Le dernier voyage du Demeter est une réappropriation de l’œuvre de Bram Stoker, artificielle et poussive, plombée par son esthétique télévisuelle de programme netflixien.
Synopsis : D’après un chapitre glaçant du classique de la littérature fantastique Dracula de Bram Stoker, Le dernier voyage du Demeter relate le destin tragique d’un navire marchand, le Demeter, affrété pour transporter une cargaison privée, composée de 50 caisses en bois, des Carpates à Londres.
Accablé par d’étranges événements, l’équipage du Demeter tente de repousser une présence impitoyable qui les assaille chaque nuit. Quand le navire atteint enfin la côte anglaise, ce n’est plus qu’une épave délabrée et calcinée, sans un seul survivant à bord.
Un film et passe : quand les chasseurs de vampires ont la vie courte
Critique : Le dernier voyage du Demeter avait pour objectif de lancer une franchise là où Priest, Abraham Lincoln : chasseur de vampires, L’assistant du vampire, Le dernier chasseur de vampires avec Vin Diesel, et plus récemment Renfield avaient échoué ces vingt dernières années. A savoir mettre en place un feuilleton vampirique sur écran large où chaque épisode mettrait en scène une traque aux crocs acérés d’un vampire. Ce postulat de départ est éculé et L’exorciste du Vatican de Julius Avery a essayé de mettre sur les starting-blocks exactement la même chose, en avril de cette même année, mais avec des démons à extirper de corps possédés aux quatre coins du globe. Le ridicule avait accablé Russell Crowe dans sa quête biblique.
Le dernier voyage du Demeter, naufrage de studio, souffre de cette même économie d’ambition narrative. Il n’a rien à raconter en tant que film. Il se contente d’être un paresseux produit, élaboré pour des cibles, au lieu d’être un désir personnel de cinéaste avant tout. Autant prévenir ceux qui gardaient un peu d’espoir autour des talents de l’Européen André Øvredal, l’auteur de Troll Hunter et de The Jane Doe Identity ne manifeste ici aucun trait de caractère dans cette production de Yes Man.
Qui d’André Øvredal, Murnau et Werner Herzog a fait le meilleur Nosferatu ?
Après l’horrible franchise sur fond vert des Van Helsing, qui fonctionna plus ou moins à une époque où les ventes de DVD compensaient les bévues commises sur le grand écran, Le dernier voyage du Demeter est un pur film de chasseur de vampires, puisque le jeune héros joué par le fade Corey Hawkins, médecin en herbe dans ce film aux croyances moyenâgeuses, devient accidentellement le traqueur du monstre en montant à bord du fameux navire qui va transporter Nosferatu jusqu’en Angleterre, évidemment à l’insu de tous.
Le chapitre autour du Demeter existe bel et bien dans le roman de Bram Stoker, mais il reste très évasif quant au sort tragique des marins à son bord, confrontés avant les Anglais à l’arrivée de la peste noire, qui cohabitait dans les cales, avec les rats. Le roman de Stoker donnera naissance à deux métrages d’exception, Nosferatu de F.W. Murnau et la version de Werner Herzog avec Adjani et Kinski, en 1978. Ces deux films ne se soucièrent guère de l’épisode marin, même s’il préfigure l’arrivée d’une mort qui a désormais un visage.
Bram Stoker laisse évidemment, le temps d’une ellipse narrative, la possibilité aux scénaristes américains de bricoler tout un récit rocambolesque pour créer un semblant d’intrigue sur un vide profond, puisque nous connaissons tous l’issue du récit de Dracula. Dès le départ, nous sommes persuadés que le vampire vaincra et que le sol britannique, il foulera.
Le dernier voyage du Demeter et l’amertume de l’écume
Pour bien diminuer tout l’intérêt des aventures marines du Demeter (“voyage” en anglais ne s’utilise que pour les traversées maritimes), une prolepse introduit la narration, puisque le Demeter a bien amarré sur les côtes anglaises, certes de façon accidentelle, avec à bord de son épave fraiche, des cadavres, et l’absence de tout survivant. Un pressentiment de mort et de carnage pour démarrer l’œuvre sous des auspices macabres ? Non, on interprètera cette séquence par la synthèse de tout ce qu’il ne faut pas faire dans un film à formules pour diminuer un peu plus l’effet de surprise qui sera bien évidemment nul.
Cette séquence introductive ne mène à rien, à aucun suspens, aucune mise en danger et encore moins à la mort d’un protagoniste ; elle étire seulement un divertissement d’épouvante qui sera caractérisé par un ennui mortel.
Des personnages incongrus, une langue boursoufflée
Dans ce récit artificiel, la fabrique à formules passe par un chasseur de vampires noir, une femme d’action très active et un gamin inutile à l’intrigue à bord du navire, pour renverser les archétypes du cinéma d’antan plus crédible aux yeux des adultes. Il faut romancer la réalité rance de cette traversée par une inclusivité béta pour ne pas froisser le public adolescent de Netflix qui ne sera pas dépaysé par la caractérisation artificielle qui noie le poisson.
La langue profanée a l’écran est un anglais tellement déclamé que la restitution linguistique n’en est que pompeuse et jamais naturelle. Les acteurs à l’œuvre dans les joutes verbales n’en paraissent que plus insipides. Dans le cas du personnage joué par Aisling Franciosi, découverte en 2018 dans un autre film en costume sanglant, The Nightingale de Jennifer Kent, le malaise passe par son utilisation systématique de la langue anglaise, parfaitement manipulée, avec un léger accent, alors qu’il s’agit d’une villageoise d’un patelin roumain dont on ignore encore comment elle a pu aussi bien apprendre une langue étrangère sans regarder la moindre série Netflix. On plaisante, mais le grotesque passe déjà par ce non effort de réalisme qui diminue toujours plus la valeur du divertissement.
Le grand silence de la mer
Dans ce malaise narratif, l’insipidité générale passe aussi par les efforts de reconstitution de la goélette de cette fin du XIXe siècle marchand, où tout refoule le fond vert et annihile le sentiment d’avoir passé deux interminables heures sur la mer. Le survival sanglant qui prend place à bord joue d’une quasi unité de lieu pour ne pas avoir à trop gonfler le budget. Le factice s’érige en bricolage de série B, quand Le dernier voyage du Demeter se rêverait en série A qu’il ne sera jamais.
Cette fabrication d’un décor de pacotille devient surtout la transposition poussive d’une photographie netflixienne sur un format cinéma où l’esthétique chaude trahit les intentions du film Dreamworks – Amblin. La production est invariablement propre malgré le gore généreux et l’époque crasseuse qu’elle met en scène ; elle n’est jamais effrayante malgré le design réussi du premier batman de l’histoire, Dracula qui aime user de ses ailes d’homme chauve-souris, mais dont on s’éloigne du point de vue pour ne le garder qu’en périphérie de l’intrigue, à savoir en prédateur doué du don d’ubiquité, qui flotte dans les airs, une fois la nuit tombée.
Le récit prévisible, le jeu désincarné de Corey Hawkins, la présence de seconds rôles ronflants (Liam Cunningham et David Dastmalchian transparents), rien ne génère l’indulgence dans ce récit sans âme et sans second degré qui ne nous épargne que la terreur que l’on ne ressentira jamais pendant cette traversée étonnamment interminable pour deux heures de spectacle.
Les temps sont durs pour Dracula
Evidemment, les Américains n’ont pas épargné ce spectacle à sa sortie, lui réservant l’un des pires démarrages de l’année, avec 6.5M$ pour son premier week-end. La supercherie en a coûté 45 millions à ses producteurs. Dans ces conditions la sortie mondiale qui intervient entre la semaine cinéma du 17 août (Allemagne, Mexique, le Royaume-Uni) et celle du 23 (La France, l’Amérique du Sud) risque d’enfoncer un peu plus le clou dans le cercueil de Dracula, décidément très mal en point après le désastre de Renfield, avec Nicolas Cage qu’Universal avait également distribué au printemps 2023. Cette comédie ultra gore de 65M$ avait alors ramé pour s’abreuver de 26M$ devenant l’un des dix plus gros échecs de l’année 2023, avec The Flash, 65, Shazam: Fury of the Gods, Magic Mike the Last Dance, les deux film de Guy Ritchie Operation Fortune : Ruse de guerre et The Covenant, mais aussi Beau is Afraid et Big George Foreman.
Au final, Le dernier voyage du Demeter est bien le film que personne n’a envie de voir car persuadé d’avoir déjà tout vu juste en découvrant sa bande-annonce. On ne leur donnera pas tort.
Notes :
- C’est l’acteur Javier Botet qui a prêté ses 2 mètres de taille à la créature ailée du Dernier voyage du Demeter. Auparavant, il s’était mué en monstre dans Mama (2013), La Momie (2017), The Slender Man et Scary Stories qui marquait sa première collaboration avec le cinéaste André Øvredal. L’acteur devait subir les maquillages de Göran Lundström entre 3 et 5 heures par jour. Il a dû se raser le crane pour ce rôle physiquement exigeant.
Les sorties de la semaine du 23 août 2023
Biographies +
André Øvredal, Liam Cunningham, Corey Hawkins, Aisling Franciosi, David Dastmalchian