Avec Le soldat, James Glickenhaus livre un film destiné à un large public, largement inspiré par la franchise James Bond. Malgré des scènes d’action débridées et une musique inspirée, le script n’est guère valeureux et le long-métrage reste une simple série B sympathique.
Synopsis : Des terroristes commandités par le KGB s’emparent d’une bombe au plutonium et menacent de la faire exploser dans un champ pétrolifère saoudien. Une unité spéciale anti-terroriste, antenne parallèle de la CIA, est envoyée pour les arrêter.
Glickenhaus gère l’après-Le droit de tuer
Critique : En 1980, le réalisateur indépendant James Glickenhaus crée l’événement avec le film polémique Le droit de tuer (The Exterminator). Petit budget de série B, le vigilante movie se distingue par son extrême violence et sa radicalité, poussant encore plus loin la logique d’autodéfense prônée par les films de Charles Bronson ou Clint Eastwood. Le film n’amasse pas moins de 10 millions de dollars (soit 32 millions de dollars ajustés au cours de 2021) sur le territoire américain pour un budget de 2 millions de billets verts (6,4 millions ajustés en 2021). Cela sans compter les miraculeuses recettes générées par les locations et ventes de VHS, puisque le film a cartonné en vidéoclub. La France a, quant à elle, dû patienter jusqu’au mois de février 1982 pour le voir débouler en salles, assorti d’une lourde interdiction aux moins de 18 ans.
Face à ce plébiscite international, le jeune James Glickenhaus peut envisager l’avenir de manière sereine et fait le choix de produire en toute indépendance son film suivant, tout en passant un accord de distribution aux Etats-Unis avec la firme Embassy Pictures, déjà impliquée dans le triomphe du Droit de tuer. Cette fois-ci, Glickenhaus voit les choses en grand et cherche donc à dépasser son simple statut de réalisateur de série B en tournant un film plus grand public qui surfe sur le phénomène James Bond.
Un film d’espionnage dans la lignée des James Bond
Doté d’un budget de 4 millions de dollars (soit 10,9 M$ ajusté au cours de 2021), Glickenhaus peut se permettre un tournage aux quatre coins du globe. Il s’envole ainsi pour l’Autriche où il profite des services de Klaus Kinski, le temps d’une scène furtive, mais aussi pour Israël et Berlin où il tourne à proximité de Check Point Charlie. Bien entendu, le reste du tournage est effectué aux Etats-Unis. Cette profusion de lieux, ainsi que la multiplication de scènes d’action plutôt spectaculaires, donnent au long-métrage une belle allure, même si l’histoire racontée ne tient finalement pas vraiment la route.
Il est effectivement difficile de croire aux multiples rebondissements qui jalonnent cette intrigue placée judicieusement au cœur de la guerre froide. Passe encore que la CIA missionne des commandos pour effectuer leurs basses besognes, mais que ceux-ci parviennent à s’emparer d’un site nucléaire et risquent de déclencher une guerre atomique uniquement pour effrayer les Soviétiques et les empêcher de détruire les ressources pétrolières du Moyen-Orient, cela est tout de même peu vraisemblable.
Des scènes d’action filmées pied au plancher
Pourtant, Le soldat n’est pas désagréable à suivre pour peu que l’on fasse jouer à fond la suspension d’incrédulité. Effectivement, le réalisateur croit en son histoire, la filmant de manière quasiment documentaire et la parsemant de scènes d’action dont certaines sont mémorables au vu des moyens engagés. Ainsi, la séquence centrale de poursuite à ski n’a rien à envier à celle vue dans le James Bond Rien que pour vos yeux (Glen, 1981), pourtant réalisée avec un budget sept fois supérieur. Glickenhaus la tourne pied au plancher et parvient à lui donner fière allure. On peut également signaler une excellente scène inaugurale lorsque les terroristes s’emparent du plutonium. Le cinéaste confirme ici un talent certain pour filmer l’action, ce qui n’est pas donné à tout le monde.
Pour soutenir cette action trépidante, Glickenhaus a fait appel au groupe allemand électronique et progressif Tangerine Dream qui livre une excellente bande originale. Ceux qui apprécient les boucles synthétiques seront aux anges, tandis que les fans reconnaitront des thèmes entendus ensuite dans l’excellent live Logos (1982). Cette musique donne au film une tonalité froide qui renforce l’aspect mécanique de l’action et le caractère presque fataliste de l’intrigue. Elle est pour beaucoup dans le plaisir éprouvé par le spectateur lors de la projection.
Pas une once de psychologie
Par contre, le cinéaste à l’aise dans l’action se révèle toujours incapable de développer ses personnages. Tous définis par leurs actes, ils ne sont que des automates sans une once de psychologie dans les mains d’un réalisateur démiurge. Alors que le titre insiste sur un protagoniste central, Ken Wahl est absent d’une grande partie du film (il n’a eu que 12 jours de tournage), laissant son commando agir aux Etats-Unis, tandis que lui est à Berlin. Certes, c’est lui qui permet de sauver la situation, mais il demeure largement en retrait de l’action.
Si les autres acteurs sont tous corrects, on notera encore une fois l’importance de leur présence physique puisqu’ils n’ont aucun rôle réel à défendre. C’est bien évidemment la principale limite du Soldat qui, malgré des efforts notables, ne parvient jamais à dépasser son statut de série B bas du front, alors même que les ambitions du réalisateur semblaient plus élevées.
Un petit succès de série B en salles
Le grand public ne s’est d’ailleurs pas trompé sur la marchandise puisque le long-métrage a effectué un parcours de simple série B anodine dont on parle peu. Le film a engrangé 19 millions de dollars de recettes (en dollars ajustés en 2021) en Amérique du Nord, ce qui est correct sans plus. Il faut dire que le distributeur Embassy Pictures n’a pas eu confiance dans le produit fini et ne lui a donc pas octroyé une publicité suffisante dans son pays.
En France, Le soldat est sorti moins de six mois après Le droit de tuer, qui était encore dans toutes les mémoires. Le film se place numéro 1 à Paris pour sa semaine d’investiture avec 61 253 militaires qui devancent donc Aphrodite (Fuest), le drame dénudé avec Valérie Kaprisky arrivant en deuxième position alors qu’il était présent dans plus de salles. Les semaines suivantes, Le soldat a toutefois chuté plus vite, terminant sa carrière parisienne à 146 084 amateurs d’action.
On notera d’ailleurs que sur la France, Aphrodite est arrivée en pole position (avec 142 733 entrées), tandis que Le soldat s’est octroyé la deuxième place en première semaine (133 193 entrées). Ensuite, la série B se défend plutôt bien en restant quelques semaines dans les dix premiers du box-office national. Le film de Glickenhaus commence à dévisser vers le milieu du mois d’août et finit sa carrière avec 527 703 spectateurs à son compteur.
Un film de vidéoclub
Il faudra ensuite compter avec sa sortie rapide en VHS pour profiter du phénomène des vidéoclubs. Depuis, Le soldat a été largement oublié, car aucune édition DVD n’existe en France et même aux Etats-Unis, il a fallu attendre 2018 pour que le film soit à nouveau exploité en DVD et en blu-ray par l’éditeur Kino Lorber Studio Classics. On notera également que la bande originale du film signée Tangerine Dream est désormais disponible sur toutes les bonnes plateformes musicales. On vous la recommande chaleureusement.
Critique de Virgile Dumez