Les oreilles entre les dents est l’une des comédies les plus drôles des années 80. Un film burlesque, absurde totalement désopilant, grouillant de gags et de moments culte. Une comédie formidable.
Synopsis : Un assassin signe ses crimes en coupant les oreilles de ses victimes qu’il place entre leurs dents. Afin de procéder à son arrestation, un expert en criminologie est contacté.
Un film burlesque sans nom porteur à l’affiche
Critique : Après le triomphe obtenu par sa comédie P.R.O.F.S. (1985) qui a attiré 2,8 millions de jeunes spectateurs dans les salles, la carrière de Patrick Schulmann semble relancée, après une série d’échecs et de revers de fortune. Il décide alors de continuer à creuser le sillon d’un comique de plus en plus burlesque et absurde en écrivant Les oreilles entre les dents, sorte de comédie policière totalement décalée.
Alors qu’un tel script, si bien écrit, pouvait aisément attirer les producteurs, mais aussi des grands noms du comique à la française, Patrick Schulmann préfère rester fidèle à sa troupe de comédiens habituels dont le nom n’est pourtant pas vendeur sur une affiche. Ainsi, il confie le rôle du criminologue à son complice Jean-Luc Bideau (déjà au cœur de Et la tendresse ? Bordel ! en 1979), tandis que le couple principal est incarné par les inconnus Laurent Gamelon et Jeanne Marine. Pour trouver quelques noms un peu connus, il faut chercher du côté des seconds rôles avec notamment Fabrice Luchini – un visage encore grandement anonyme à l’époque – ou encore Philippe Khorsand. Bref, le cinéaste ne pouvait pas compter sur son casting pour attirer le grand public dans les salles.
De l’art du cadavre exquis!
Pourtant, Les oreilles entre les dents avait de nombreux atouts, dont un script extrêmement malin et particulièrement bien écrit où le cinéaste ose raconter la traque d’un serial killer qui n’en est pas un. Effectivement, après un premier meurtre où la victime se retrouve avec les oreilles découpées et mises dans la bouche, les autres meurtres sont en réalité commis par des citoyens lambda qui profitent de ce modus operandi étrange pour maquiller leurs propres exactions. Sur le mode du cadavre exquis, Patrick Schulmann passe donc d’un meurtrier à l’autre avec une imagination débordante et surtout un sens du gag absurde qui ne peut qu’enchanter.
Il introduit ensuite le personnage du criminologue incarné avec talent par Jean-Luc Bideau afin de se moquer, comme il l’a toujours fait, des autorités et de ceux qui se déclarent des experts. Le profiler donne lieu à un nombre incalculable de réflexions surréalistes qui tendent à ridiculiser ces méthodes d’investigations fondées sur des archétypes imbéciles. Comme à son habitude, Schulmann s’en prend également aux autorités politiques en ridiculisant les ministres et leurs hommes de main. Si le couple formé par Laurent Gamelon et Jeanne Marie apparaît plus faible, on adore de nombreux personnages périphériques comme ce chauffeur qui se dénonce comme étant le serial killer pour qu’on le remarque enfin – formidable Philippe Khorsand – ou encore le sourd adepte des arts martiaux interprété par un Fabrice Luchini qui bouffe l’écran.
Moins de sexe, mais bien plus de gags absurdes
Dans ce film d’une incroyable richesse narrative, Patrick Schulmann n’oublie pas de multiplier les gags absurdes ou purement burlesques. Certes, il met la pédale douce sur les provocations sexuelles (on aime toutefois l’hilarante scène de l’interrogatoire d’une nymphomane durant l’acte sexuel), mais il continue à explorer les voies du comique délirant. Il ne s’interdit rien quand il s’agit de se moquer des travers de nos concitoyens, tout en créant de purs personnages de bande dessinée comme le petit garçon surnommé Attila. Le môme est une vraie tornade qui détruit tout sur son passage tel un protagoniste de cartoon, déclenchant souvent l’hilarité.
Réalisé avec soin par un cinéaste passé maître dans l’art du tempo comique, Les oreilles entre les dents est donc une comédie ambitieuse qui ne cherche jamais la facilité et impose une histoire particulièrement bien construite et aux différents niveaux de lecture. De quoi confirmer un peu plus le statut culte de Patrick Schulmann, un réalisateur qui devrait largement être réévalué de nos jours, tant ses comédies sont largement au-dessus de la moyenne.
Malheureusement, Les oreilles entre les dents a été un gros échec commercial, sorti à une période où la crise du cinéma faisait rage, avec une affiche peu parlante et un casting pas vraiment attractif. Avec seulement 94 385 entrées sur l’ensemble du territoire français, la comédie désopilante a condamné son réalisateur au silence durant une dizaine d’années. Patrick Schulmann n’a pu revenir qu’en 1998 avec Comme une bête qui fut encore un échec public, d’autant plus injuste que le métrage est l’un des meilleurs de son auteur.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 8 juillet 1987
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1986 © Hachette Première, Madeleine Films
Box-office d’un accident industriel
Erreur de marketing
Quand UGC sort Les oreilles entre les dents, durant l’été 1987, le film jouit d’une indifférence médiatique générale. En juillet, la télévision ne s’intéresse pas à la promotion des spectacles de cinéma. L’affiche ne présente aucune star et aucun intérêt pour des protagonistes humains, préférant mettre en avant un Monsieur Patate malmené. L’erreur marketing est totale.
Les sorties du 8 juillet 1987
Les Oreilles entre les dents sort donc le 8 juillet 1987, face à 13 longs métrages. Le premier jour est assassin. Quand la Cannon conquiert 10 720 spectateurs dans 40 salles avec le film d’heroic fantasy Les Barbarians, Evil Dead 2, de son côté, attire 5 875 fans de productions horrifiques dans 26 cinémas. Les 35 salles des Oreilles entre les dents lui permettent seulement de dépasser les 3 000 entrées (3 001, exactement) en 24 heures. Suivent les reprises d’Indiana Jones et le temple maudit (1 849 entrées dans 24 salles), et Retour vers l’enfer (777 spectateurs dans 23 cinémas). Les Gravos de Dick Maas (L’ascenseur) a beau être un phénomène au Pays Bas, la comédie affreuse sale et méchante s’écrase dès la première heure (677 entrées sur 16 sites). Le film érotique du grand Zivko Nikolic fait légèrement mieux en moyenne, avec 507 amateurs. On y retrouvait la regrettée Mira Furlan, artiste d’Europe de l’Est décédée en 2021.
La crise du cinéma et les vacances d’été vident les salles
Dans un box-office sinistré par la crise, sur Paris, Les oreilles entre les dents se positionne en 5e place avec 15 738 spectateurs. Un score catastrophique. La production burlesque se situe loin des Barbarians (58 143) qui a pris la tête du classement, détrônant Police Academy 4 avec Sharon Stone.
Evil Dead 2 est second de la semaine parisienne avec 33 033 entrées. Le second Indiana Jones, qui était sorti initialement 3 ans auparavant, ne glane qu’une 8e place (11 975), Retour vers l’enfer affronte 5 522 spectateurs, La beauté du péché est incroyablement bas (3 854) et Les Gravos est une blague : 4 741 entrées dans 16 cinémas, malgré la présence d’affiches un peu partout sur Paname. La comédie néerlandaise ne dépasse pas les 600 spectateurs par écran et sera retirée de l’affiche après cette unique semaine d’exploitation.
Où voir Les oreilles entre les dents pour cette première semaine?
UGC étant le distributeur du film, on retrouve logiquement le 6e film de Patrick Schulmann au sein du circuit UGC (Biarritz, Boulevard, Montparnasse, Danton, Convention, Lyon Bastille, Gobelins). Patrick Schulmann trouve également refuge au Rex, au cinéma Les Maillots, aux 3 Secrétans, au Nation, au Mistral, aux Forum Cinémas, aux Images et au St-Lazare Pasquier. Il faudra ajouter 20 écrans en banlieue.
Une deuxième semaine miracle
En 2e semaine Les oreilles entre les dents perd 6 salles en banlieue. A Paris, rien ne change. Les exploitants doivent accepter une absence de nouveautés, lors d’une semaine caractérisée par des reprises (Papillon dans 18 salles et Highlander dans 14 cinémas) et deux séries B sans intérêt : le post-apocalyptique Osa qui ne restera que deux petites semaines à l’affiche (12 écrans et un total de 8 131 entrées) et 6 hommes pour sauver Harry, signé par Alan Smithee (sic). Ce dernier trouve 15 780 mercenaires pour occuper ses 23 salles et parvient toutefois à grimper à la 9e position hebdo sur la capitale.
Dans un contexte d’absences de nouveaux films porteurs et surtout d’une météo calamiteuse et favorable à l’exploitation, Les oreilles entre les dents parvient à gagner quelques spectateurs et passe à 16 835 clients (7e position). Le top 4 lui, est entièrement le même que la semaine précédente, avec une belle santé pour Les Barbarians et Evil Dead 2.
Et vint la chute de Patrick Schulmann
Malheureusement, en 3e semaine, malgré le rebond de la huitaine précédente, la comédie burlesque est déprogrammée et perd 24 cinémas, dont l’intégralité de ses écrans de banlieue. Seuls l’UGC Biarritz, l’UGC Boulevard, l’UGC Montparnasse, les Forum Cinémas et les Images l’ont conservé dans leur enceinte pour un total de 3 942 retardataires. Trois de ces 5 cinémas proposent même des entrées supérieures à 1 000 !
Pourquoi un tel dégagisme? Il fallait faire de la place pour des produits estivaux comme La bonne (26 salles), Malone (16), Le Ninja blanc (35), Pie voleuse (18), Rien en commun (23), Le secret de mon succès (15)…
En semaine 4, malgré de très nombreuses nouveautés (Armé pour répondre, 11 ; La brute, 32 ; Où est passé Jessica, 11 ; Police Story, 25 ; Vamp, 21), UGC trouve encore trois salles pour Les oreilles entre les dents, dans son circuit : le Biarritz, le Boulevard et le Montparnasse closent sa carrière sur 2 529 spectateurs et une moyenne pas si mauvaise de 843.
Le total de 39 044 Franciliens sera néanmoins une honte pour une comédie aussi drôle. Le distributeur n’y croyait pas et son affiche était une tombe ! Malheureusement la province, de moins en moins ouverte aux comédies françaises, et beaucoup plus accueillantes pour les productions américaines, le pare d’un ratio Paris Province très défavorable. En première semaine, UGC trouve environ 40 000 entrées sur l’Hexagone. La plupart des grandes villes ne le programment pas et, une fois à l’affiche, la comédie se positionne au plus bas (manque de notoriété, absence de noms et de communication). On retrouve la même stabilité en deuxième semaine qu’à Paris (38 000), mais la déprogrammation est massive en 3e semaine. Sur le reste de la France, Les oreilles entre les dents n’aura plus que 9 946 curieux à combler.
UGC essaie de corriger le tir en VHS
Après une telle faute promotionnelle, l’équipe d’UGC Vidéo prendra une approche totalement différente pour l’édition VHS, avec un visuel dessiné (médiocre d’ailleurs), enfin focalisé sur les protagonistes et les situations. Cela ne rachètera pas pour autant ce pauvre film qui coulera Schulmann et ses délires burlesques.
Les oreilles entre les dents demeure l’une des meilleures comédies des années 80, mais l’une des plus méconnues. Merci de réhabiliter le film et son artiste maudit qui méritent d’entrer au Panthéon du rire.
Box-office de Frédéric Mignard
1986 © Hachette Première, Madeleine Films