D’une durée excessive, L’histoire de ma femme a des atouts mais manque d’âme et souffre des conventions de certaines coproductions.
Synopsis : Jacob est capitaine au long cours. Un jour, il fait un pari avec un ami dans un café : il épousera la première femme qui en franchira le seuil. C’est alors qu’entre Lizzy…
Un bel objet soigné mais sans âme
Critique : L’annonce qu’lldikó Enyedi adaptait un classique de la littérature hongroise, dans le cadre d’une coproduction européenne, était alléchante sur le papier. Réalisatrice et universitaire hongroise, elle n’avait plus été présente à Cannes depuis son premier film, Mon XXe siècle (Un Certain Regard 1989), qui avait obtenu la Caméra d’or. Sa filmographie a en fait été peu abondante, mais elle avait effectué un retour remarqué en 2017 avec Corps et âme, Ours d’or à la Berlinale. La cinéaste, qui a toujours eu un intérêt pour les contextes historiques et les analyses psychologiques, ne pouvait qu’être intéressée par le roman éponyme de son compatriote Milán Füst, publié en 1942 (réédition : éditions Gallimard, collection « L’Imaginaire », Paris, 2016). Mais comment cette réalisatrice caractérisée par un style épuré et une narration implicite allait-elle s’approprier un matériau romanesque foisonnant ?
Le résultat n’est certes pas déshonorant, mais les qualités du film sont dues essentiellement à sa perfection technique et son soin esthétique (netteté des prises de vue, choix des morceaux de musique classique…), qui en font un bel objet de festival, supérieur à un produit télévisuel, mais dont l’émotion et l’originalité sont étrangement absents. On suit sans déplaisir ce récit s’étalant sur plusieurs années, et dont l’argument essentiel réside dans le jeu du chat et de la souris auquel se livrent un capitaine de la marine marchande et la jeune femme qu’il a épousée à la suite d’un pari pouvant être assimilé à une plaisanterie. Tout au long de la projection, le spectateur s’interroge sur les motivations profondes des protagonistes. Jacob est-il un coureur de jupons, un pervers narcissique ou un amoureux sincère ? Lizzy est-elle une femme fatale, une épouse manipulée ou un modèle de fidélité ?
L’histoire de ma femme ou les aléas des coproductions
Le doute s’installe pendant toute la durée du film, une durée (2h40) que l’on peut trouver excessive, la mise en scène d’Enyedi n’échappant que de peu à l’académisme, et peinant à imposer un style singulier ou une démarche novatrice. Le directeur de la photo Marcell Rév, la décoratrice Imola Láng ou la costumière Andrea Flech ont fait certes du bon boulot, et le Hambourg ou le Paris bourgeois du début du XXe siècle sont honorablement reconstitués. Mais il manque l’élégance et la puissance du cinéma d’un Visconti, d’une Jane Campion, voire d’un James Ivory. Le film est écrasé par son budget et un casting hétéroclite qui est souvent le lot des coproductions. Certes, cela ne posait pas de problème dans Les damnés de Visconti, où un Anglais et une Suédoise campaient un couple d’Allemands, devant la caméra d’un Italien.
Mais dans le film d’Enyedi, l’alchimie entre les acteurs semble avoir été aléatoire, et l’usage de la langue anglaise pour tous renforce le caractère fabriqué du dispositif. Ne tirent véritablement leur épingle du jeu que le Néerlandais Gijs Naber, dans le rôle-titre, et l’Italien Sergio Rubini, savoureux en voyou portuaire devenu milliardaire véreux. On apprécie aussi les agréables révélations que sont la Suissesse Luna Wedler et le Français Sandor Funtek. Mais Léa Seydoux et Louis Garrel sont plus limités que prévu, les seconds rôles prestigieux (l’Allemand Ulrich Matthes) ne font que passer, et l’on se demande pourquoi la production a confié des rôles si courts et insignifiants aux divines Jasmine Trinca et Romane Bohringer. Au final, L’histoire de ma femme se laisse regarder sans déplaisir mais suscite un ennui poli. On attendait d’lldikó Enyedi davantage d’audace et de prise de risques.
Critique de Gérard Crespo