty), qui vient ici diriger Daniel Craig, le sixième espion de Sa Majesté, pour l’increvable franchise de la Metro-Goldwyn-Mayer. L’acteur qui a redoré le blason de l’agent britannique en lui inculquant virilité humaine et psychologie, et en l’affranchissant des trop nombreuses séquences d’action invraisemblables qui parasitaient les derniers films, hésite ici un peu dans l’évolution de son personnage.
Quête identitaire d’un mythe hors du commun
Qui est Bond en 2012 ? Un surhomme ou super-héros qui survit aux péripéties les plus rocambolesques (l’ouverture du film est un grand moment de n’importe-quoi qui rappelle le pire de Pierce Brosnan) ? Un agent dépressif et alcoolique qui se demande quel est son avenir imminent alors qu’une nouvelle génération de héros, des bureaucrates férus de nouvelles technologies, viennent envahir les espaces décisionnels du MI6 ? Un homme à femmes incapable de sentiments notamment lors de la mort précipitée et totalement injustifiée de la deuxième James Bond girl du film (elle le laisse indifférent au point de ne pas remarquer son trépas horrible) ? Une marionnette régie par les lois du métier, incapable de libre arbitre, qui obéit au moindre ordre de la glaciale M ? Un homme de terrain, certes, mais surtout de l’ombre quasiment mutique ? Un protagoniste de franchise qui jette les jalons non plus d’une suite, mais d’un reboot pur et simple de son propre personnage ? Un antihéros en souffrance qui dissimule habilement le meilleur pour la fin ?
Skyfall, chef-d’œuvre crépusculaire de la saga
Le James Bond de Skyfall est un peu tout cela à la fois, un caractère déroutant dans une vingt-troisième aventure qui ne l’est pas moins. Dire que l’on ressort déçu serait mentir : le film est souvent magnifique et surprend systématiquement par les directions qu’il emprunte, à commencer par cette fascinante introspection dans l’inconscient d’un Bond qui semble réaliser son incroyable longévité, à force de clins d’œil et d’une attention particulière portée à sa relation à M et à ses origines ténébreuses. Personnage féru de résurrection, qui est mort cent fois pour renaître de ses cendres tout autant, 007 devient un fantôme condamné à errer dans les limbes d’une société parallèle au nom d’une patrie à laquelle il n’appartient pas vraiment : à sa mort, qui sert d’introduction spectaculaire au film, avec un générique morbide issu tout droit de l’au-delà, chanté avec classe et avec une certaine nostalgie pour les premiers Bond par la star du moment Adele, ses biens sont dilapidés avec une vélocité quasi obscène.
Un idéal de cinéma
Dans ce Bond souterrain, où l’on s’infiltre dans des tunnels ferroviaires périlleux et mortifères, dans les profondeurs de la capitale anglaise minées par l’anonymat du métro, ou sur une île décrépite, abandonnée soudainement par ses habitants à la suite d’une menace toxique, le grand méchant joué par l’espagnol Javier Bardem en parfait contre-emploi avec son rôle de macho habituel, sert de Némésis à notre agent secret préféré, ou de reflet déchu et totalement pathétique… Il aurait pu être 007… Une autre créature de l’ombre qui avoue une faiblesse pour le corps si masculin du plus sexy des taupes.
Entre invisibilité et objet de culte divin, James Bond est-il devenu un idéal de cinéma ? Dans un élan de métafiction où le personnage de cinéma prend conscience de son statut dans une histoire (celle avec un grand H d’une nation mais aussi celle du long-métrage), Sam Mendes livre indéniablement le plus étrange des James Bond, un segment à la fois de conclusion et de renouveau, que l’on peut aussi prendre comme celui d’une transition, en tout cas une résurrection infiniment plus intelligente que celle de The Amazing Spider-Man, produit également par Sony Pictures qui survenait parallèlement.
Le final écossais aux portes d’un fantastique crépusculaire accentue le sentiment d’étrangeté. Une fin envoûtante après un démarrage désappointant. Ce Bond commémoratif ne laissera personne indifférent !
Avec 7 003 902 entrées, Skyfall est devenu le plus gros succès historique de la franchise en France, devant Goldfinger. Il s’agira du seul film de la saga à dépasser les 300 millions de dollars aux USA et le milliard de recettes dans le monde, devenant un phénomène de société à part entière.